Sun Tzu en Amérique latine

L’art de la guerre de Sun Tzu pour la lutte contre les narcotrafiquants, en espagnol uniquement

Les guérillas asiatiques et sud-américaines sont les seules à avoir fait explicitement référence à Sun Tzu. Si l’affaire peut s’entendre en Asie, zone naturelle de diffusion d’un traité chinois, elle est en revanche plus surprenante lorsqu’elle touche un univers culturel aussi différent que celui de l’Amérique latine. Quelle en est donc la raison ?

Durant les années 60 et 70, les services secrets chinois ont traduit en espagnol et en portugais les écrits de Sun Tzu, Mao et Giap et en ont assuré une très large diffusion dans tous les pays d’Amérique latine.

Cette action, qui s’inscrivait en pleine guerre froide, visait à favoriser les révolutions dans tous les pays proches des États-Unis. L’entreprise a été un total succès, puisque les opérations de contre-insurrection menées contre les différentes guérillas ont à chaque fois permis de mettre à jour que les références doctrinaires des rebelles étaient basées sur ces ouvrages. Que ce soit grâce au témoignage des défecteurs ou aux documents découverts lors des prises de camps rebelles, il est établi[1] que ces écrits ont servi et servent toujours de manuels tactiques pour le FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale, Nicaragua), l’URNG (Unité Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque, Guatemala), le Sentier Lumineux (Pérou), les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) et l’ELN (Ejército de Liberación Nacional, Armée de libération nationale, Colombie).

Prenons l’exemple de la Colombie, où l’armée est essentiellement tournée vers la guerre contre-insurrectionnelle. Les guérilléros y considèrent en matière de doctrine trois niveaux d’application :

• Le niveau dit « philosophique » : Sun Tzu (L’art de la guerre)
• Le niveau stratégique : Mao (De La Guerre Prolongée)
• Le niveau opératif : Ho Chi Min, Giap (Guerre de libération – Politique, stratégie, tactique et Guerre du peuple, armée du peuple)

Sun Tzu étant utilisé de façon efficace par les révolutionnaires, l’armée colombienne a dû se mettre à l’étudier et l’enseigner de façon officielle pour comprendre et contrer la guérilla.

Les militaires colombiens retiennent essentiellement de Sun Tzu l’importance du renseignement, l’utilisation des espions et l’emploi de la ruse. Ainsi, toute la philosophie de la duperie ou du renseignement qu’expose Sun Tzu est particulièrement décortiquée par les militaires. L’appropriation de Sun Tzu est telle que la ruse est aujourd’hui devenue un des principes de la guerre colombiens. L’opération Jaque de la libération d’Ingrid Betancourt en 2009 en est d’ailleurs une parfaite application puisqu’elle a reposé sur un stratagème.

C’est ainsi que, grâce aux services secrets chinois de la guerre froide, Sun Tzu s’est parfaitement acculturé à un univers aussi différent de l’Asie que peut l’être l’Amérique latine.


[1] Les informations contenues dans ce billet proviennent principalement d’échanges effectués avec un officier de l’Armée de terre colombienne, instructeur de contre-guérilla.

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Une réflexion sur « Sun Tzu en Amérique latine »

  1. La stratégie indirecte décrite par le général Beaufre dans son « Introduction à la stratégie » semble bien utilisée par les groupes irréguliers des pays d’Amérique du sud. Il serait intéressant de savoir si les principes de contre-insurrection mis en œuvre par les États de cette région du monde prennent également appui sur certains préceptes de Sun Tzu. Je pense en particulier à « l’action intégrale » colombienne très bien décrite dans le document du CDEF de l’armée de Terre http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/cahier_recherche/Colombie.pdf.

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