Clausewitz et Sun Tzu

Une étude comparative des deux plus célèbres penseurs militaires

Clausewitz et Sun Tzu vient de paraître. Deuxième titre des éditions Amiot (après Wu Zixu, inspirateur de Sun Tzu), il s’agit là encore d’un recueil retravaillé des billets parus sur ce blog. Sans surprise, la thématique est ici une comparaison des systèmes de pensée de Clausewitz et de Sun Tzu. Ces deux mastodontes de la pensée militaire traitent de thématiques communes, mais en apportant des recommandations pouvant être en totale opposition. La mise en parallèle de leurs écrits respectifs permet ainsi de mieux appréhender l’essence même de leur système.

Après une réflexion sur la forme que présentent L’Art de la guerre et De la guerre, les deux œuvres phares de Sun Tzu et Clausewitz, l’étude détaille les principales différences existant entre chaque traité sur le plan des fondements de la stratégie (la guerre en tant qu’objet, son objectif) et sur une sélection de grandes thématiques militaires tels le renseignement, la logistique, ou même le rôle du chef.

Si vous avez apprécié les billets de ce blog, n’hésitez pas à vous en offrir la compilation remaniée et enrichie !

46 pages aux éditions Amiot. 5 € en version papier, 1 € en numérique.

Source de l’image : Couverture de l’auteur

Sun Tzu vs Clausewitz : Pot-pourri final

Du rab de comparaison entre Sun Tzu et Clausewitz...

Du rab de comparaison entre Sun Tzu et Clausewitz…

Nous avons rassemblé dans ce dixième et dernier billet consacré à l’étude comparative des systèmes de Clausewitz et Sun Tzu quelques idées sans grands liens entre elles, mais pour lesquelles nous n’avions pas suffisamment de matière nous permettant d’en faire des billets complets. Du vrac, donc !…

Les deux stratèges diffèrent dans le concept-clé de Clausewitz nommé « centre de gravité ». Pour le stratège prussien, ce dernier est unique et constant. Pour Sun Tzu au contraire, il est pluriel et versatile. Nous avons développé ce sujet dans notre billet Du modelage de l’ennemi où, à travers l’image du boxeur, nous illustrions bien toute la différence entre la théorie clausewitzienne et celle suntzéenne.

Pour les deux stratèges, le rapport de force se crée fondamentalement et de manière instable et délicate dans le rapport affectif du peuple et du souverain, ainsi que du peuple sous les armes et du commandement militaire, rapports qui dans un camp (plus que dans l’autre) permettent, le moment venu, de demander à la population un effort exceptionnel. Les formulations sont dans la forme très différentes, mais l’idée reste la même. Notons toutefois que si Clausewitz s’attarde beaucoup sur l’importance des forces morales, il ne les traite que pour son propre camp et n’envisage pas la possibilité, comme le fait Sun Tzu, de chercher à affaiblir celles de l’ennemi.

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Sun Tzu vs Clausewitz : Renseignement, surprise, ruse ; tout oppose les deux systèmes

Deux systèmes très différents

Deux systèmes très différents

Nous avions vu à travers une série de billets toute l’importance que Sun Tzu accorde au renseignement, considérant qu’il est réellement possible d’obtenir une perception fiable de l’adversaire et du champ de bataille. Clausewitz, lui, est beaucoup plus circonspect sur le sujet :

« Les nouvelles qui vous parviennent en temps de guerre sont en grande partie contradictoires, et fausses pour une plus grande part encore ; les plus nombreuses de beaucoup sont passablement douteuses. […] Fort de sa confiance en sa meilleure connaissance des choses, le chef doit tenir ferme comme un roc sur lequel vient se briser la vague. » (Livre I, chapitre 6)

Déclinaison de cette divergence d’appréciation sur le pouvoir du renseignement, les deux stratèges tiennent des positions quasiment opposées sur une notion comme la surprise. Alors que Clausewitz a tant formalisé la notion de brouillard de la guerre, il n’a que peu de foi dans la capacité du général à le projeter sur l’ennemi :

« Il serait erroné de croire que [la surprise] soit le meilleur moyen pour atteindre en guerre ce que l’on veut. L’idée en est très séduisante mais, en pratique, la friction de la machinerie entière la fait échouer la plupart du temps. » (Livre III, chapitre 9)

Sun Tzu considérant qu’il est possible de contrôler le champ de bataille (cf. le billet précédent sur la friction), la surprise est dès lors un outil fondamental du général.

« Attaquez là où il ne vous attend pas ; surgissez toujours à l’improviste. » (chapitre 1)

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Sun Tzu vs Clausewitz : La friction, un concept différemment perçu

Les différences de fond

Les différences de fond

« Dans la guerre, tout est très simple, mais la chose la plus simple est difficile. Les difficultés s’accumulent et entraînent une friction que personne ne se représente correctement s’il n’a pas vu la guerre. » Clausewitz, De la guerre, éditions de Minuit, 1995, p. 109.

Clausewitz accorde une importance toute particulière à une notion aujourd’hui fondamentale qu’il a lui-même formalisée : la friction. Si Sun Tzu ne discute pas la nature incertaine de la guerre, il ne partage toutefois la perception de son homologue prussien sur l’incertitude, le hasard et l’imprévu du champ de bataille. Tout n’est certes pas prédictible chez Sun Tzu, comme en témoigne ses injonctions de faire preuve de grande réactivité, sous-entendant que le général peut être surpris à tout moment (cf. notre billet Une qualité : la réactivité). Nonobstant, une bonne planification doit être à même de contrer suffisamment le phénomène de friction pour que, in fine, la victoire puisse être certaine (cf. notre billet Le calcul épargne le sang : du pouvoir de la planification). Dès lors, le champ de bataille représente un environnement maitrisable :

« Quel indescriptible tohu-bohu ! Comme le combat est confus ! et cependant rien ne peut semer le désordre dans leurs rangs. Quel chaos ! quel méli-mélo ! ils sont repliés sur eux-mêmes comme une boule, et pourtant nul ne peut venir à bout de leur disposition. Le désordre suppose l’ordre, la lâcheté le courage, la faiblesse la force. L’ordre dépend de la répartition en corps, le courage des circonstances et la force de la position. » (chapitre 5)

Point de vue totalement opposé à celui de Clausewitz :

« La guerre est le domaine du hasard. Aucune autre sphère de l’activité humaine ne laisse autant de marge à cet étranger, car aucune ne se trouve à tous égard en contact aussi permanent avec lui. » (Livre I, chapitre 3)

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Sun Tzu vs Clausewitz : Art de la guerre ou science de la guerre ?

Doit-on forcément trancher entre art ou science ?

Doit-on forcément trancher entre art ou science ?

Si la plupart des stratèges s’accordent sur le fait que les grands guerriers possédaient un « génie militaire », leur définition de ce dernier n’est pas figée. Dans le cas de Clausewitz et Sun Tzu, nous pouvons considérer que celui-ci est composé d’intuition, de coup d’œil tactique, d’analyse et de créativité. Mais dans des proportions différentes.

Nous avions consacré un billet entier à la position qu’avait Sun Tzu vis-à-vis du statut de la guerre : art ou science ? La réponse était loin d’être aisée, mais nous en étions finalement arrivés à la conclusion que le stratège chinois la considérait certes comme un art, mais qu’elle portait néanmoins également une part de science.

Clausewitz consacre tout le 3e chapitre de son Livre II à cette question. Sa position semble de prime abord simple :

« Il ressort de tout cela qu’il est plus juste de dire art de la guerre que science de la guerre. » (Livre II, chapitre 3)

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