Les personnages historiques de L’art de la guerre

Le personnage de Yi Yin, cité au chapitre 13

Le personnage de Yi Yin, cité au chapitre 13

Pour faire suite au billet Les personnages de L’art de la guerre, nous allons maintenant nous intéresser aux noms propres cités par Sun Tzu.

Les noms propres figurant dans L’art de la guerre sont tous employés comme antonomases[1] : ils ont valeur de noms communs, comme on dit « c’est un Hercule » sans que cela désigne le héros grec. Ainsi Yi Yin est-il le parangon des conseillers avisés ; il est mis en lieu et place d’ « habile stratèges» et de « sage conseiller » et n’a pas valeur de référence historique. De même Yue signifie simplement « pays éloigné » tout comme « Les gens de Yue et de Wou » symbolisent l’antagonisme le plus radical, les ennemis jurés. Pour comprendre ces images, toutes inconnues des Occidentaux, nous allons revenir sur chacun de ces noms propres.

« Les Yin durent leur triomphe à la présence de Yi Yin à la cour des Hsia, les Tcheou à celle de Liu Ya chez les Yin. » (chapitre 13)

Quelques explications s’imposent :

La dynastie des Yin (aussi appelée dynastie Shang) régna de 1600 à 1046 av. J.-C.. Elle succéda à celle des Hsia (ou Xia), qui régna de 2100 à 1600 av. J.-C.)[2], et précéda celle des Tcheou (ou Zhou), qui régna de 1046 à 256 av. J.-C.. Sachant que les dates varient beaucoup selon les sources… Un schéma valant mieux qu’une longue explication :

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Le général de Gaulle a-t-il lu Sun Tzu ?

De Gaulle en 1948

De Gaulle en 1948

La question peut sembler incongrue, étant donné que nous avons précédemment vu que Sun Tzu n’avait réellement fait son apparition en France qu’en 1972, avec la traduction américaine de Samuel Griffith. Pourtant il n’est pas impossible que le général ait eu connaissance du stratège chinois.

En effet, Charles de Gaulle était ami avec Lucien Nachin[1], l’homme qui republia en 1948 la traduction du père Amiot (cf. notre billet Sun Tzu de 1901 à 1950). Les échanges avec le capitaine de Gaulle commencent en 1923, au moment où Lucien Nachin, également capitaine, choisit de quitter l’armée d’active pour ne plus servir que dans la réserve. Les deux hommes fréquentent alors notamment le salon d’Emile Mayer[2]. Ils conservèrent des liens très étroits, se rencontrant régulièrement : on trouve les traces de ces rencontres et de ces déjeuners dans les agendas du général, y compris en avril 1951, soit deux mois avant le décès de Lucien Nachin.

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Sun Tzu en France, une étude de la réception de L’art de la guerre

Sun Tzu en France

Sun Tzu en France, le livre

Le premier livre issu de ce blog vient de paraître. Édité chez Nuvis, petite maison jeune et très dynamique, il est proposé sous forme papier (24 €) ou numérique (12 €).

L’ouvrage est préfacé par Jean-Pierre Raffarin. L’ancien Premier ministre entretient en effet un lien fort avec la Chine, lien qui l’a amené à étudier en profondeur ce grand traité stratégique.

Mais de quoi exactement parle le livre ?

Fruit d’une enquête minutieuse autant historique que philologique, Sun Tzu en France retrace l’histoire de la réception de ce traité en France, de la première traduction par un jésuite, le père Amiot, au XVIIIe siècle, aux toutes dernières parutions sorties, tant dans le domaine des livres papier que dans celui du numérique, de la bande dessinée ou même de la chanson. Une riche iconographie (l’ouvrage comporte près d’une centaine d’illustrations en couleur) complète le propos. A travers de très nombreux exemples, le travail des traducteurs est décortiqué pour expliquer comment il est aujourd’hui possible de trouver des préceptes totalement opposés d’une traduction à l’autre.

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Mao a-t-il lu Sun Tzu ?

Pourquoi le Grand Timonier a-t-il nié avoir lu Sun Tzu ?

Pourquoi le Grand Timonier a-t-il nié avoir lu L’art de la guerre ?

La question peut surprendre : comment un chef d’Etat chinois, grand stratège de surcroît (ces écrits sur la guérilla sont fondateurs) pourrait ne pas avoir lu ce grand classique ? Le fait est que rien ne permet formellement d’établir que le Grand Timonier ait un jour lu L’art de la guerre. Outre que, curieusement, le stratège antique n’était pas au programme de ses études, littéraires, les biographes de Mao sont partagés sur sa lecture effective du traité. L’intéressé lui-même niera pendant la Révolution culturelle avoir lu ou même connaître Sun Tzu !

En ce qui me concerne, je n’ai jamais étudié dans des académies militaires, je n’ai jamais étudié les traités de stratégie. Il y a des gens qui prétendent que dans mes campagnes, je me suis basé sur Les Trois Royaumes et sur L’art de la guerre de Sunzi : et moi je vous dirai bien simplement que moi, Sunzi, je ne l’ai jamais lu. Mais pour ce qui est des Trois Royaumes, ça oui, je l’ai lu.[1]

L’affaire est donc loin d’être simple.

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Un traité volontairement obscur

Que renferment ces caractères ?

Le traité de Sun Tzu est, nous l’avons vu dans un billet précédent, particulièrement obscur.

Outre les difficultés propres à la langue, Jean Lévi explique[1] que beaucoup de livres privilégiaient à l’époque ancienne une forme cryptique : ils n’étaient pas là pour fournir un exposé clair et raisonné d’une théorie, mais au contraire pour n’être accessibles qu’aux seuls initiés. Une certaine obscurité pouvait ainsi être volontairement recherchée, comme on a pouvait par exemple l’observer chez Lao Tseu[2]. La guerre étant chaos, étant un objet insaisissable, une description correcte doit également être chaotique pour refléter au mieux son sujet. En outre, l’art de la guerre étant un sujet sensible qui ne doit pas être connu par tout le monde, il convient qu’il demeure obscur pour n’être compris que des véritables initiés ! En Chine, s’agissant de la transmission d’un dao, « d’une recette », qui assure la domination, tout message trop clair est dévalorisé, car devenant alors accessible à tous.

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