La structure de l’armée dans L’art de la guerre

Planche extraite de L’art militaire des Chinois, du Père Amiot (1772)

Planche extraite de L’art militaire des Chinois, du Père Amiot (1772)

Pour faire suite au précédent billet, nous allons poursuivre notre étude lexicale de L’art de la guerre pour nous intéresser aux détails que donne Sun Tzu de l’armée.

Nous l’avons vu, l’armée est bien sûr commandée par le « général ». Il est à noter que celui-ci est également stratège. Sun Tzu n’évoque pas la possibilité de la décorrélation de ces deux fonctions : point de Zhuge Liang[1] dans L’art de la guerre !

L’armée qu’il commande est composée de « soldats », masse de combattants toujours évoqués en tant que collectif et jamais considérés dans leur individualité. Pour autant, Sun Tzu ne voit pas l’armée comme un ensemble homogène. Il y évoque par trois fois la hiérarchie, en parlant de « supérieurs » et d’ « inférieurs » (par exemple, au chapitre 3 : « Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire. »). Les « officiers » sont évoqués 9 fois. Si le terme de « capitaine » apparaît 8 fois, nous avons vu qu’il n’était employé que comme synonyme de « général ». « Lieutenant » en revanche, employé une fois, désigne bien l’officier.

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Les personnages de L’art de la guerre

L’armée de terre cuite du mausolée de l’empereur Qin

L’armée de terre cuite du mausolée de l’empereur Qin

Nous allons nous livrer ici à l’exercice périlleux de l’étude purement lexicale de L’art de la guerre. Périlleux, car nous nous baserons sur une traduction et non sur le texte original. Périlleux plus encore, lorsque l’on connaît toute la fragilité des versions existantes. Bien sûr, le vocabulaire employé, et même la fréquence des termes, est consubstantielle d’un traducteur. Nous serons donc attentifs à ne pas nous engluer dans ce qui relève uniquement d’un choix de traduction. Comme d’habitude, la traduction nous servant ici de référence sera celle de Jean Lévi.

L’œuvre de Sun Tzu est parcourue d’un certain nombre de personnages. Le premier d’entre eux est bien évidemment le « général », auquel s’adresse principalement Sun Tzu.

« Général » est employé 35 fois à travers tout le traité. D’autres expressions apparaissent également, voulant toujours représenter ce général, sans recherche de nuance : « capitaine » (8 fois), « chef de guerre » (8 fois), « chef » (3 fois), « commandant en chef » (1 fois), « général en chef » (1 fois), « homme de guerre » (1 fois), « expert en stratégie » (1 fois) et « militaire » (1 fois). Au total, ce général est cité 59 fois sous toutes ses formes.

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Sun Tzu en France, une étude de la réception de L’art de la guerre

Sun Tzu en France

Sun Tzu en France, le livre

Le premier livre issu de ce blog vient de paraître. Édité chez Nuvis, petite maison jeune et très dynamique, il est proposé sous forme papier (24 €) ou numérique (12 €).

L’ouvrage est préfacé par Jean-Pierre Raffarin. L’ancien Premier ministre entretient en effet un lien fort avec la Chine, lien qui l’a amené à étudier en profondeur ce grand traité stratégique.

Mais de quoi exactement parle le livre ?

Fruit d’une enquête minutieuse autant historique que philologique, Sun Tzu en France retrace l’histoire de la réception de ce traité en France, de la première traduction par un jésuite, le père Amiot, au XVIIIe siècle, aux toutes dernières parutions sorties, tant dans le domaine des livres papier que dans celui du numérique, de la bande dessinée ou même de la chanson. Une riche iconographie (l’ouvrage comporte près d’une centaine d’illustrations en couleur) complète le propos. A travers de très nombreux exemples, le travail des traducteurs est décortiqué pour expliquer comment il est aujourd’hui possible de trouver des préceptes totalement opposés d’une traduction à l’autre.

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Sun Tzu et Clausewitz : Les points de désaccord

Les différences de fond

Des différences de fond

Après avoir évoqué quelques thèmes sur lesquels Sun Tzu et Clausewitz peuvent se rejoindre, nous allons maintenant nous intéresser à quelques-uns de ceux sur lesquels les deux stratèges en arrivent à des conclusions radicalement inverses.

Il est en premier lieu très fréquent de voir les deux traités opposés sur l’idée que l’un serait le chantre de la stratégie directe tandis que l’autre serait celui de l’approche indirecte. Pour des auteurs comme Vincent Desportes ou Benoît Durieux, ce serait toutefois une interprétation parcellaire que de lire chez Clausewitz l’apologie de la stratégie directe. Sans doute. Mais ce n’est pas parce que Clausewitz envisage la possibilité d’une attaque de flanc qu’il prône pour autant la stratégie indirecte. La vraie stratégie indirecte ne consiste en effet pas à attaquer sur les flancs ou à revers plutôt que de front, mais là où personne ne vous attend parce que, a priori, c’est hors sujet, sans lien apparent ni prévisible avec l’objectif principal, si ce n’est celui que l’on va créer. C’est de cela dont parle Sun Tzu. Ainsi, l’effet de surprise peut être aussi, à l’inverse, d’attaquer là où cela paraît le plus évident, le plus visible, précisément parce que ça l’est tellement que l’adversaire va finir par ne plus s’y attendre. C’est aussi cela, la stratégie indirecte.

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Sun Tzu et Clausewitz : Quelques mises en parallèle

Les systèmes de Sun Tzu et Clausewitz ont-ils des points communs ?

Les systèmes de Sun Tzu et Clausewitz ont-ils des points communs ?

Nous l’avons vu dans les billets précédents, Sun Tzu et Clausewitz abordent leur sujet de deux manières différentes. En découle que les thèmes traités ne se correspondent pas forcément. Bon nombre d’idées ne sont ainsi développées que par l’un ou l’autre : l’armée qui doit être comme l’eau pour Sun Tzu, le concept de friction pour Clausewitz, … Quand les thèmes concordent, les analyses des deux stratèges peuvent alors converger (même si les façons de les énoncer peuvent être très distinctes), différer, voire, plus rarement, être en franche opposition.

Un certain nombre d’idées sont donc similaires chez Sun Tzu et Clausewitz. Par exemple, pour les deux stratèges, le rapport de force se crée fondamentalement et de manière instable et délicate dans le rapport affectif du peuple et du souverain, ainsi que du peuple sous les armes et du commandement militaire, rapports qui dans un camp (plus que dans l’autre) permettent, le moment venu, de demander à la population un effort exceptionnel. Les formulations sont dans la forme très différentes, mais l’idée reste la même.

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