Wu Zixu, inspirateur de Sun Tzu

Le tout premier ouvrage français consacré à Wu Zixu

Le tout premier ouvrage des éditions Amiot vient de paraitre. Il s’agit de la compilation retravaillée et enrichie des billets parus sur ce blog et consacrés à Wu Zixu.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi ce cycle, retenons que Wu Zixu est un personnage relativement populaire en Chine, mais totalement méconnu en Occident. Des anciennes chroniques le présentent comme un compagnon de Sun Tzu[1] qui aurait rédigé plusieurs textes, dont un traité de stratégie. Ce traité était considéré par tous comme définitivement perdu, jusqu’à ce que des fouilles archéologiques en mettent miraculeusement au jour un exemplaire en 1983. Très endommagé, sa transcription en chinois moderne ne fut publiée qu’en 2003, sous le titre L’Art de la guerre, en écho au traité de stratégie de Sun Tzu. Cette formidable trouvaille apporta non seulement des éléments de contexte qui permirent de préciser la biographie de son auteur, mais également un éclairage nouveau dans la lecture de L’Art de la guerre de Sun Tzu. Le premier ayant très probablement servi d’inspiration au second.

De quoi parle Wu Zixu, inspirateur de Sun Tzu ?

Après un passage en revue de ce que nous savons du personnage de Wu Zixu, son traité est présenté, étudié, puis comparé avec celui de Sun Tzu. Les aspects politiques de la pensée de Wu Zixu sont également examinés. Enfin, une annexe reproduit le texte traduit en chinois moderne.

Le traitement de ce personnage, fort célèbre en Chine, est relativement inédit en France : s’il est bien possible de trouver quelques mentions de son nom dans des ouvrages spécialisés[2], son rapport avec Sun Tzu n’a en revanche jamais été évoqué. Au moment de la parution de la présente biographie de Wu Zixu, il n’existait même pas de page Wikipédia qui lui était consacrée !

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L’importance des croyances chez Wu Zixu

Une vision ancienne de la voute Céleste chinoise

Une vision ancienne de la voute Céleste chinoise

Dans son Art de la guerre, Wu Zixu s’inscrit fortement dans les croyances de son époque :

« En se conciliant les quatre saisons et les cinq éléments, on peut conquérir le monde. » (Wu Zixu, chapitre 2, traduction de Jian Zhu)

Certains passages du traité relèvent d’ailleurs presque du cours d’astronomie :

« Les principes essentiels du mouvement du monde sont les suivants : le ciel est supérieur comme le père, la terre est inférieure comme la mère ; le soleil, la lune et les étoiles sont le contour général, les vingt-huit constellations sont la référence des étoiles du ciel ; les sept étoiles de la Grande Ourse doivent servir de référence pour lire le reste des étoiles ; elles tournent sans fin. » (Wu Zixu, chapitre 1)

Qui virent rapidement aux croyances :

« L’univers comprend cinq éléments : le métal, le bois, l’eau, le feu et la terre. Ils s’ordonnent, s’engendrent, se maîtrisent et se perpétuent. Comme tout le monde sait, yin et yang sont contraires, mais ils existent toujours ensemble. Par exemple, le ciel et la terre, l’eau et le feu, le soleil et la lune ; le ciel est supérieur comme la voûte céleste, la terre est inférieure en forme de carré, on ne peut pas les renverser. L’eau est la représentante des matières négatives de l’univers, le feu est le représentant des matières positives de l’univers, l’eau et feu sont incompatibles. Le soleil représente la vertu reflétant la bonté et la vie heureuse, la lune représente la peine reflétant les cruautés de la guerre. Le jour et la nuit sont tout à fait distincts. Donc, tous les représentants (le ciel et la terre, le soleil et la lune, l’eau et le feu) se rassemblent et forment le moment propice des quatre saisons (printemps, été, automne et hiver) ; si on les divise et analyse indépendamment, ils contiennent respectivement le caractère de se perpétuer parmi les cinq éléments (métal, bois, eau, feu et terre). » (Wu Zixu, chapitre 2)

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La vertu chez Wu Zixu

 道 dào « la Voie », calligraphie 草書 cǎoshū « herbes folles », un style très libre influencé par le taoïsme.

道 dào « la Voie », calligraphie 草書 cǎoshū « herbes folles », un style très libre influencé par le taoïsme.

« Concernant la domination de l’Etat, il faut se conformer aux lois objectives et aux aspirations du peuple. C’est ce que l’on appelle le dao. En se conformant à cette loi, le pays sera prospère. Sinon le pays sera mort. Donc, si l’Etat respecte le dao, les chances qu’il soit prospère augmentent de jour en jour. S’il relâche son attention à respecter le dao, ses chances s’écoulent jour après jour comme l’eau du fleuve. » (Wu Zixu, chapitre 1, traduction de Jian Zhu)

(Concernant le concept de dao chez Sun Tzu, voir notre billet : De la signification du Dào.)

Une grande partie du traité est consacrée à l’exposition des principes moraux :

« Il faut punir les dix brebis galeuses suivantes :

– ceux qui ont la position supérieure et qui sont inaccessibles à la raison, ceux qui sont riches et ne veulent pas aider les pauvres, ceux qui sont égoïstes et ne veulent pas sauver les autres en cas de danger ;
ceux qui n’ont pas de piété filiale pour leurs parents, ceux qui ne respectent pas les personnes âgées ;
ceux qui n’aiment pas leurs jeunes frères et sœurs, ceux qui ne traitent pas les affaires selon la vertu ;
ceux qui malmènent et trompent les autres sur les prix au marché, ceux qui refusent de se corriger en dépit de multiples avertissements ;
ceux qui habitent à la campagne et qui ne respectent ni n’observent la loi et la discipline du village, ceux qui sont brutaux et présomptueux ;
ceux qui ne prennent pas leur responsabilité vis-à-vis de leurs enfants dans leur famille, ceux qui ont perdu les sentiments humains ;
ceux qui sont fonctionnaires et ne servent pas le peuple, ceux qui enfreignent la loi pour un pot-de-vin ;
ceux qui n’aiment pas le travail aux champs, ceux qui mènent une vie oisive ;
ceux qui agissent arbitrairement, ceux qui ourdissent souvent des complots et font passer le vrai pour le faux.

Ce sont des mesures d’urgence pour sauver le peuple et secourir le monde en éliminant ces dix rebuts de la société. » (Wu Zixu, chapitre 8)

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L’exercice du pouvoir selon Wu Zixu

La réflexion de Wu Zixu sur l'exercice du pouvoir est globalement datée, mais des bribes sont à garder.

La réflexion de Wu Zixu sur l’exercice du pouvoir est globalement datée, mais des bribes sont à garder.

Près de la moitié de L’art de la guerre de Wu Zixu (chapitres 1, 2, 8 et 9) traite de l’exercice du pouvoir. Le reste, nous l’avons vu, traite plus spécifiquement de la conduite de la guerre.

Wu Zixu ne se limite pas dans ses réponses au strict cadre de la stratégie militaire. Il s’attache à resituer l’art de la guerre dans un contexte encore plus large, englobant le contexte social, politique et économique.

Un certain nombre d’idées peuvent être soulignées :

– si on accorde un réel intérêt au peuple, l’Etat pourra être prospère, mais si on néglige le peuple, l’Etat subira un désastre ;
– la priorité du souverain consiste à nourrir le peuple ;
– l’Etat ne peut être prospère que quand la situation sociale est stable ; sinon l’oppression des dignitaires poussera le peuple à la révolte et l’Etat courra à la ruine ;
– le souverain doit exercer une politique basée sur la morale, faute de quoi il ne pourra contenir les troubles de son pays ; l’application du droit pénal est le dernier recours ;
– le souverain doit mettre en valeur les actions des mauvaises personnes qui nuisent à la société et à l’Etat, et les condamner afin d’épurer l’environnement politique de l’Etat ;
– le souverain doit convaincre le peuple que la guerre qu’il doit mener n’est pas de son fait mais résulte du manque de sens moral de l’ennemi.

Le sinologue Alain Thote a bien voulu nous livrer sa propre traduction du premier échange du traité :

He Lü s’adressant à Shenxu (Wu Zixu) lui demanda : « Comment un prince échoue-t-il dans son gouvernement, comment y réussit-il ? Comment s’élève-t-il, comment s’abaisse-t-il ? En exerçant son autorité sur le peuple, quand lui faut-il être prudent et quand son action requiert-elle de l’obstination ? Pour se faire obéir, quelles sont les bonnes méthodes à utiliser et les mauvaises qu’il faut s’interdire ? Pour suivre la loi du Ciel, quelle conduite éviter, quelle conduite suivre ? Pour agir conformément à la vertu de la terre, quel modèle prendre, comment y parvenir ? Quand il ne reste plus qu’à employer les armes, quelle voie faut-il suivre ? Continuer la lecture

Comparaison entre les textes de Sun Tzu et de Wu Zixu

Wu Zixu et Sun Tzu dans le manhua L'art de la guerre (paru en France en 2009)

Wu Zixu et Sun Tzu dans le manhua L’art de la guerre (paru en France en 2006)

Nous avons présenté au travers des précédents billets le traité militaire de Wu Zixu, possible contemporain, compagnon et inspirateur de Sun Tzu. Nous allons ici étudier les similitudes entre leurs deux textes.

Globalement, les deux traités abordent les mêmes sujets (sachant que nous ne considérons ici que de la partie militaire du traité de Wu Zixu). Toutefois, tous ne sont pas traités de la même façon. Ainsi, Sun Tzu disserte longuement sur les espions, mais pas Wu Zixu : ce dernier évoque bien le principe de renseignement, mais sans expliciter comment l’acquérir. A l’inverse, on trouve chez Wu Zixu  des idées qui ne seront pas explicitement reprises chez Sun Tzu, bien que présentant un fort intérêt :

« Il est important de bien déterminer un objectif à attaquer. » (Wu Zixu, chapitre 3)

Autre exemple : Wu Zixu évoque la formation du général, sujet dont l’absence de traitement par Sun Tzu nous avait frustrés (cf. notre billet Le génie militaire, la (fausse) recette de la victoire ?). Alors que Sun Tzu se contente d’affirmer que le général doit, à peu de choses près, être parfait, Wu Zixu évoque qu’il doit réfléchir sur la place des cinq éléments (métal, bois, eau, feu et terre). Cela peut certes paraitre insuffisant pour comprendre comment l’on devient un grand général, mais la réflexion a au moins le mérite d’être amorcée.

Des thèmes fondamentaux sont communs aux deux stratèges, un certain nombre de préceptes faisant directement écho à ceux de Sun Tzu. En voici un premier recensement :

L’affrontement armé ne doit être que le dernier recours :

« Conquérir par les armes, c’est la méthode qu’il ne faut employer qu’en dernier recours. » (Wu Zixu, chapitre 1)

« Le mieux, à la guerre, consiste à attaquer les plans de l’ennemi ; ensuite ses alliances ; ensuite ses troupes ; en dernier ses villes. » (Sun Tzu, chapitre 3) Continuer la lecture