Les Échecs et l’Art de la guerre

Une nouvelle transposition de L’art de la guerre

Les éditions Contre-Dires publient en ce mois d’avril 2017 la traduction française de Chess and the Art of War, d’Al Lawrence et Elshan Moradiabadi.

Ces mêmes éditions avaient fait paraitre l’année dernière un carnet de notes sur le thème de L’art de la guerre.

Le traducteur, Antonia Leibovici, reprend la traduction des citations de Sun Tzu qu’il avait réalisée pour la version de L’art de la guerre parue en 2011 aux Editions Guy Trédaniel (pour mémoire, les deux maisons d’éditions appartiennent au groupe Guy Trédaniel éditeur).

Comme la plupart des autres ouvrages prétendant transposer L’art de la guerre à un autre domaine que celui du conflit armé (cf. notre billet Trouve-t-on du conflit dans tous les domaines ?), il s’agit en réalité ici d’un plaquage, parfois très forcé, de préceptes de Sun Tzu à une technique déjà bien établie. Comme à l’accoutumée, nous ne nous prononcerons donc pas ici sur la valeur du texte du point de vue échiquéen, mais suntzéen.

Les auteurs – grands joueurs d’échecs – ont malheureusement sombré dans la facilité : il ne s’agit nullement de l’élaboration d’une stratégie à partir de la philosophie de L’art de la guerre, mais simplement de la correspondance entre une technique de jeu d’échecs et des citations glanées, parfois maladroitement, dans le traité chinois. Par exemple, « Un général qui comprend parfaitement les neuf variables [des tactiques] sait se servir de ses armées » se trouve traduit comme « il faut connaître les quatre tactiques échiquéennes basiques : la fourchette, le clouage, l’enfilage et le mat de la rangée du fond »…

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A la recherche du 5e critère

Lecteurs, votre aide est requise !

Lecteurs, votre aide est requise !

Dans le billet Les raisons du succès de Sun Tzu, nous avions identifié quatre facteurs susceptibles d’expliquer pourquoi L’art de la guerre était aujourd’hui si populaire dans le monde civil : l’ancienneté, la brièveté, la superficialité et le thème de la conflictualité. Ainsi :

  • Le manuel de tactique de l’armée de Terre[1] est bref, militaire, et foisonne d’injonctions concrètes, mais peut difficilement se prévaloir de son ancienneté…
  • L’Arthashâstra de Kautilya est un texte ancien, traitant essentiellement de la conflictualité sous l’angle militaire, mais aussi politique, administrative et économique, composé de formules claires, mais extrêmement long : 500 pages réparties sur 15 livres.
  • Le Prince de Machiavel peut également être considéré comme bref, ancien et traitant de la guerre, mais ne se présente pas comme une succession d’injonctions claires et épurées.
  • Le Tao Tö King de Lao Tseu est concis, intelligible et ancien, mais n’a pas pour sujet central le conflit (bien qu’il en traite à plusieurs reprises).

Ces quatre facteurs nous paraissent donc raisonnablement concourir au succès de L’art de la guerre. Toutefois, force est de reconnaitre qu’ils ne sont pas encore suffisants : des traités comme ceux de Wou Tseu[2] ou de Sun Bin[3] répondent bien à tous les critères, mais demeurent relativement inconnus du grand public. Il reste donc au moins une caractéristique à identifier.

Se pourrait-il que ces traités soient trop accrochés à leur époque et pas suffisamment intemporels ? Possible. Cependant, L’art de la guerre regorge lui aussi de préceptes caducs, mais leur dépassement ne semble guère poser de problèmes. Le critère n’est donc pas valable.

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Trouve-t-on du conflit dans tous les domaines ?

The Art Of War For Parenting Your Teenage Child: How To Win A War You Didn't Even Know You Were In

Sous-titre de l’ouvrage : « Comment gagner une guerre à laquelle vous ignoriez que vous participiez »…

Les transpositions du traité de Sun Tzu aux activités autres-que-la-guerre sont légions. Certaines sont aussi improbables que le régime, l’écriture de livre, l’éducation des enfants, voire la prédiction des résultats de la coupe du monde de football !… Nous nous étions d’ailleurs amusés le 1er avril dernier à pasticher ce type de transpositions.

Nous avions évoqué dans notre avant-dernier billet que le thème de la conflictualité était la plupart du temps l’angle d’attaque sous lequel ces transpositions voyaient le jour. Mais y a-t-il réellement du conflit dans tous les domaines ?

Si la chose peut être entendue pour des sujets comme les stratégies d’entreprise ou le management, c’est parce que le cœur de ces activités se base sur la psychologie des protagonistes. Or, Sun Tzu conçoit justement la guerre comme une dialectique entre généraux. Le traitement qu’il propose pour ces situations conflictuelles n’est donc pas absurde à transposer.

Dans L’art de la guerre pour les parents d’adolescents[1], le sous-titre indique clairement « Comment gagner une guerre à laquelle vous ignoriez que vous participiez ». Il se trouve en effet que cet angle de la conflictualité est parfois imposé. L’exercice de la transposition devient alors périlleux. Il est certes toujours possible d’identifier quelque chose contre quoi lutter (pour paraphraser le docteur Knock, toute activité humaine serait une confrontation qui s’ignore…), mais le fait de ne pas avoir deux adversaires pleinement conscients de se livrer une lutte peut fausser les conclusions tirées par Sun Tzu.

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Les raisons du succès de Sun Tzu

L'art de la guerre, l'ouvrage retenu par Paris Hilton pour faire intellectuelle...

L’art de la guerre, l’ouvrage retenu par Paris Hilton pour poser en intellectuelle…

Pourquoi L’art de la guerre connait-il un tel succès auprès du monde civil ? La réponse à cette question n’est pas si simple qu’il y parait. Il n’existe en effet pas de critère unique qui permettrait d’expliquer cette bonne fortune. Nous avons toutefois identifié quelques facteurs qui nous paraissent susceptibles d’expliquer cette situation. Aucun n’est autosuffisant. Mais ensemble, ils participent peut-être de l’alchimie qui rend Sun Tzu si populaire.

  • L’ancienneté

Cette caractéristique, sublimée par la reconnaissance de « plus ancien traité de stratégie », peut rapidement s’entendre comme gage de « vérité intemporelle ».

  • La brièveté

Le texte seul de L’art de la guerre ne fait que 40 pages. Cette concision est totalement en phase avec les comportements de notre époque, qui y regardent à deux fois avant de s’attaquer à un pavé comme le De la guerre de Clausewitz.

  • Le style superficiel

L’art de la guerre a un style d’apparence superficiel : succession d’injonctions claires et simples, concises, sans longs développements, il en ressort une sensation d’accessibilité bien supérieure aux traités de Machiavel ou Guibert, moins dépouillés.

Pour preuve, le nombre de maximes tweetables et porteuses de sens que nous avons extraites des 40 pages du traité : plus de la moitié des propos de Sun Tzu sont tweetables, c’est-à-dire qu’ils constituent des maximes autoporteuses de moins de 140 signes. Les 337 préceptes que nous avons sélectionnés représentent un total de 5506 mots, sur les 9668 qui composent L’art de la guerre. Pourrait-on envisager un tel ratio avec les 800 pages du De la guerre de Clausewitz ? Combien de maximes feraient d’ailleurs moins de 140 caractères ?…

Ce style affirmatif (quasiment pas démonstratif, ou alors très brièvement) rend dès lors aisée la transposition de ses préceptes à n’importe quelle discipline. Continuer la lecture

L’art de la guerre de Sun Tzu, ouvrage militaire préféré des civils

Un traité militaire qui inspire surtout le monde civil !

Un traité militaire qui inspire surtout le monde civil !

Contre toute attente, le succès que rencontre aujourd’hui Sun Tzu ne vient pas tant du monde militaire que du monde civil. Si L’art de la guerre dispose d’une incontestable stature de par sa position de plus ancien traité stratégique du Monde, l’affirmation selon laquelle il serait enseigné dans toutes les académies militaires est inexacte (nous consacrerons bientôt un billet à ce sujet). A part peut-être pour les guérillas latino-américaines, la doctrine de Sun Tzu n’a jamais servi de référence, pas même en Chine où il constitua pourtant pendant neuf cents ans la base des études stratégiques qu’il fallait absolument maîtriser pour passer les examens de fonctionnaire militaire impérial.

Au sein de la communauté militaire, le traité de Sun Tzu ne sert donc à rien d’autre qu’à fournir des citations pour justifier a posteriori une idée de manœuvre. Nous avions vu dans notre billet Quel est aujourd’hui l’intérêt de lire Sun Tzu ? voire dans notre article Doit-on enseigner Sun Tzu aux militaires ? que si L’art de la guerre pouvait bien présenter un intérêt pour le militaire, il ne pouvait en aucun cas servir de manuel de doctrine. Nous avions de toute façon évoqué la quasi-impossibilité d’utiliser un traité de stratégie comme doctrine.

En revanche, force est de constater le succès de ce texte dans le monde civil, notamment à travers ses innombrables versions et surtout la quantité et la diversité de ses transpositions à tous les domaines possibles : là où au départ seuls les mondes de l’économie et de l’entreprise avaient trouvé un intérêt dans le traité chinois, il n’existe guère aujourd’hui de discipline qui ne connaisse pas sa transposition de L’art de la guerre.

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