Sun Tzu peut-il aider les sapeurs-pompiers ?

L'art de la guerre contre le feu

L’art de la guerre contre le feu

L’art de la guerre pourrait-il être d’une quelconque inspiration dans le domaine de la lutte contre les incendies ?

La question n’aurait en effet rien d’incongru puisque Sun Tzu consacre un chapitre entier aux attaques par le feu[1]. En outre, un grand nombre de pompiers étant militaires[2], L’art de la guerre pourrait faire partie de leurs classiques doctrinaires.

Si Sun Tzu voit le feu essentiellement pour son potentiel d’attaque (les attaques par le feu), il évoque également comment s’en prémunir :

« Toute armée doit connaître les modalités inhérentes aux cinq sortes d’attaques par le feu, afin de s’en protéger par les moyens appropriés. » (chapitre 12)

Pourtant, il n’y a rien à tirer de Sun Tzu dans ce domaine !

En effet, L’art de la guerre traite de… guerre ! Et la guerre est d’abord un affrontement de volontés. Comme l’a défini le général Beaufre en parlant de la stratégie, une « dialectique des volontés employant la force pour résoudre les conflits[3] ». Ici, « l’adversaire » ne serait qu’un phénomène physico-chimique (induisant potentiellement des effets mécaniques) dépourvu de toute intelligence, volonté, ou ruse. Adversaire complexe, mais mécanique. Aucun besoin de convaincre l’ennemi, de le faire renoncer à ses projets, de le duper : on le vainc en cassant sa mécanique.

Apportons toutefois une nuance : il est souvent apparu que le feu avait un comportement étonnant et que les pompiers, s’ils n’y prenaient garde, pouvaient eux-mêmes créer des modifications dans le comportement de l’incendie. C’est dès lors face au facteur « surprise » que le pompier est confronté[4].  Mais force est de constater que les préceptes et la philosophie de L’art de la guerre ne coïncident pas avec la globalité de cette lutte.

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De l’incompréhension classique de L’art de la guerre

Un ouvrage donnant une vision incorrecte de L'art de la guerre

Un ouvrage donnant une vision erronée de L’art de la guerre

La récente parution de l’ouvrage Le grand livre de la Chine va nous servir d’illustration pour évoquer un problème récurrent dans les fiches de lecture de L’art de la guerre : l’incompréhension de la nature chaotique du traité.

En effet, dans le cadre de son étude de la Chine, l’ouvrage consacre quelques pages au traité de Sun Tzu, le présentant en ces termes :

L’Art de la guerre est constitué de treize articles qui couvrent tous les sujets militaires pour mener à la victoire. Ainsi sont évoqués les thèmes de l’évaluation, de l’engagement, de la stratégie, des analyses du plein et du vide, des neufs changements, des attaques par le feu… Le livre enseigne les cinq facteurs de la réussite : [le dao, le ciel, la terre, le commandant et l’organisation.]

Ces propos reflètent, selon nous, une lecture totalement superficielle du livre relevant du simple survol mal compris. En effet, s’attacher à la structure des chapitres (ou articles) et y comprendre une réflexion organisée et structurée sur la guerre est une erreur : L’art de la guerre ne peut se lire comme un traité moderne, architecturé selon une logique démonstrative. Les propos, bien que rassemblés sous forme de chapitres, n’ont pas d’ordre précis ni de liens entre eux. L’art de la guerre doit être considéré comme un ensemble de maximes disparates, dont certaines se rassemblent il est vrai en paragraphes cohérents, pour lesquelles seule une lecture globale se détachant de la structure en chapitre permet de bien saisir le sens.

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Des niveaux tactique et stratégique

Tactique ou stratégie ?

Tactique ou stratégie ?

Afin de poursuivre la réflexion commencée dans le billet Jusqu’où interpréter Sun Tzu ?, nous allons nous intéresser à un type de détournement des propos de L’art de la guerre relativement pernicieux : celui de la confusion des niveaux tactique et stratégique.

Notons pour commencer que Sun Tzu ne formalise pas cette existence de différents niveaux de décision. Il les voyait probablement comme un continuum et non comme des catégories pouvant présenter des ruptures. Nous tâcherons cependant ici de lire son traité à travers ce prisme d’une distinction entre le niveau stratégique et le niveau tactique[1].

Certains des préceptes de L’art de la guerre sont rattachables avec certitude à un niveau :

« On n’entreprend pas une action qui ne répond pas aux intérêts du pays, on ne recourt pas aux armes sans être sûr du succès, on ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé. » (chapitre 12) : niveau stratégique

« Si les oiseaux s’envolent, il y a embuscade, si les quadrupèdes fuient, il se prépare une offensive générale. » (chapitre 9) : niveau tactique

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Du succès des citations de Sun Tzu

L'art de la guerre, un réservoir de citations

L’art de la guerre, un réservoir de citations

Les citations issues de L’art de la guerre rencontrent un véritable succès. En témoigne la croissance ininterrompue du fil Twitter Sun Tzu Dit, qui vient de franchir la barre des 500 abonnés après seulement un an d’existence. Son homologue américain, Sun Tzu Daily, ouvert deux ans plus tôt, revendique déjà quant à lui plus de 7000 abonnés. Pourquoi un tel attrait ?

Force est d’abord de constater que si les offres de citations quotidiennes abondent, nous n’en avons trouvé aucune qui soit spécifiquement dédiée à un auteur unique (excepté pour les hommes politiques vivants…). Non seulement parmi les stratèges, mais également parmi les philosophes : personne d’autre que Sun Tzu ne semble trouver un écho quotidien à ses aphorismes sur la toile. Chose plus troublante encore : les écrits de Sun Tzu font en tout et pour tout 40 pages. Il nous a pourtant été possible d’en retirer près de 350 citations « tweetables » !

Comment expliquer cette situation ?

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Sun Tzu, une icône de la culture pop ?

Un tag urbain citant Sun Tzu

Le nom de Sun Tzu peut désormais réellement être considéré comme faisant partie de la culture populaire française. Outre les déclinaisons en bandes dessinées, Sun Tzu est ainsi présent aussi bien sur des tags urbains (Cf. illustration ci-contre) que dans des chansons de rap[1]. L’art de la guerre est cité dans des films et fait même l’objet de jeux (nous reviendrons sur ces supports dans de prochains billets).

Un indicateur intéressant de la popularité de Sun Tzu en France nous paraît être le nombre de fausses citations qu’on lui attribue. Il s’en trouve partout : sur Internet bien sûr (« Une foule ne fait pas une armée, un tas de briques, un mur. », site Zone militarisée), dans des revues (« Une attaque peut manquer d’ingéniosité, mais il faut qu’elle soit menée à la vitesse de l’éclair. », Casus Belli de 1988[2]), voire dans des publications officielles militaires ! (« L’affaiblissement ou l’élimination d’un adversaire est possible grâce à un usage habile d’une rumeur ponctuelle ou répétitive savamment diffusée. », Les cahiers du CESAT[3]).

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