L’art du grand n’importe quoi

Sun Tzu aurait-il vraiment cautionné cela ?

Sun Tzu aurait-il vraiment cautionné cela ?

Un article intitulé « Petit manuel de cyberguerre économique d’après Sun Tzu » est paru dans le numéro 24 des Grands dossiers de Diplomatie magazine. Ce texte est très intéressant, car il est la parfaite illustration que l’on peut écrire à peu près n’importe quoi en se recommandant de Sun Tzu. L’auteur s’est en effet ici essayé à rédiger un « Art de la guerre appliqué à la cyberguerre économique » ; et le résultat est plutôt édifiant pour qui connait un tant soit peu le traité de Sun Tzu. A titre d’exemple, voici comment l’auteur de l’article transpose à sa thématique le chapitre 12 de L’art de la guerre :

  1. De l’art d’attaquer par le feu

Il ne faut pas hésiter à « faire feu » en face d’attaques non conventionnelles et dénoncer sans scrupules les internautes qui ne respectent pas les conditions générales d’utilisation édictées par un média. Par exemple, nous recommandons la dénonciation des faux profils ou usurpations d’identité aux administrateurs d’un site (Facebook, Twitter, Wikipédia, etc.) De même, le recours à un arsenal juridique en cas de diffamation ou d’attaques illégales doit faire partie des solutions envisagées.

Nous invitons le lecteur à se replonger dans ce 12e chapitre (très bref : moins de 500 mots) pour réaliser à quel point la transposition citée ici n’a absolument aucun rapport avec les idées développées par Sun Tzu. L’auteur s’est simplement appuyé sur le titre du chapitre, « attaquer par le feu », et a laissé libre cours à son imagination. Et ne croyez pas qu’il s’agit là d’un contre-exemple : tout l’article est de la même trempe !

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De l’art de dévoyer Sun Tzu

Il est aisé de détourner le propos de Sun Tzu

Il est aisé de détourner le propos de Sun Tzu

La structure de L’art de la guerre étant totalement chaotique, il convient de comprendre le système suntzéen dans sa globalité pour être certain de ne pas se fourvoyer lorsque l’on en extrait une citation. Nous allons voir à travers un exemple comment un commandement pris isolément peut se voir détourné de sa signification :

« On ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé. » (chapitre 12)

Pris tel quel, il paraît normal de comprendre qu’il ne faut pas déclencher de guerres autres que défensives, et que toute action dont la seule fin serait d’accroître son territoire ou sa puissance serait dès lors proscrite. Or cette assertion de Sun Tzu s’inscrit en réalité dans le cadre plus général de la recommandation au chef militaire et au souverain de savoir maîtriser leurs humeurs et de ne pas se laisser emporter par la colère :

« On n’entreprend pas une action qui ne répond pas aux intérêts du pays, on ne recourt pas aux armes sans être sûr du succès, on ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé. Un souverain digne de ce nom ne lève pas une armée sous le coup de la colère, le véritable chef de guerre n’engage pas la bataille sur un mouvement d’humeur. Ils n’entreprennent une action que si elle répond à leur intérêt, sinon ils renoncent. Car si la joie peut succéder à la colère et le contentement à l’humeur, les nations ne se relèvent pas de leurs cendres ni les morts ne reviennent à la vie. »

Interprétée sous un angle pacifiste, la citation « On ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé » peut donc parfaitement être dévoyée et trahir la pensée originelle de Sun Tzu. L’art de la guerre n’interdit en effet pas de combattre simplement pour accroître son pouvoir (cf. notre billet Pourquoi fait-on la guerre ?). Sun Tzu considère que la guerre fait partie de la nature humaine, et sa recommandation vise ici seulement à préciser qu’il faut bien prendre en considération ce que nous nommerions aujourd’hui « l’état final recherché » pour être sûr que l’opération en vaille la chandelle. De façon particulièrement visionnaire, Sun Tzu cherche à éviter que l’exacerbation d’un conflit débouche sur la « montée aux extrêmes » postulée par les théoriciens de la guerre moderne au premier rang desquels trône Clausewitz. Une telle vision du monde s’inscrit dans le droit fil de toute la réflexion chinoise, des taoïstes aux confucéens.

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De l’art d’interpréter Sun Tzu

Une application de Sun Tzu au monde des affaires

Une application de Sun Tzu au monde des affaires

Les propos de Sun Tzu doivent parfois faire l’objet d’une extrapolation pour être exploitables (nous y reviendrons dans un prochain billet). L’exercice est délicat, et une grande source d’écueils dans l’interprétation peut être trouvée dans les adaptations du traité aux autres domaines que la guerre.

Nous allons en présenter une à titre d’exemple, issue de l’ouvrage de Karen Mc Creadie, Sun Tzu – Leçons de stratégie appliquée[1]. Ce dernier adapte 52 préceptes de Sun Tzu au monde de l’entreprise. Si la plupart des transpositions sont relativement logiques, certaines sont toutefois surprenantes ! Ainsi, la leçon 28 s’intéresse au commandement suivant :

« On [supplée] à la voix par le tambour et les cloches ; à l’œil par les étendards et les guidons. » (chapitre 7)

La traduction pour les managers devient alors :

« On perd tous les jours des occasions de gagner ou d’économiser de l’argent. Les gens qui ont les idées ne parlent à personne car ils ne savent pas à qui s’adresser ou s’ils sont censés le faire. Instituez des réunions informelles tous les mois dans lesquelles les employés abandonnent leurs outils pour l’après-midi et échangent des idées sur la manière d’améliorer l’activité autour d’une bière. »

Le raisonnement ayant conduit à cette interprétation moderne est le suivant : Sun Tzu reconnaît la nécessité d’instaurer des communications claires pendant le combat, donc une communication claire est très importante dans le monde de l’entreprise ; et pour avoir une communication claire dans l’entreprise, il faut instituer des réunions informelles. Le rapport avec le propos originel de Sun Tzu semble assez lointain, mais nous parait cependant honnête : nous considérons personnellement que la leçon à tirer de cette maxime est que le général doit avoir le souci de sa chaine de commandement, c’est-à-dire, traduit de façon moderne, de ses SIC.

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Les citations de Sun Tzu : populaires, mais parfois fausses !

Impressionnant ce que Sun Tzu a pu dire dans ses carnets secrets !…

Impressionnant ce que Sun Tzu a pu dire dans ses carnets secrets !…

Nous avons constaté dans notre précédent billet combien populaires étaient les citations issues de L’art de la guerre. Malheureusement, certaines d’entre elles sont fausses ! En voici les dix plus fréquentes, glanées au fil du web : (inutile d’indiquer leurs sources, les moteurs de recherches dénonceront les coupables…)

« Gardez vos amis près de vous et vos ennemis encore plus près.»

« Les opportunités se multiplient lorsqu’elles sont saisies. »

« Un chef dirige par l’exemple et non par la force. »

« La stratégie sans tactique est la route la plus lente vers la victoire ; la tactique sans stratégie est le fracas annonciateur de la défaite. »

« Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles. »

« En tuer un pour en terrifier un millier. »

« Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre. »

« La guerre est semblable au feu ; ceux qui ne veulent pas déposer les armes périssent par les armes. »

« Dites aux gens ordinaires ce qu’ils veulent entendre. »

« L’affaiblissement ou l’élimination d’un adversaire est possible grâce à un usage habile d’une rumeur ponctuelle ou répétitive savamment diffusée. »

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Les meilleures citations de L’art de la guerre ?

Les citations les plus populaires sont…

Les citations les plus populaires sont…

Le fil Sun Tzu Dit va incessamment franchir la barre du millième abonné. Pour mémoire, ce fil Twitter que nous animons depuis maintenant deux ans en parallèle de ce blog propose deux fois par jour une citation de Sun Tzu (extraite de la traduction de Jean Lévi de L’art de la guerre). Son homologue américain, Sun Tzu Daily, ouvert deux ans plus tôt, revendique quant à lui dix fois plus d’abonnés !

Le succès est indubitablement au rendez-vous. Mais pourquoi les citations de Sun Tzu fascinent-elles autant ? Selon nous, pas tant par leur ancienneté : de grands personnages modernes sont cités au même rang lorsque l’on veut appuyer un propos. Mais réellement par leur pertinence. Nous avions l’année dernière cherché à comprendre la raison de l’engouement pour ces citations. Nous estimions que celui-ci provenait essentiellement de la facilité de transposition des préceptes de L’art de la guerre aux domaines autres que le conflit armé ; un public bien plus large que la seule communauté militaire était donc concerné par ces maximes.

Nous avions également relevé le style lapidaire d’écriture de Sun Tzu, restitué dans la traduction française de Jean Lévi, qui se prêtait parfaitement à la contrainte des 140 caractères imposée par Twitter. Rappelons que le traité de Sun Tzu ne fait que 40 pages, et qu’il nous a été possible d’en extraire plus de 300 citations de moins de 140 caractères, toutes porteuses de sens. Il n’y a à notre connaissance pas 300 citations de Clausewitz qui courent sur le Net.

Les trois citations les plus retweetées, que l’on pourrait donc considérer comme les plus populaires[1], sont, par ordre :

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