« La guerre est subordonnée à cinq facteurs. […] Le quatrième est le commandement. » (chapitre1)
A travers son traité, Sun Tzu livre un certain nombre de recommandations pour mener les hommes :
« En excitant leur fureur, le général incite ses hommes à massacrer l’ennemi. » (chapitre 2)
Mais bien souvent, il expose de façon tranchée les qualités que devrait posséder le général pour diriger les troupes :
« La vertu est ce qui assure la cohésion entre supérieurs et inférieurs, et incite ces derniers à accompagner leur chef dans la mort comme dans la vie, sans crainte du danger. » (chapitre1)
Ces descriptions se cachent parfois sous l’aspect de recommandations :
« Il se doit d’étudier avec la plus grande attention tant la stratégie commandée par le terrain ou l’opportunité des avances et des replis que les lois qui président aux sentiments humains. » (chapitre 11)
Ce qui est dit dans cette maxime, c’est que le général doit être psychologue. Mais cette qualité se décrète-t-elle réellement ? Peut-on sur commande décider de « comprendre les lois qui président aux sentiments humains » ?
Cet aspect descriptif a été très souvent mal compris des lecteurs de Sun Tzu, qui n’y ont pas décelé le miroir des princes caché dans le traité. C’est ainsi que le premier véritable critique français de Sun Tzu (en dehors du père Amiot, son premier traducteur), le marquis de Puységur, critiquait en 1773 cette affirmation :
« Qui sait commander aussi bien à un petit nombre qu’à un grand nombre d’hommes sera victorieux. Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire. » (chapitre 3)
Il réagissait en ces termes :
Certes, c’est là sans doute le sublime d’un général. Mais [Sun-tse] ne nous enseigne pas bien clairement ce moyen de faire vouloir à l’ennemi ce qu’on désirerait de lui.[1]
Il s’agit là d’une incompréhension sur la nature de la recommandation, due à l’aspect relativement confus du traité. En effet, ces recommandations sur le charisme concernent davantage le souverain, qui aura à choisir son chef des armées, que le général lui-même qui, une fois désigné, n’aura plus guère le loisir de corriger ses défauts ou de chercher à améliorer son empathie naturelle. Nous pouvons ici faire le parallèle avec Machiavel, qui donnait des recommandations au Prince, sans pourtant le signifier directement.
La chose n’est cependant pas immédiate à déceler, car Sun Tzu livre également des recommandations directement applicables par le général, comme le fait de tenir ses troupes dans l’ignorance :
« [Un grand capitaine] occupe [la multitude de ses armées] à des tâches et ne s’embarrasse pas de lui en expliquer le pourquoi, il l’excite par la perspective de profits en se gardant bien de la prévenir des risques. » (chapitre 11)
Pour conclure, nous comprenons que Sun Tzu voit le charisme comme une capacité innée, qui peut se travailler, et qui doit être un critère majeur dans le choix du souverain de son chef des armées.
[1] Saint-Maurice de Saint-Leu, Etat actuel de l’art et de la science militaire à la Chine, 1773, p. 51.
Source de l’image : Statue Sun Tzu à Guangrao