1772, Sun Tzu atteint l’Occident

La toute première version de L'art de la guerre du monde occidental

La toute première version de L’art de la guerre du monde occidental

En 1772 paraissait à Paris sous le titre « Les treize articles sur l’art militaire, par Sun-tse » (par endroits abrégé en « Les treize articles de Sun-tse ») la toute première traduction française – et du monde occidental – de L’art de la guerre. Le traité ne constituait pas encore un livre en lui-même : il n’était que l’un des textes regroupés dans un recueil plus général intitulé « Art militaire des Chinois ».

Sa traduction en avait été assurée depuis la Chine par un jésuite missionnaire, le père Joseph-Marie Amiot. Ce dernier répondait à la commande du ministre français Henri Bertin qui se montrait très désireux « d’avoir des connaissances sur la Milice Chinoise ». Le texte, parti de Chine en 1766 et arrivé à destination l’année suivante, fut publié cinq ans plus tard (après quelques corrections cosmétiques) par l’orientaliste Joseph de Guignes au sein du recueil sus-évoqué. Le Mercure de France de 1772 indique que l’Art militaire des Chinois ne parut qu’à « un très petit nombre d’exemplaires », sans plus de précisions.

S’il fut correctement recensé et commenté dans toute la presse de l’époque (L’année littéraire, Le journal encyclopédique, Le journal des savants, etc.), il plongea aussitôt dans l’oubli et ne fut plus cité que très épisodiquement durant les deux siècles qui suivirent. Les principales raisons en furent qu’à cette époque, la Chine avait arrêté de fasciner la France, et surtout que paraissait la même année l’Essai général de tactique du comte de Guibert qui focalisa toute l’attention sur le plan militaire. A une exception près[1], le traité passa ainsi totalement inaperçu.

Une réédition de cet Art militaire des Chinois paru pourtant bien en 1782, sous la forme du septième tome (sur quinze) d’une monumentale encyclopédie de la Chine intitulée « Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois par les missionnaires de Pé-kin ». Cette nouvelle édition connut malheureusement le même sort, et le traité de Sun Tzu sombra aussitôt dans l’oubli, n’étant plus cité que très épisodiquement par quelques rares érudits orientalistes durant les deux siècles qui suivirent.

Continuer la lecture

Un traité volontairement obscur

Que renferment ces caractères ?

Le traité de Sun Tzu est, nous l’avons vu dans un billet précédent, particulièrement obscur.

Outre les difficultés propres à la langue, Jean Lévi explique[1] que beaucoup de livres privilégiaient à l’époque ancienne une forme cryptique : ils n’étaient pas là pour fournir un exposé clair et raisonné d’une théorie, mais au contraire pour n’être accessibles qu’aux seuls initiés. Une certaine obscurité pouvait ainsi être volontairement recherchée, comme on a pouvait par exemple l’observer chez Lao Tseu[2]. La guerre étant chaos, étant un objet insaisissable, une description correcte doit également être chaotique pour refléter au mieux son sujet. En outre, l’art de la guerre étant un sujet sensible qui ne doit pas être connu par tout le monde, il convient qu’il demeure obscur pour n’être compris que des véritables initiés ! En Chine, s’agissant de la transmission d’un dao, « d’une recette », qui assure la domination, tout message trop clair est dévalorisé, car devenant alors accessible à tous.

Continuer la lecture

Pourquoi le texte original de L’art de la guerre était-il cryptique ?

Une interprétation possible du texte de Sun Tzu

La traduction d’un texte chinois vieux de plus de 2000 ans est particulièrement complexe. Le meilleur moyen de s’en rendre compte est de lire la toute première version de Valérie Niquet datant de 1988, qui était à bien des endroits relativement inintelligible, témoignant des difficultés de sa traductrice à faire émerger du sens d’une telle succession de caractères polysémiques. Nous allons le voir, les caractéristiques de la langue utilisée expliquent en effet grandement les difficultés rencontrées par les traducteurs.

L’étude de la version du Yinqueshan nous fournit une assez bonne idée de ce que pouvait être le traité à ses débuts. Nous avons en effet là un texte écrit dans une forme très ancienne de chinois, dite « chinois classique ». Concise à l’extrême, la structure de cette langue ne permettait guère d’exprimer clairement une idée, laissant au contraire bien souvent au lecteur le soin de la deviner. Si cette plasticité convenait très bien à la poésie, elle ne permettait a contrario pas de transmettre explicitement des notions précises ou subtiles.

Continuer la lecture

Sun Tzu est-il le véritable auteur de L’art de la guerre ?

Qui a écrit L’art de la guerre ?

L’étude de la structure de L’art de la guerre laisse très sceptique quant à la possibilité que le traité ait pu être écrit d’un bloc par un auteur unique.

Comme le fait remarquer le groupe Denma[1], le premier chapitre, le seul adressé au souverain plutôt qu’au général, semble avoir été ajouté le dernier, en au moins deux étapes identifiables. Il se peut que les textes les plus anciens soient ceux qui constituent les chapitres 8 à 11, qui se caractérisent par des topologies et des listes de terrains, et non, comme dans les chapitres précédents, par des passages conceptuellement sophistiqués. Toutefois, les contenus de tous les chapitres sont si profondément mélangés qu’il est impossible de clairement distinguer des strates successives.

Continuer la lecture

Les années 2000 et la folie Sun Tzu

Sun Tzu est partout ! Paris Hilton lisant L’art de la guerre

Les années 2000 (à partir de 1999 pour être exact) marquèrent la véritable explosion de Sun Tzu en France. Alors que, nous l’avons vu récemment, seulement quatre traductions différentes étaient proposées au lecteur en 1998, nous en sommes à plus de vingt en 2012 ! (Cf. notre billet Combien de versions différentes ?). Sans explication apparente, 1999 marqua le déclenchement de cette frénésie où pratiquement chaque année vit apparaître au moins une nouvelle traduction. De même, nombre d’articles sur Sun Tzu furent écrits à partir de cette date (surtout il est vrai en transposition au monde de l’entreprise). Enfin, l’essor d’Internet permit également la prolifération d’articles et de billets mis en ligne sur tout type de blogs.

Nous aurions logiquement pu présenter les parutions par ordre chronologique, mais ce choix nous a paru peu pertinent car chaque nouvelle édition de L’art de la guerre sortait de façon relativement indépendante de celles qui l’avaient précédée. Aussi nous a-t-il semblé plus judicieux de regrouper ces parutions par type :

Continuer la lecture