Wu Zixu, inspirateur de Sun Tzu

Le tout premier ouvrage français consacré à Wu Zixu

Le tout premier ouvrage des éditions Amiot vient de paraitre. Il s’agit de la compilation retravaillée et enrichie des billets parus sur ce blog et consacrés à Wu Zixu.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi ce cycle, retenons que Wu Zixu est un personnage relativement populaire en Chine, mais totalement méconnu en Occident. Des anciennes chroniques le présentent comme un compagnon de Sun Tzu[1] qui aurait rédigé plusieurs textes, dont un traité de stratégie. Ce traité était considéré par tous comme définitivement perdu, jusqu’à ce que des fouilles archéologiques en mettent miraculeusement au jour un exemplaire en 1983. Très endommagé, sa transcription en chinois moderne ne fut publiée qu’en 2003, sous le titre L’Art de la guerre, en écho au traité de stratégie de Sun Tzu. Cette formidable trouvaille apporta non seulement des éléments de contexte qui permirent de préciser la biographie de son auteur, mais également un éclairage nouveau dans la lecture de L’Art de la guerre de Sun Tzu. Le premier ayant très probablement servi d’inspiration au second.

De quoi parle Wu Zixu, inspirateur de Sun Tzu ?

Après un passage en revue de ce que nous savons du personnage de Wu Zixu, son traité est présenté, étudié, puis comparé avec celui de Sun Tzu. Les aspects politiques de la pensée de Wu Zixu sont également examinés. Enfin, une annexe reproduit le texte traduit en chinois moderne.

Le traitement de ce personnage, fort célèbre en Chine, est relativement inédit en France : s’il est bien possible de trouver quelques mentions de son nom dans des ouvrages spécialisés[2], son rapport avec Sun Tzu n’a en revanche jamais été évoqué. Au moment de la parution de la présente biographie de Wu Zixu, il n’existait même pas de page Wikipédia qui lui était consacrée !

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Sun Tzu, l’inventeur de la guerre hybride

Concept nouveau ou ?

Concept nouveau ou réchauffé ?

Le dernier numéro de la Revue Défense Nationale (mars 2016) est consacré à la guerre hybride. Dans un article, intitulé La « guerre hybride » : escroquerie intellectuelle ou réinvention de la roue ?, l’historien Laurent Henninger y fait remarquer que ce concept présenté comme novateur existe en réalité depuis fort longtemps. Il cite ainsi un ouvrage américain[1] où sont présentés neuf exemples historiques allant de l’Antiquité à la guerre du Vietnam, illustrant à quel point le principe de combinaison de forces régulières et irrégulières a couramment été mis en œuvre par le passé.

Mais il est possible de remonter encore plus loin dans le passé. Sun Tzu lui-même commandait en effet explicitement cette pratique :

« En règle générale, on use des moyens réguliers au moment de l’engagement ; on recourt aux moyens extraordinaires pour emporter la victoire. » (chapitre 5)

Nous avions évoqué cette idée maitresse du système suntzéen dans notre billet Des forces régulières et extraordinaires. Nous n’allons donc pas y revenir.

Le concept de « guerre hybride » voit se mêler la guerre dite conventionnelle (avec des armées régulières équipées d’armes de haute technologie) et la guerre dite non-conventionnelle (guérillas menées par des groupes armés irréguliers possédant un armement léger et relevant d’un niveau technologique très limité, milices, unités d’élites, etc.). Exactement ce que préconisait Sun Tzu.

Si bien sûr il n’est pas littéralement écrit dans L’art de la guerre que les forces doivent surfer sur les nouvelles technologies, nul doute que ses recommandations de tenir compte et de s’adapter à l’environnement (qui, à son époque, se résumait à la configuration du terrain et à la météorologie) seraient aujourd’hui déclinées au milieu cyber et aux différentes applications technologiques : GPS, téléphonie satellitaire, drones civils, … Même la guerre de l’information, composante des guerres hybrides, était prévue par Sun Tzu : l’activisme sur les réseaux sociaux pourrait ainsi être directement décliné des injonctions de désinformation de L’art de la guerre.

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Sun Tzu dans les dictionnaires

La définition du Larousse

La définition du Larousse

Nous allons ici dresser un rapide panorama de la présence de Sun Tzu dans les ouvrages de référence : L’encyclopédie Universalis, le dictionnaire Larousse et Wikipédia. Ainsi que leurs grands homologues.

L’Universalis ne consacre pas d’article dédié à Sun Tzu. A peine est-il fait mention du stratège dans les articles « Armée » et « Guérilla » ; on le trouve également cité dans les biographies des personnalités françaises s’étant revendiquées de ses enseignements : Pierre Naville, Guy Debord et même l’athlète Teddy Tamgho ! A titre de comparaison, Clausewitz dispose d’un article complet, ainsi que de plusieurs entrées dans le Thésaurus.

L’Encyclopaedia Britannica consacre, elle, un court article : 246 mots (contre 1600 pour celui de Clausewitz).

L’entrée dans le dictionnaire Larousse ne date que de 1998. Le texte n’a pas varié depuis :

Sun Zi ou Sun Tse, VIe – Ve s. av. J.-C., théoricien militaire chinois. Son Art de la guerre, où il privilégie le renseignement et la surprise, constitue le plus ancien traité de stratégie connu.

Il est intéressant de voir que le Larousse véhicule toujours les dates fantaisistes de sa vie. La situation est assez étrange chez les éditions Le Robert : l’entrée Sun Zi figure dans le Dixel depuis 2009, mais est toujours absente du Petit Robert des noms propres. Dans le Dixel, la définition est alors légèrement différente de celle du Larousse ; on n’y détaille plus le contenu de l’ouvrage, mais il est précisé que son existence est hypothétique :

Sun Zi ou Sun Tse Théoricien militaire chinois (VIe – Ve s. av. J.-C.) dont l‘existence reste hypothétique. Il est l’auteur du premier traité de stratégie connu (L’art de la guerre).

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Des maximes apocryphes issues du manuscrit du Yinqueshan

Les fragments encore exploitables du manuscrits de Yinqueshan

Les fragments encore exploitables du manuscrits de Yinqueshan

Nous avions vu dans le précédent billet des maximes apocryphes attribuées à un « Maître Ho » dont on ne sait aujourd’hui rien.

D’autres maximes orphelines existent, telles celles trouvées dans le manuscrit du Yinqueshan. Il semble dans ce cas que des commentaires se soient retrouvés incorporés au texte du traité.

Les maximes suivantes proviennent de la traduction de Jean Lévi parue aux éditions Fayard/Pluriel. En rouge, le texte commun de L’art de la guerre.

Chapitre 8

[…] Il est des voies à ne pas emprunter, des villes à ne pas investir, des armées à ne pas affronter, des provinces à ne pas conquérir, des ordres royaux à ne pas obéir.

II est des routes à ne pas emprunter : cela signifie que si l’on ne s’y engage qu’à moitié, on ne pourra pas atteindre les objectifs fixés et que si on s’y engage pro­fondément, on n’obtiendra aucun bénéfice par la suite ; de sorte qu’il est désavantageux de bouger ; mais à rester sur place, on risque de se trouver encerclé.

On n’attaque pas une armée même quand on en a les moyens : cela signifie que me trouvant face à face avec l’adversaire, bien que je dispose de forces suffisantes pour lui livrer combat et suis en mesure d’acculer son général, je calcule, qu’à long terme, ils ont de leur côté la puissance d’un stratagème extraordinaire et la possibilité d’un coup habile… Dans un cas semblable, on s’abstient de livrer combat même si on le peut.

Des villes à ne pas attaquer : c’est-à-dire que même au cas où je dispose de forces suffisantes pour emporter la place, si je l’emporte, une fois conquise je ne pourrai la garder, sans être en mesure de remporter un avantage pour la suite des opérations.

Des terres qu’on s’abstient de conquérir : ce sont des contrées montagneuses ou humides, sur lesquelles rien ne pousse…

Chapitre 9  [note : Le texte du Yinqueshan est très fragmentaire en cet endroit] Continuer la lecture

Des maximes apocryphes de Sun Tzu : Les questions du roi de Wou

Sun Tzu présentant son traité au roi de Wou

Sun Tzu présentant son traité au roi de Wou

On ne connait rien de Maître Ho (ou Ho Yen-si), si ce n’est qu’il a été l’un des commentateurs traditionnels sélectionnés par Cao Cao. Au chapitre 11 du traité, son commentaire livre un entretien entre le roi de Wou et Sun Tzu. Il se peut qu’il s’agisse de paragraphes perdus d’une des différentes ver­sions du texte en circulation à l’époque des Royaumes Combattants, ou plus tard, ainsi que porte à le faire croire le manuscrit trouvé à Yinqueshan, lequel recueille, dans sa seconde section, des matériaux du même ordre : « Questions du roi de Wou », « Entrevue avec le roi de Wou », etc.

Ces commentaires se trouvent au début du chapitre 11 de L’art de la guerre :

« A la guerre, un terrain peut être de dispersion, de négligence, de confrontation, de rencontre, de communication, de diligence, de sape, d’encerclement ou d’anéantissement.
Quand on livre combat sur son propre fief, on se trouve en terre de dispersion.
Quand l’armée s’est à peine aventurée en territoire ennemi, elle se trouve en terre de négligence.
Une terre de confrontation est celle dont la possession est profitable à chacune des deux parties.
Une terre de rencontre offre aux belligérants une totale liberté de mouvements.
Une terre de communication est une portion d’une principauté qui, en jouxtant trois autres, assure au premier arrivé le soutien des armées des seigneurs.
Qui, s’étant profondément enfoncé en territoire ennemi, a derrière soi une multitude de villes fortes adverses, se trouve en terre de diligence.
Une armée qui progresse à travers montagnes, forêts, passes, marais ou toute autre région accidentée, et dont la route est mal aisée, évolue en terre de sape.
Une terre d’encerclement se reconnaît à ce qu’on ne peut y accéder que par un passage étroit et en sortir par un chemin sinueux, de sorte que l’ennemi peut attaquer avec des effectifs bien inférieurs.
En terre d’anéantissement, une armée doit se battre avec l’énergie du désespoir ou périr. »

Les propos suivants de Maitre Ho sont issus de la traduction de Jean Lévi parue aux éditions Fayard/Pluriel.

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