Ceci n’est pas une nouvelle édition de L’art de la guerre

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Cet opuscule n’est pas forcément celui qu’on croit.

Librio, célèbre éditeur de titres à 3 €, vient de publier en janvier un ouvrage intitulé « L’art de la guerre » et sous-titré « De Sun Tzu à de Gaulle, Vade-mecum des situations conflictuelles ». L’ayant rattaché à sa collection « Philosophie », l’éditeur semble vouloir laisser croire qu’il s’agit là du traité de Sun Tzu. Ce n’est pourtant pas exactement le cas. Ce que nous trouvons s’avère bien mieux ! Plutôt qu’une n-ième version du père Amiot (la seule libre de droit qui permettrait de proposer un tel prix), nous avons affaire ici à un recueil d’extraits de textes ayant trait à l’art de la guerre. Si l’ensemble est censé être lié par le thème du traitement des situations conflictuelles, ce n’est là qu’un prétexte pour mettre bout à bout neuf extraits d’œuvres classiques. Concernant L’art de la guerre de Sun Tzu, 5 des 13 chapitres sont reproduits (les six premiers, sauf le deuxième), malheureusement dans leur version du père Amiot/Impensé radical. La sélection d’auteurs est relativement convenue (Clausewitz, Machiavel, de Gaulle, …), sauf un ; on pourra en effet trouver original de voir figurer Proust dans la liste (un passage du Côté de Guermantes où figure un dialogue sur le caractère scientifique ou artistique de la guerre).

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Le pillage : une idée à explorer ?

Du pillage

Le pillage : un procédé pas si caduc que ça…

« Pillez en terrain de diligence. » (chapitre 11)

Indubitablement, Sun Tzu préconise le pillage. Deux raisons à cela : assurer sa logistique, et motiver ses hommes (en leur promettant de se récompenser sur la bête).

Assurer sa logistique :

« Qui est habile à conduire les armées ne procède jamais à deux levées consécutives ni n’a besoin de trois réquisitions de grains. Ses ressources propres lui suffisent et il puise ses vivres chez l’ennemi. C’est ainsi qu’il assure la subsistance de ses troupes. » (chapitre 2)

« Un général avisé s’emploie à vivre sur l’ennemi. Car une mesure prise sur lui en épargne vingt acheminées depuis l’arrière. Un boisseau de fourrage mangé chez lui en vaut vingt venus de l’arrière. » (chapitre 2)

« On pourvoit aux besoins en nourriture des troupes en pillant les campagnes fertiles. » (chapitre 11)

Motiver ses hommes :

« En appâtant [ses hommes] par la promesse de récompenses, [le général] les incite à attaquer l’ennemi pour s’emparer du butin. » (chapitre 2)

« Quand on pille une région, on répartit le butin entre ses hommes ; lorsqu’on occupe un territoire, on en distribue les profits. » (chapitre 7)

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De l’art de dévoyer Sun Tzu

Il est aisé de détourner le propos de Sun Tzu

Il est aisé de détourner le propos de Sun Tzu

La structure de L’art de la guerre étant totalement chaotique, il convient de comprendre le système suntzéen dans sa globalité pour être certain de ne pas se fourvoyer lorsque l’on en extrait une citation. Nous allons voir à travers un exemple comment un commandement pris isolément peut se voir détourné de sa signification :

« On ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé. » (chapitre 12)

Pris tel quel, il paraît normal de comprendre qu’il ne faut pas déclencher de guerres autres que défensives, et que toute action dont la seule fin serait d’accroître son territoire ou sa puissance serait dès lors proscrite. Or cette assertion de Sun Tzu s’inscrit en réalité dans le cadre plus général de la recommandation au chef militaire et au souverain de savoir maîtriser leurs humeurs et de ne pas se laisser emporter par la colère :

« On n’entreprend pas une action qui ne répond pas aux intérêts du pays, on ne recourt pas aux armes sans être sûr du succès, on ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé. Un souverain digne de ce nom ne lève pas une armée sous le coup de la colère, le véritable chef de guerre n’engage pas la bataille sur un mouvement d’humeur. Ils n’entreprennent une action que si elle répond à leur intérêt, sinon ils renoncent. Car si la joie peut succéder à la colère et le contentement à l’humeur, les nations ne se relèvent pas de leurs cendres ni les morts ne reviennent à la vie. »

Interprétée sous un angle pacifiste, la citation « On ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé » peut donc parfaitement être dévoyée et trahir la pensée originelle de Sun Tzu. L’art de la guerre n’interdit en effet pas de combattre simplement pour accroître son pouvoir (cf. notre billet Pourquoi fait-on la guerre ?). Sun Tzu considère que la guerre fait partie de la nature humaine, et sa recommandation vise ici seulement à préciser qu’il faut bien prendre en considération ce que nous nommerions aujourd’hui « l’état final recherché » pour être sûr que l’opération en vaille la chandelle. De façon particulièrement visionnaire, Sun Tzu cherche à éviter que l’exacerbation d’un conflit débouche sur la « montée aux extrêmes » postulée par les théoriciens de la guerre moderne au premier rang desquels trône Clausewitz. Une telle vision du monde s’inscrit dans le droit fil de toute la réflexion chinoise, des taoïstes aux confucéens.

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De l’art d’interpréter Sun Tzu

Une application de Sun Tzu au monde des affaires

Une application de Sun Tzu au monde des affaires

Les propos de Sun Tzu doivent parfois faire l’objet d’une extrapolation pour être exploitables (nous y reviendrons dans un prochain billet). L’exercice est délicat, et une grande source d’écueils dans l’interprétation peut être trouvée dans les adaptations du traité aux autres domaines que la guerre.

Nous allons en présenter une à titre d’exemple, issue de l’ouvrage de Karen Mc Creadie, Sun Tzu – Leçons de stratégie appliquée[1]. Ce dernier adapte 52 préceptes de Sun Tzu au monde de l’entreprise. Si la plupart des transpositions sont relativement logiques, certaines sont toutefois surprenantes ! Ainsi, la leçon 28 s’intéresse au commandement suivant :

« On [supplée] à la voix par le tambour et les cloches ; à l’œil par les étendards et les guidons. » (chapitre 7)

La traduction pour les managers devient alors :

« On perd tous les jours des occasions de gagner ou d’économiser de l’argent. Les gens qui ont les idées ne parlent à personne car ils ne savent pas à qui s’adresser ou s’ils sont censés le faire. Instituez des réunions informelles tous les mois dans lesquelles les employés abandonnent leurs outils pour l’après-midi et échangent des idées sur la manière d’améliorer l’activité autour d’une bière. »

Le raisonnement ayant conduit à cette interprétation moderne est le suivant : Sun Tzu reconnaît la nécessité d’instaurer des communications claires pendant le combat, donc une communication claire est très importante dans le monde de l’entreprise ; et pour avoir une communication claire dans l’entreprise, il faut instituer des réunions informelles. Le rapport avec le propos originel de Sun Tzu semble assez lointain, mais nous parait cependant honnête : nous considérons personnellement que la leçon à tirer de cette maxime est que le général doit avoir le souci de sa chaine de commandement, c’est-à-dire, traduit de façon moderne, de ses SIC.

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L’étude du terrain, un propos vieilli

Terrains

Le choix du terrain est primordial

Surtout concentrée dans les chapitres 9 à 11, une part importante de L’art de la guerre est consacrée à l’étude des terrains. Sun Tzu en livre plusieurs catégorisations :

« Qui ignore la nature du terrain – montueux ou boisé, accidenté ou marécageux – ne pourra faire avancer ses troupes. » (chapitre 7, propos répété quasi in extenso au chapitre 11)

« Montagnes […] milieu fluvial […] zone marécageuse [et] terrain plat. Ces quatre positions avantageuses furent celles qui permirent à l’Empereur Jaune de venir à bout des Quatre Souverains. » (chapitre 9)

« Un terrain peut être accessible, scabreux, neutralisant, resserré, accidenté ou lointain. » (chapitre 10)

« A la guerre, un terrain peut être de dispersion, de négligence, de confrontation, de rencontre, de communication, de diligence, de sape, d’encerclement ou d’anéantissement. » (chapitre 11)

Si les deux premières pourraient être considérées d’un seul tenant, Sun Tzu établissant ici une classification sous le prisme de la topographie, les deux dernières sont plus fourre-tout : pour le chapitre 10, la catégorisation résulte soit de la nature du terrain (pour les « accessibles » et « scabreux »), soit de l’avantage obtenu en cas de confrontation (pour les « neutralisants » et « lointains ») :

« On appelle accessible un théâtre sur lequel les deux belligérants disposent d’une totale liberté de mouvements […] On appelle scabreux un lieu où il est aisé de s’engager et difficile de se dégager […] On appelle neutralisant un lieu où aucune des deux parties n’a intérêt à prendre l’initiative […] Une terre lointaine est celle où, à forces égales, il est hasardeux de provoquer l’ennemi » (chapitre 10)

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