Le nom de Sun Tzu peut désormais réellement être considéré comme faisant partie de la culture populaire française. Outre les déclinaisons en bandes dessinées, Sun Tzu est ainsi présent aussi bien sur des tags urbains (Cf. illustration ci-contre) que dans des chansons de rap[1]. L’art de la guerre est cité dans des films et fait même l’objet de jeux (nous reviendrons sur ces supports dans de prochains billets).
Un indicateur intéressant de la popularité de Sun Tzu en France nous paraît être le nombre de fausses citations qu’on lui attribue. Il s’en trouve partout : sur Internet bien sûr (« Une foule ne fait pas une armée, un tas de briques, un mur. », site Zone militarisée), dans des revues (« Une attaque peut manquer d’ingéniosité, mais il faut qu’elle soit menée à la vitesse de l’éclair. », Casus Belli de 1988[2]), voire dans des publications officielles militaires ! (« L’affaiblissement ou l’élimination d’un adversaire est possible grâce à un usage habile d’une rumeur ponctuelle ou répétitive savamment diffusée. », Les cahiers du CESAT[3]).
D’où viennent ses citations apocryphes ? Si nous prenons l’exemple du dernier cas cité, nous voyons qu’elle est abondamment relayée par Internet. Elle est reprise dans au moins un ouvrage paru en 2004[4].
Comment a-t-on pu générer cette citation ? Des recherches ne donnent rien du côté de l’anglais (nous aurions pu penser qu’il s’agissait d’une mauvaise traduction). La plus ancienne trace de cette citation semble remonter à un article écrit en 1999 et intitulé « Les origines de la guerre de l’information ». Mais au final, il ne nous a pas été possible de déterminer la source exacte –et surtout les raisons- de cette fausse maxime.
Alors, si nous nous intéressons toujours au cas particulier de cette citation, comment a-t-elle pu naître ? Notre théorie est qu’il a pu s’agir d’une concaténation de deux préceptes de Sun Tzu. Le premier exposant qu’une guerre ne peut se gagner sans renseignement :
« Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d’une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce […] aux renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire. » (chapitre 13)
Le second, également issu du chapitre 13, déclarant qu’il faut chercher à désinformer l’adversaire :
« Il faut charger [des espions] de répandre de fausses rumeurs pour intoxiquer l’ennemi. »
Peut-être quelqu’un a-t-il ainsi pris l’initiative de fusionner ces deux idées, croyant se souvenir que Sun Tzu aurait affirmé « quelque part » qu’une guerre ne pouvait se gagner qu’en désinformant l’ennemi.
Néanmoins, quelle qu’en soit l’origine, cette situation devient ironique lorsque l’on sait que ce même Sun Tzu prête son nom à un championnat inter-écoles et inter-entreprises d’ « instrumentalisation des attaques informationnelles », bref de propagation de fausses informations créées de toute pièce. Le « trophée Sun Tzu », puisque c’est son nom[5], a pour finalité affichée de faire rentrer l’orchestration de la rumeur dans la stratégie d’entreprise. De sa tombe, avec son trophée éponyme, Sun Tzu nous offre donc là un bien sympathique retour de bâton…
[1] On pourra prendre l’exemple de la chanson L’art de la guerre du groupe Abraxxxas. Sans être bien sûr une fine exégèse, les paroles témoignent toutefois d’une certaine compréhension du traité de Sun Tzu.
[2] Articles « Plans de bataille » de Jean-Baptiste dreyfus, in Casus Belli n°44 de mars 1988 et n°45 d’avril 1988.
[3] Les cahiers du CESAT, septembre 2005, p. 17.
[4] Raoul Rouot, Les mouettes – Chroniques de la crédulité ordinaire, éditions Le manuscrit, 2004.
[5] Cf. http://www.trophee-suntzu.eu.