The school of Sun Tzu

Une véritable étude de L’Art de la guerre

The school of Sun Tzu est l’un des rares livres anglo-saxons s’attachant à mener une réelle analyse de L’Art de la guerre : nombre d’ouvrages, qui ont le nom de Sun Tzu ou de son traité dans leur titre, ne font en réalité qu’utiliser le texte du stratège chinois pour illustrer une doctrine construite antérieurement. Ici, la volonté de l’auteur est de livrer une étude sincère L’Art de la guerre.

David G. Jones est Canadien. Il a été manager dans différentes entreprises et a servi au sein de l’armée. La publication de cet ouvrage date de 2012, mais sa rédaction a sans doute été grandement réalisée vers la fin des années 90, comme semble le prouver la 6e partie « passé, présent et futur » qui recense les références anglo-saxonnes à L’Art de la guerre, recension ne s’étendant que très rarement aux années 2000.

Signalons-le tout de suite, David G. Jones a un parti pris fort – mais clairement affiché : « L’Art de la guerre n’a été lu tout au long de son histoire que comme un traité militaire ; il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que l’on comprenne qu’il pouvait porter sur un sujet différent ». L’auteur déplore en effet que « la métaphore militaire utilisée dans L’Art de la guerre – un extraordinaire procédé d’apprentissage – a été vue non comme le medium, mais comme le message ». C’est ainsi que l’auteur lit en premier lieu dans L’Art de la guerre (comme la plupart des commentateurs modernes) une méthodologie de management : le propos est, selon lui, la description des « processus de planification stratégique qui définissent les rôles, relations, dynamiques, valeurs et méthodes pour une gestion d’engagement efficace ».

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A la recherche du 5e critère

Lecteurs, votre aide est requise !

Lecteurs, votre aide est requise !

Dans le billet Les raisons du succès de Sun Tzu, nous avions identifié quatre facteurs susceptibles d’expliquer pourquoi L’art de la guerre était aujourd’hui si populaire dans le monde civil : l’ancienneté, la brièveté, la superficialité et le thème de la conflictualité. Ainsi :

  • Le manuel de tactique de l’armée de Terre[1] est bref, militaire, et foisonne d’injonctions concrètes, mais peut difficilement se prévaloir de son ancienneté…
  • L’Arthashâstra de Kautilya est un texte ancien, traitant essentiellement de la conflictualité sous l’angle militaire, mais aussi politique, administrative et économique, composé de formules claires, mais extrêmement long : 500 pages réparties sur 15 livres.
  • Le Prince de Machiavel peut également être considéré comme bref, ancien et traitant de la guerre, mais ne se présente pas comme une succession d’injonctions claires et épurées.
  • Le Tao Tö King de Lao Tseu est concis, intelligible et ancien, mais n’a pas pour sujet central le conflit (bien qu’il en traite à plusieurs reprises).

Ces quatre facteurs nous paraissent donc raisonnablement concourir au succès de L’art de la guerre. Toutefois, force est de reconnaitre qu’ils ne sont pas encore suffisants : des traités comme ceux de Wou Tseu[2] ou de Sun Bin[3] répondent bien à tous les critères, mais demeurent relativement inconnus du grand public. Il reste donc au moins une caractéristique à identifier.

Se pourrait-il que ces traités soient trop accrochés à leur époque et pas suffisamment intemporels ? Possible. Cependant, L’art de la guerre regorge lui aussi de préceptes caducs, mais leur dépassement ne semble guère poser de problèmes. Le critère n’est donc pas valable.

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L’art de la guerre est-il daté ?

Un traité daté ?

Un traité daté ?

A la différence d’un texte plus abstrait comme le Tao Tö King, L’art de la guerre est fortement ancré dans la réalité physique de son temps. Aussi, certains préceptes paraissent être devenus caducs. Plusieurs raisons à cela :

Soit parce qu’ils étaient trop directement liés à l’armement et aux techniques de combat :

« En présence de monticule ou de remblais on s’établira sur le versant ensoleillé, en y appuyant son flanc droit. » (chapitre 9) : Cette différenciation des flancs gauche et droit résultait probablement du fait que la plupart des soldats étant droitiers, et que le bouclier se tenant dès lors à gauche, il valait donc mieux que l’ennemi se trouvât de ce côté…

Soit parce que les données fournies citaient trop directement des paramètres de l’époque :

« En règle générale, toute opération militaire requiert mille quadriges rapides, mille fourgons à caisse de cuir, cent mille soldats cuirassés, et des vivres en suffisance pour nourrir une armée évoluant à mille lieues de sa base. A ceci s’ajoutent les dépenses pour supporter les efforts de l’arrière et du front, les frais occasionnés par le ballet diplomatique entre royaumes ; les besoins en glu, en laque et en fournitures nécessaires à la réparation ou au remplacement des chars et des armures ; ce qui représente un total de mille lingots par jour. Ce n’est que lorsqu’on dispose de tels fonds qu’on peut envisager de lever une armée de cent mille hommes. » (chapitre 2)

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La nécessaire lecture psychédélique de Sun Tzu

Une lecture « différente » est-elle nécessaire ?

Une lecture « différente » est-elle nécessaire ?

Dans sa forme, L’art de la guerre ne peut être perçu comme un manuel de doctrine moderne. Pour véritablement le comprendre, il est indispensable de faire l’effort d’entrer en lui, de se l’approprier, voire de s’y dissoudre. Il ne se présente pas comme un FT 02 « Tactique générale » ou un Tactique théorique de Michel Yakovleff. Il n’offre pas une structure organisée visant à exposer une doctrine de façon systématique. A l’instar des écrits de sa période, L’art de la guerre est un traité ésotérique ; il livre sa philosophie sous forme de flashes, dont le disciple est censé s’imprégner pour, petit à petit, accéder à la compréhension générale.

Cette façon de transmettre un savoir, très déroutante pour un Occidental moderne[1], est typique des textes chinois de l’époque de Sun Tzu : à l’exception de quelques textes qui furent d’ailleurs justement rejetés pour leur forme jugée « trop sèche »[2], l’imprégnation qui permettait la révélation était la forme normale d’enseignement. Nous avions déjà traité cette idée dans notre billet Des idées en désordre ?. Cette forme particulière conduit généralement à ne rien trouver de profond à une première lecture. Il n’y a qu’à faire l’expérience de lire le Tao Tö King de Lao Tseu pour ressentir cette angoisse d’être passé à côté de quelque chose ; sinon, comment tant de personnes et de philosophes parviendraient-ils à extirper une ligne de conduite claire de cette apparente bouillie poétique ?

Au final, le mode de fonctionnement de L’art de la guerre relève plus de la philosophie que de la doctrine : Sun Tzu doit se lire, se méditer, se relire, et se conserver dans un coin de sa mémoire. Certes, des préceptes clairs ponctuent son propos ; mais s’ils peuvent parfois être pris au pied de la lettre, ils ne sont qu’un constituant d’un système plus vaste. C’est notamment pourquoi la plupart de nos billets visant à traiter une facette du système suntzéen « picorent » bien souvent des préceptes à travers différents chapitres. Les thématiques que nous traitons ne sont jamais de simples paraphrases des propos de Sun Tzu, mais plutôt une compréhension de son système, déduite de notre travail d’immiscion dans le traité.

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La conception de la guerre pour Sun Tzu

De la guerre

De la guerre

Le premier chapitre est indubitablement celui qui prend le plus de hauteur dans la réflexion sur la guerre. Y figurent en effet non seulement la majeure partie des recommandations adressées au souverain (et non au général ; cf. notre billet Du charisme du général), mais également une analyse du fait guerrier :

« La guerre est la grande affaire des nations ; elle est le lieu où se décident la vie et la mort ; elle est la voie de la survie ou de la disparition. On ne saurait la traiter à la légère. » (chapitre 1)

Pour Sun Tzu, si la guerre est certes une calamité qu’il vaut mieux ne pas avoir à affronter, elle n’en demeure pas moins intrinsèque de la nature humaine : rien ne sert de la nier, elle se manifestera de toute façon tôt ou tard. Autant, donc, faire preuve de lucidité en acceptant son inéluctabilité. La guerre est un phénomène incontournable de la vie des États, tout malheureux qu’il soit. Il convient donc d’en étudier la mécanique ; d’autant plus que cette étude pourrait permettre de s’en sortir le moins mal possible, voire bien.

Sun Tzu n’est pas le seul penseur de son époque à considérer le caractère incontournable de la guerre et donc préconiser son étude. Pour Confucius lui-même (cf. notre billet L’environnement philosophique au temps de Sun Tzu), civil et militaire sont liés et, en un sens, complémentaires ; l’idéal reste de gouverner le monde, c’est-à-dire d’assurer sa marche harmonieuse, par les vertus de bienveillance et de justice. Les lettrés confucianistes (qui contrôleront la pensée stratégique chinoise au cours des siècles suivants) affineront cette idée en se rapprochant encore plus de la position suntzéenne : « le meilleur souverain est celui qui gouverne en préparant la guerre sans y avoir recours ».

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