Une récente publication anglo-saxonne relative à Sun Tzu a retenu notre attention : The science of war, de Christopher MacDonald.
Sous-titré « L’Art de la guerre de Sun Tzu re-traduit et re-considéré », cet ouvrage se donne pour ambition de proposer une nouvelle traduction qui dépasserait l’exercice simple de version, pour chercher à retranscrire au mieux les idées que Sun Tzu voulait exprimer. À partir de la version chinoise de Sun Hsing-yen (1752-1818), Christopher MacDonald a manifestement souhaité transmettre le plus finement possible la pensée de Sun Tzu. Il consacre ainsi une (petite) partie de son ouvrage à présenter les problématiques de la traduction, livrant cinq exemples de ses choix :
- La toute première phrase du traité « La guerre est la grande affaire des nations » (chapitre 1, traduction de Jean Lévi), rendu par « War is the defining function of the state ».
- « Être victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin. » (chapitre 3), rendu par « The military ideal is to force an opposing army to submit without battle ».
- « Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait. » rendu par « When one understands the condition of the opposition, but does not understand the condition of one’s own side, one fights a undred battle without ever facing defeat. »
- Ensuite Christopher MacDonald s’interroge sur la meilleure façon de rendre le terme Dao ; il retient in fine la formulation « moral and political authority ».
- Enfin, le traducteur s’intéresse à un autre caractère difficilement transposable de la langue chinois : le shi (勢), pour lequel Jean Lévi utilise le mot « puissance », et que Christopher MacDonald rend par « strategic dominance ».
La traduction elle-même est enrichie de titres donnés aux paragraphes, afin d’en faire apparaitre distinctement l’idée. L’initiative est heureuse (même si elle constitue un rajout apocryphe au strict texte de Sun Tzu) et permet de bien mieux prendre conscience des grandes idées qu’avec le seul texte découpé en paragraphes (rappelons que le découpage en paragraphe est déjà un choix de traducteur).
À noter qu’une version du texte chinois est également incluse dans l’ouvrage.
Surtout, la traduction est complétée de plusieurs études de l’auteur.
La première est l’analyse du traité, l’auteur met en évidence trois oppositions que le général doit maitriser :
- Les forces régulières et extraordinaires
- Le vide et le plein
- Le direct et l’indirect (idée provenant du chapitre 7 : « Celui qui sait le mieux doser les stratégies directes et indirectes remportera la victoire. »)
Et ce que l’on pourrait rendre par trois « principes de la guerre » :
- « La victoire » (Le souverain et le général doivent avoir une vision claire et commune de l’objectif à atteindre)
- La connaissance (l’information préalable)
- La supériorité stratégique
Cette analyse est très intéressante et témoigne manifestement d’une véritable appropriation du traité par l’auteur. Pour la compléter, sont également données une trentaine de citations du texte, présentées par thème :
- Pourquoi la guerre ?
- Esprit et manœuvre
- Le coût de la guerre
- La discipline
- Être général en chef
- La logistique
- La limitation des dommages
- Éviter les sièges
- Défense et attaque
- Victoire
- La supériorité stratégique
- Le contrôle du champ de bataille
- Le moral
- Le courage
- Patience et prudence
- Exploiter la victoire
Objet original, cette sélection ordonnée de citations non commentées n’est pas dénuée d’intérêt.
Une grosse partie de l’ouvrage traite ensuite de l’application des préceptes de Sun Tzu dans les modes opératoires de plusieurs grands chefs de guerre : Cao Cao, Gengis Khan et Napoléon. Comme nous l’avons déjà écrit, nous n’adhérons guère à cette façon de procéder. Il nous parait en effet possible de tout justifier avec des exemples historiques, aussi bien un précepte que son exact contraire. À noter que Christopher MacDonald se montre assez prudent quant à la connaissance par Napoléon des préceptes de Sun Tzu : « Napoléon n’a jamais fait publiquement référence au traité, et aucune preuve ne nous permet d’identifier précisément une évolution de sa pensée militaire qui résulterait d’une lecture du traité. »
Une autre partie de l’ouvrage se consacre à l’application du système suntzéen par le gouvernement chinois actuel. Nous sommes par principe dubitatifs vis-à-vis de l’exercice, même si nous trouvons intéressant de regarder si la grille de lecture suntzéenne pourrait coller à l’existant et permettrait de prédire le futur.
Enfin, une bibliographie clôture l’ensemble. Si celle-ci est relativement importante, on regrettera cruellement qu’elle ne soit pas commentée et qu’elle ne s’avère à la lecture qu’un long égrainage de références regroupées seulement par thèmes.
En conclusion : une traduction anglaise de qualité de L’Art de la guerre, complétée d’une riche et intéressante étude sur le traité. Une référence.
272 pages, 20 euros, aux éditions Earnshaw Books.