Des qualités du chef

Le stratège Zhuge Liang, général idéal aux yeux de Sun Tzu ?

Le stratège Zhuge Liang, général idéal aux yeux de Sun Tzu ?

« La guerre est subordonnée à cinq facteurs. […] Le quatrième est le commandement. » (chapitre 1)

« Le général est le rempart de l’Etat ; si celui-ci est solide, le pays est puissant, sinon il est chancelant. » (chapitre 3)

« Une armée peut connaître la fuite, le relâchement, l’enlisement, l’écroulement, le désordre, la déroute. Ces six malheurs ne tombent pas du Ciel mais proviennent d’une erreur du commandement. » (chapitre 10)

Le chef est, pour Sun Tzu, le pilier de la victoire. De très nombreuses qualités que ce dernier doit posséder sont égrenées au fil du traité :

« Le commandement dépend de la perspicacité, de l’impartialité, de l’humanité, de la résolution et de la sévérité du général. » (chapitre 1)

« Parce qu’il a le contrôle du moral, un bon général évite l’ennemi quand il est d’humeur belliqueuse pour l’attaquer quand il est indolent ou nostalgique ; parce qu’il a la maîtrise de la résolution, il oppose l’ordre au désordre, le calme à l’affolement ; parce qu’il détient la maîtrise des forces, il oppose à des hommes qui viennent de loin des combattants placés à proximité du théâtre des opérations, à des soldats épuisés des troupes fraîches, à des ventres vides des ventres pleins ; parce qu’il a le parfait contrôle de la manœuvre, il n’affronte pas les bannières fièrement déployées ni des bataillons impeccablement ordonnés. » (chapitre 7)

« Un général se doit d’être impavide pour garder ses secrets, rigoureux pour faire observer l’ordre. » (chapitre 11)

Gardons à l’esprit le caractère très fragile des caractéristiques énumérées ici, eu égard aux difficultés de traduction (cf. notre billet Des qualités requises pour être général).

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Sun Tzu vs Clausewitz : Pot-pourri final

Du rab de comparaison entre Sun Tzu et Clausewitz...

Du rab de comparaison entre Sun Tzu et Clausewitz…

Nous avons rassemblé dans ce dixième et dernier billet consacré à l’étude comparative des systèmes de Clausewitz et Sun Tzu quelques idées sans grands liens entre elles, mais pour lesquelles nous n’avions pas suffisamment de matière nous permettant d’en faire des billets complets. Du vrac, donc !…

Les deux stratèges diffèrent dans le concept-clé de Clausewitz nommé « centre de gravité ». Pour le stratège prussien, ce dernier est unique et constant. Pour Sun Tzu au contraire, il est pluriel et versatile. Nous avons développé ce sujet dans notre billet Du modelage de l’ennemi où, à travers l’image du boxeur, nous illustrions bien toute la différence entre la théorie clausewitzienne et celle suntzéenne.

Pour les deux stratèges, le rapport de force se crée fondamentalement et de manière instable et délicate dans le rapport affectif du peuple et du souverain, ainsi que du peuple sous les armes et du commandement militaire, rapports qui dans un camp (plus que dans l’autre) permettent, le moment venu, de demander à la population un effort exceptionnel. Les formulations sont dans la forme très différentes, mais l’idée reste la même. Notons toutefois que si Clausewitz s’attarde beaucoup sur l’importance des forces morales, il ne les traite que pour son propre camp et n’envisage pas la possibilité, comme le fait Sun Tzu, de chercher à affaiblir celles de l’ennemi.

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Sun Tzu vs Clausewitz : Le général doit-il être intrépide ou calculateur ?

Le chef doit-il être réfléchi en toute circonstance ?

Le chef doit-il être réfléchi en toute circonstance ?

Nous avions vu que le génie du chef de guerre suntzéen réside plus dans sa capacité d’analyse et de calcul que dans son intuition créative : Sun Tzu préfèrera au final le chef posé et calculateur à celui enclin à prendre de grands risques. Louant la planification, Sun Tzu n’accepte la prise de risque que si cette dernière est finement évaluée. Le général trop impulsif, prompt à réagir sans une mûre réflexion, court à sa perte car se laissera manipuler par l’adversaire. La sagesse et la raison doivent dès lors tempérer les velléités du chef militaire, le courage seul ne pouvant que conduire au désastre :

« Si, ne pouvant contenir son impatience, le commandant en chef lance prématurément l’assaut général en envoyant ses hommes escalader les remparts tels des fourmis, il perdra un tiers de ses effectifs sans avoir enlevé la place. Telle est la plaie des guerres de siège. » (chapitre 3)

« Autrefois, on considérait comme habiles ceux qui savaient vaincre sans péril ; ils ne bénéficiaient ni de la réputation des sages ni de la gloire des preux ; avec eux, pas de combats douteux ; l’issue n’était pas douteuse, en ce que, quelle que fût la stratégie employée, ils étaient nécessairement victorieux car ils triomphaient d’un adversaire déjà à terre. » (chapitre 4)

Clausewitz au contraire ne considère pas l’intelligence et la sagesse comme les plus grandes qualités requises pour un chef militaire. Il préfère l’action immédiate, impulsive, à celle longuement réfléchie :

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Le génie militaire, la (fausse) recette de la victoire ?

Génie militaire

Il existe encore de par le monde des génies militaires capables de rivaliser avec Sun Tzu…

Vous connaissez sans doute cette fable moderne du vieil homme d’affaires qui, au soir de sa vie, transmet à son fils le secret de sa réussite : « Achète lorsque le cours est bas, vends lorsque le cours est haut, et tu feras fortune ! ». Bien entendu, le fils ne sait comment mettre en pratique ce précepte, qui est pourtant réellement l’unique principe qu’a suivi le père pour bâtir sa fortune.

Nous retrouvons ce même type de recommandations, apparemment stériles, dans L’art de la guerre qui explique que, pour vaincre, le général doit tout simplement être bon :

 « Celui qui sait le mieux doser les stratégies directes et indirectes remportera la victoire. » (chapitre 7)

L’art de la guerre n’explicite pas en termes concrets comment « posséder à fond la dialectique du direct et de l’indirect ». Pour Sun Tzu, le général doit avoir le coup d’œil, l’intuition et le génie créatif pour remporter la victoire. Et il ne livre pas le procédé permettant d’atteindre cette excellence : ses recommandations sont plus là à titre d’exemples de ce que le génie peut produire que comme un catalogue doctrinal qui serait exhaustif.

Comme nous l’avions vu dans le billet Du charisme du général, la majorité des qualités requises pour être général est innée, la guerre se gagnant d’abord grâce au choix judicieux du souverain qui aura su désigner le bon chef des armées.

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Transformer les lapins en lions

Comment transformer des paysans en guerriers ?

Comment transformer des paysans en guerriers ?

Toute la réflexion de L’art de la guerre s’inscrit dans le cadre d’un univers de conscription. Sans armée professionnelle, le problème qui se pose au général est donc de transformer des paysans, n’y connaissant rien au maniement des armes, en militaires aptes à remporter des victoires. Sa solution n’est pas d’avoir une armée de métier, ni même d’instaurer un service militaire (comme le préconisait par exemple son contemporain Wu Zixu[1]), mais bien de faire avec la ressource, aussi inapte à la guerre soit-elle.

Nulle part Sun Tzu n’évoque le recours à l’entrainement, à une formation initiale du combattant. Encore moins si cet entrainement doit se faire en temps de paix ou au moment de la levée des troupes. La lecture de L’art de la guerre laisse entendre qu’il suffit de lever une armée de paysans et de bien les manœuvrer pour remporter la guerre. Or pour bien manœuvrer les troupes, il convient que ces dernières soient bien entrainées.

Comment donc le paysan se transforme-t-il en soldat ? Bien que cela ne soit pas explicitement énuméré, il nous apparaît que cette transformation s’appuie sur quatre procédés :

  • le charisme du général ;
  • la vertu ;
  • la carotte et le bâton ;
  • la mise des hommes dans une situation mortelle.

Le premier de ces piliers réside dans la capacité du général à être obéi de ses troupes :

« Qui sait commander aussi bien à un petit nombre qu’à un grand nombre d’hommes sera victorieux. Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire. » (chapitre 3)

Nous avons récemment consacré un billet à cette thématique du charisme du général, nous n’y reviendrons donc pas.

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