Nous avons vu précédemment que le monde chinois connut à partir du Ve siècle av. J.-C. une formidable période de réflexion stratégique qui vit notamment naître L’art de la guerre de Sun Tzu. Cette richesse conceptuelle resta cependant liée à cette période historique : une éclipse de la pensée stratégique de près de 2000 ans eut ensuite lieu. La chute de l’empire chinois en 1912 marqua la fin de cet immobilisme.
A la différence du Japon qui s’adapta au même moment aux bouleversements civilisationnels qu’il connut, la Chine ne sut éviter l’effondrement de son Empire. De cette période confuse, qui s’étendit de la fin du XIXe siècle à la prise de pouvoir par les communistes en 1949, émergèrent deux acteurs dont la renommée en tant que stratèges fut directement liée au rôle qu’ils tinrent dans l’histoire de la Chine moderne et contemporaine. L’un, Mao Zedong, bénéficia de l’aura du vainqueur tandis que l’autre, Tchang Kaï-chek (Jiǎng Jièshí en pinyin), vit sa pensée stratégique occultée par les échecs et les erreurs indéniables du Kuomintang avant sa « retraite stratégique » à Taiwan en 1949.
Tchang Kaï-chek faisait explicitement référence à Sun Tzu dans ses écrits, d’autant plus que le Kuomintang se présentait comme le conservatoire de la culture chinoise classique. Pourtant, dans sa pratique de la guerre, il semble avoir été beaucoup plus influencé par les stratèges occidentaux ou japonais qui offraient une image moderniste à laquelle la Chine nationaliste souhaitait adhérer.
A contrario, Mao, oscillant entre la rupture avec un passé qu’il jugeait sclérosant et le recours à une tradition nationale flatteuse, a souvent nié avoir été influencé par les traités militaires de la Chine ancienne. La Révolution culturelle l’a d’ailleurs conduit à fermement rejeter Sun Tzu avec les autres « vieilleries » (Confucius, Lao Tseu, …). Cependant, bien que « l’homme nouveau » ne devait pas se bâtir sur le passé (mais l’attitude des communistes a beaucoup varié sur ce point), certaines citations tirées des écrits militaires de Mao laissent penser que ce dernier avait bien intégré l’enseignement du maître, au moins de façon inconsciente. Nous avions dédié un billet complet à cette ambivalence de Mao vis-à-vis de Sun Tzu.