Sun Tzu vs Clausewitz : Manuel d’emploi ou démonstration détaillée ?

Des traités de taille manifestement différente

Des traités de taille manifestement différente

Une différence saute aux yeux lorsque l’on veut se livrer à la comparaison des deux traités : là où le premier est un pavé de plus de 800 pages, le second est un petit opuscule qui n’en compte qu’une quarantaine.

La principale explication de cette différence de taille est que les deux traités n’ont absolument pas la même logique : Nous avons vu dans le billet précédent qu’alors que Clausewitz s’attachait à démontrer chacune des idées exprimées par un raisonnement structuré, Sun Tzu présentait au contraire directement l’aboutissement de sa pensée, en ne cherchant quasiment jamais à en expliquer le bien-fondé. L’art de la guerre tient en ce sens plus du manuel d’emploi pour le souverain et le général, tandis que De la guerre est davantage une réflexion sur la guerre.

Le parti pris de Clausewitz de démontrer ses idées rend dès lors la lecture de son ouvrage relativement âpre par endroits. A contrario, les maximes concises et  affirmatives de Sun Tzu paraissent d’un abord bien plus facile à saisir. Hervé Coutau-Bégarie soulignait bien l’aspect beaucoup plus rêche de Clausewitz par rapport à Sun Tzu :

« Le seul stratégiste qui ait davantage été traduit [que Clausewitz] est Sun Tzu. Encore sa vogue ne tient-elle qu’en partie à sa valeur intrinsèque : elle s’explique aussi par le prestige de l’ancienneté – 2400 ans – et plus encore par sa brièveté. Les versets de Sun Tzu, gloses exclues, ne représentent en effet qu’une vingtaine de pages et ils semblent d’une approche si facile que le lecteur le plus paresseux peut en tirer sans peine de quoi briller en société. Clausewitz, lui, a écrit une somme de 800 pages imprégnées d’idéalisme allemand : c’est long, c’est difficile et pour dire le fin mot de l’affaire, c’est de prime abord très ennuyeux. » [1]

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Sun Tzu vs Clausewitz : Sun Tzu est-il moins profond que Clausewitz ?

Quelles différences entre Sun Tzu et Clausewitz ?

Quelles différences entre Sun Tzu et Clausewitz ?

Ce billet inaugure une série de sept articles consacrés à l’étude comparative des systèmes de Sun Tzu et de Clausewitz.

Rappelons en préliminaire que Clausewitz (1780-1831) ne connaissait pas l’œuvre de Sun Tzu : celle-ci n’a été traduite pour la première fois en allemand qu’en 1910, et la version française n’a commencée à être connue dans le milieu militaire qu’en 1922 (voire 1972).

Les deux traités présentent de prime abord un point commun : ils sont tous deux inachevés. Nous avions expliqué dans notre billet De quand date le texte de L’art de la guerre que nous connaissons ? combien chaotique avait été la composition du traité de Sun Tzu, laissant au lecteur occidental une impression de relatif fouillis dans l’exposition des idées. De la guerre est pour sa part une œuvre officiellement inachevée ; un premier jet, Clausewitz ayant seulement eu le temps de reprendre le tout premier chapitre avant de décéder. Les imperfections respectives de ces deux traités induites par cet état d’inachèvement imposent dès lors qu’ils soient lus et relus, médités et travaillés, pour qu’en surgisse la vision complète de leurs auteurs.

Sur la forme, à la différence du traité prussien, L’art de la guerre ne livre pas de principes de la guerre[1], mais plutôt des idées, presque des « flash », que le lecteur devra s’approprier pour comprendre la pensée générale. L’enseignement de Sun Tzu est en effet transmis plutôt par imprégnation, en livrant des applications de son système et non des principes généraux ordonnés. L’art de la guerre ne déroule donc pas une démonstration logique comme le fera bien plus tard Clausewitz. Sun Tzu ne rédigeait en effet pas de manière cartésienne, en structurant sa pensée selon un déroulement logique, en exposant un plan, en démontrant, en expliquant et illustrant ses affirmations, bref en présentant un propos comme l’a fait Clausewitz deux mille ans plus  tard. Nous reviendrons sur ce point dans notre prochain billet, mais c’est probablement l’impression déroutante qui en ressort qui poussa Hervé Coutau-Bégarie à écrire que le traité de Sun Tzu était « infiniment moins profond » que celui de Clausewitz :

« Clausewitz a produit une théorie de la guerre articulée dans ses moindres détails, donc infiniment plus profonde que les simples pistes de réflexion proposées par Sun Tzu. »[2]

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Sun Tzu France souffle sa deuxième bougie

Sun Tzu Janus, Oliver Laric, 2012, at Tanya Leighton, Berlin 2

Sun Tzu est toujours aussi dynamique

Deuxième année d’existence de ce blog. Nous sommes toujours actifs et, pour notre plus grande joie, nous tenons toujours le rythme d’une publication minimum par semaine. En parallèle, le millième abonné du compte Twitter Sun Tzu dit va bientôt être atteint. Bref : un succès inattendu pour un sujet aussi spécialisé.

Ces six derniers mois, les billets les plus populaires auront été :

L’actualité concernant Sun Tzu est toujours aussi forte, et se développe même grâce à l’arrivée de nouveaux canaux de diffusion. Et notre étude du traité petit pas par petit pas n’en est qu’à ses débuts : nous avons encore énormément à dire sur le sujet. Bref, si le blog doit s’arrêter, ce ne sera pas faute d’inspiration…

Les sept prochains billets seront, sauf actualité, exclusivement consacrés à la reprise de l’étude comparée entre Sun Tzu et Clausewitz que nous avions entreprise l’année dernière. Notre réflexion ayant muri (et ayant aussi relu Clausewitz…), nous allons approfondir un certain nombre de thématiques qui vont nous permettre, par ce jeu de comparaisons, de mieux percer les spécificités du système suntzéen.

 Source de l’image : « Sun Tzu Janus », Statue d’Oliver Laric

Le génie militaire, la (fausse) recette de la victoire ?

Génie militaire

Il existe encore de par le monde des génies militaires capables de rivaliser avec Sun Tzu…

Vous connaissez sans doute cette fable moderne du vieil homme d’affaires qui, au soir de sa vie, transmet à son fils le secret de sa réussite : « Achète lorsque le cours est bas, vends lorsque le cours est haut, et tu feras fortune ! ». Bien entendu, le fils ne sait comment mettre en pratique ce précepte, qui est pourtant réellement l’unique principe qu’a suivi le père pour bâtir sa fortune.

Nous retrouvons ce même type de recommandations, apparemment stériles, dans L’art de la guerre qui explique que, pour vaincre, le général doit tout simplement être bon :

 « Celui qui sait le mieux doser les stratégies directes et indirectes remportera la victoire. » (chapitre 7)

L’art de la guerre n’explicite pas en termes concrets comment « posséder à fond la dialectique du direct et de l’indirect ». Pour Sun Tzu, le général doit avoir le coup d’œil, l’intuition et le génie créatif pour remporter la victoire. Et il ne livre pas le procédé permettant d’atteindre cette excellence : ses recommandations sont plus là à titre d’exemples de ce que le génie peut produire que comme un catalogue doctrinal qui serait exhaustif.

Comme nous l’avions vu dans le billet Du charisme du général, la majorité des qualités requises pour être général est innée, la guerre se gagnant d’abord grâce au choix judicieux du souverain qui aura su désigner le bon chef des armées.

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Transformer les lapins en lions

Comment transformer des paysans en guerriers ?

Comment transformer des paysans en guerriers ?

Toute la réflexion de L’art de la guerre s’inscrit dans le cadre d’un univers de conscription. Sans armée professionnelle, le problème qui se pose au général est donc de transformer des paysans, n’y connaissant rien au maniement des armes, en militaires aptes à remporter des victoires. Sa solution n’est pas d’avoir une armée de métier, ni même d’instaurer un service militaire (comme le préconisait par exemple son contemporain Wu Zixu[1]), mais bien de faire avec la ressource, aussi inapte à la guerre soit-elle.

Nulle part Sun Tzu n’évoque le recours à l’entrainement, à une formation initiale du combattant. Encore moins si cet entrainement doit se faire en temps de paix ou au moment de la levée des troupes. La lecture de L’art de la guerre laisse entendre qu’il suffit de lever une armée de paysans et de bien les manœuvrer pour remporter la guerre. Or pour bien manœuvrer les troupes, il convient que ces dernières soient bien entrainées.

Comment donc le paysan se transforme-t-il en soldat ? Bien que cela ne soit pas explicitement énuméré, il nous apparaît que cette transformation s’appuie sur quatre procédés :

  • le charisme du général ;
  • la vertu ;
  • la carotte et le bâton ;
  • la mise des hommes dans une situation mortelle.

Le premier de ces piliers réside dans la capacité du général à être obéi de ses troupes :

« Qui sait commander aussi bien à un petit nombre qu’à un grand nombre d’hommes sera victorieux. Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire. » (chapitre 3)

Nous avons récemment consacré un billet à cette thématique du charisme du général, nous n’y reviendrons donc pas.

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