De Sun Tzu à Steve Jobs

Une histoire de la stratégie

Une histoire de la stratégie

Note liminaire : Comme d’habitude, nous n’étudierons cet ouvrage que du strict point de vue suntzéen. Ce billet n’est donc pas une critique du livre pris dans son ensemble.

L’ouvrage cherche à donner une vue succincte (nous sommes loin des références comme l’Anthologie mondiale de la stratégie, le Dictionnaire de stratégie et autre Traité de stratégie) et légère (le texte est parsemé de blagues…) de la stratégie. Cette dernière est d’ailleurs étudiée tant dans son aspect militaire (Machiavel, Clausewitz, Liddell Hart) qu’économique. Bruno Jarrosson est l’auteur ou co-auteur d’une vingtaine d’ouvrages tournant principalement autour de la stratégie d’entreprise.

Le chapitre sur L’art de la guerre ne constitue que 8 des 240 pages du livre. Agréable surprise par rapport aux dernières productions qui citent Sun Tzu sans l’avoir réellement lu : Bruno Jarrosson s’est manifestement réellement plongé dans L’art de la guerre. Les aspects du système suntzéen qu’il choisit de présenter ne trahissent pas la pensée du stratège chinois. L’auteur met en lumière cinq thématiques :

  • L’absence de hasard chez Sun Tzu ;
  • L’objectif de soumission de l’ennemi plutôt que sa destruction (même si nous avons une vision légèrement différente de cette question) ;
  • Le renseignement, dans une partie incorrectement nommée « Le shi et l’effet de levier » : l’auteur ne traite réellement de cette notion de forces régulières et extraordinaires que sur quelques lignes, tout le reste étant consacré au renseignement ;
  • La duperie (avec une illustration humoristique au rapport assez lointain) ;
  • L’harmonie. Cette partie est intéressante car nous en avons une perception différente. En effet, cette notion d’harmonie résulte, selon nous, plus d’une interprétation taoïste du traité que de ce que Sun Tzu a réellement écrit. « L’harmonie du monde » n’est pas altérée par les guerres, car l’activité guerrière est constitutive de l’espèce humaine. Même si nous n’adhérons pas à la lecture qu’en a Bruno Jarrosson, nous ne pouvons que nous réjouir de l’expression de ce point de vue.

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Trouve-t-on du conflit dans tous les domaines ?

The Art Of War For Parenting Your Teenage Child: How To Win A War You Didn't Even Know You Were In

Sous-titre de l’ouvrage : « Comment gagner une guerre à laquelle vous ignoriez que vous participiez »…

Les transpositions du traité de Sun Tzu aux activités autres-que-la-guerre sont légions. Certaines sont aussi improbables que le régime, l’écriture de livre, l’éducation des enfants, voire la prédiction des résultats de la coupe du monde de football !… Nous nous étions d’ailleurs amusés le 1er avril dernier à pasticher ce type de transpositions.

Nous avions évoqué dans notre avant-dernier billet que le thème de la conflictualité était la plupart du temps l’angle d’attaque sous lequel ces transpositions voyaient le jour. Mais y a-t-il réellement du conflit dans tous les domaines ?

Si la chose peut être entendue pour des sujets comme les stratégies d’entreprise ou le management, c’est parce que le cœur de ces activités se base sur la psychologie des protagonistes. Or, Sun Tzu conçoit justement la guerre comme une dialectique entre généraux. Le traitement qu’il propose pour ces situations conflictuelles n’est donc pas absurde à transposer.

Dans L’art de la guerre pour les parents d’adolescents[1], le sous-titre indique clairement « Comment gagner une guerre à laquelle vous ignoriez que vous participiez ». Il se trouve en effet que cet angle de la conflictualité est parfois imposé. L’exercice de la transposition devient alors périlleux. Il est certes toujours possible d’identifier quelque chose contre quoi lutter (pour paraphraser le docteur Knock, toute activité humaine serait une confrontation qui s’ignore…), mais le fait de ne pas avoir deux adversaires pleinement conscients de se livrer une lutte peut fausser les conclusions tirées par Sun Tzu.

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Sun Tzu, l’inventeur de la guerre hybride

Concept nouveau ou ?

Concept nouveau ou réchauffé ?

Le dernier numéro de la Revue Défense Nationale (mars 2016) est consacré à la guerre hybride. Dans un article, intitulé La « guerre hybride » : escroquerie intellectuelle ou réinvention de la roue ?, l’historien Laurent Henninger y fait remarquer que ce concept présenté comme novateur existe en réalité depuis fort longtemps. Il cite ainsi un ouvrage américain[1] où sont présentés neuf exemples historiques allant de l’Antiquité à la guerre du Vietnam, illustrant à quel point le principe de combinaison de forces régulières et irrégulières a couramment été mis en œuvre par le passé.

Mais il est possible de remonter encore plus loin dans le passé. Sun Tzu lui-même commandait en effet explicitement cette pratique :

« En règle générale, on use des moyens réguliers au moment de l’engagement ; on recourt aux moyens extraordinaires pour emporter la victoire. » (chapitre 5)

Nous avions évoqué cette idée maitresse du système suntzéen dans notre billet Des forces régulières et extraordinaires. Nous n’allons donc pas y revenir.

Le concept de « guerre hybride » voit se mêler la guerre dite conventionnelle (avec des armées régulières équipées d’armes de haute technologie) et la guerre dite non-conventionnelle (guérillas menées par des groupes armés irréguliers possédant un armement léger et relevant d’un niveau technologique très limité, milices, unités d’élites, etc.). Exactement ce que préconisait Sun Tzu.

Si bien sûr il n’est pas littéralement écrit dans L’art de la guerre que les forces doivent surfer sur les nouvelles technologies, nul doute que ses recommandations de tenir compte et de s’adapter à l’environnement (qui, à son époque, se résumait à la configuration du terrain et à la météorologie) seraient aujourd’hui déclinées au milieu cyber et aux différentes applications technologiques : GPS, téléphonie satellitaire, drones civils, … Même la guerre de l’information, composante des guerres hybrides, était prévue par Sun Tzu : l’activisme sur les réseaux sociaux pourrait ainsi être directement décliné des injonctions de désinformation de L’art de la guerre.

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Les raisons du succès de Sun Tzu

L'art de la guerre, l'ouvrage retenu par Paris Hilton pour faire intellectuelle...

L’art de la guerre, l’ouvrage retenu par Paris Hilton pour poser en intellectuelle…

Pourquoi L’art de la guerre connait-il un tel succès auprès du monde civil ? La réponse à cette question n’est pas si simple qu’il y parait. Il n’existe en effet pas de critère unique qui permettrait d’expliquer cette bonne fortune. Nous avons toutefois identifié quelques facteurs qui nous paraissent susceptibles d’expliquer cette situation. Aucun n’est autosuffisant. Mais ensemble, ils participent peut-être de l’alchimie qui rend Sun Tzu si populaire.

  • L’ancienneté

Cette caractéristique, sublimée par la reconnaissance de « plus ancien traité de stratégie », peut rapidement s’entendre comme gage de « vérité intemporelle ».

  • La brièveté

Le texte seul de L’art de la guerre ne fait que 40 pages. Cette concision est totalement en phase avec les comportements de notre époque, qui y regardent à deux fois avant de s’attaquer à un pavé comme le De la guerre de Clausewitz.

  • Le style superficiel

L’art de la guerre a un style d’apparence superficiel : succession d’injonctions claires et simples, concises, sans longs développements, il en ressort une sensation d’accessibilité bien supérieure aux traités de Machiavel ou Guibert, moins dépouillés.

Pour preuve, le nombre de maximes tweetables et porteuses de sens que nous avons extraites des 40 pages du traité : plus de la moitié des propos de Sun Tzu sont tweetables, c’est-à-dire qu’ils constituent des maximes autoporteuses de moins de 140 signes. Les 337 préceptes que nous avons sélectionnés représentent un total de 5506 mots, sur les 9668 qui composent L’art de la guerre. Pourrait-on envisager un tel ratio avec les 800 pages du De la guerre de Clausewitz ? Combien de maximes feraient d’ailleurs moins de 140 caractères ?…

Ce style affirmatif (quasiment pas démonstratif, ou alors très brièvement) rend dès lors aisée la transposition de ses préceptes à n’importe quelle discipline. Continuer la lecture

L’art de la guerre de Sun Tzu, ouvrage militaire préféré des civils

Un traité militaire qui inspire surtout le monde civil !

Un traité militaire qui inspire surtout le monde civil !

Contre toute attente, le succès que rencontre aujourd’hui Sun Tzu ne vient pas tant du monde militaire que du monde civil. Si L’art de la guerre dispose d’une incontestable stature de par sa position de plus ancien traité stratégique du Monde, l’affirmation selon laquelle il serait enseigné dans toutes les académies militaires est inexacte (nous consacrerons bientôt un billet à ce sujet). A part peut-être pour les guérillas latino-américaines, la doctrine de Sun Tzu n’a jamais servi de référence, pas même en Chine où il constitua pourtant pendant neuf cents ans la base des études stratégiques qu’il fallait absolument maîtriser pour passer les examens de fonctionnaire militaire impérial.

Au sein de la communauté militaire, le traité de Sun Tzu ne sert donc à rien d’autre qu’à fournir des citations pour justifier a posteriori une idée de manœuvre. Nous avions vu dans notre billet Quel est aujourd’hui l’intérêt de lire Sun Tzu ? voire dans notre article Doit-on enseigner Sun Tzu aux militaires ? que si L’art de la guerre pouvait bien présenter un intérêt pour le militaire, il ne pouvait en aucun cas servir de manuel de doctrine. Nous avions de toute façon évoqué la quasi-impossibilité d’utiliser un traité de stratégie comme doctrine.

En revanche, force est de constater le succès de ce texte dans le monde civil, notamment à travers ses innombrables versions et surtout la quantité et la diversité de ses transpositions à tous les domaines possibles : là où au départ seuls les mondes de l’économie et de l’entreprise avaient trouvé un intérêt dans le traité chinois, il n’existe guère aujourd’hui de discipline qui ne connaisse pas sa transposition de L’art de la guerre.

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