Sun Tzu vs Clausewitz : Art de la guerre ou science de la guerre ?

Doit-on forcément trancher entre art ou science ?

Doit-on forcément trancher entre art ou science ?

Si la plupart des stratèges s’accordent sur le fait que les grands guerriers possédaient un « génie militaire », leur définition de ce dernier n’est pas figée. Dans le cas de Clausewitz et Sun Tzu, nous pouvons considérer que celui-ci est composé d’intuition, de coup d’œil tactique, d’analyse et de créativité. Mais dans des proportions différentes.

Nous avions consacré un billet entier à la position qu’avait Sun Tzu vis-à-vis du statut de la guerre : art ou science ? La réponse était loin d’être aisée, mais nous en étions finalement arrivés à la conclusion que le stratège chinois la considérait certes comme un art, mais qu’elle portait néanmoins également une part de science.

Clausewitz consacre tout le 3e chapitre de son Livre II à cette question. Sa position semble de prime abord simple :

« Il ressort de tout cela qu’il est plus juste de dire art de la guerre que science de la guerre. » (Livre II, chapitre 3)

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Sun Tzu vs Clausewitz : Le général doit-il être intrépide ou calculateur ?

Le chef doit-il être réfléchi en toute circonstance ?

Le chef doit-il être réfléchi en toute circonstance ?

Nous avions vu que le génie du chef de guerre suntzéen réside plus dans sa capacité d’analyse et de calcul que dans son intuition créative : Sun Tzu préfèrera au final le chef posé et calculateur à celui enclin à prendre de grands risques. Louant la planification, Sun Tzu n’accepte la prise de risque que si cette dernière est finement évaluée. Le général trop impulsif, prompt à réagir sans une mûre réflexion, court à sa perte car se laissera manipuler par l’adversaire. La sagesse et la raison doivent dès lors tempérer les velléités du chef militaire, le courage seul ne pouvant que conduire au désastre :

« Si, ne pouvant contenir son impatience, le commandant en chef lance prématurément l’assaut général en envoyant ses hommes escalader les remparts tels des fourmis, il perdra un tiers de ses effectifs sans avoir enlevé la place. Telle est la plaie des guerres de siège. » (chapitre 3)

« Autrefois, on considérait comme habiles ceux qui savaient vaincre sans péril ; ils ne bénéficiaient ni de la réputation des sages ni de la gloire des preux ; avec eux, pas de combats douteux ; l’issue n’était pas douteuse, en ce que, quelle que fût la stratégie employée, ils étaient nécessairement victorieux car ils triomphaient d’un adversaire déjà à terre. » (chapitre 4)

Clausewitz au contraire ne considère pas l’intelligence et la sagesse comme les plus grandes qualités requises pour un chef militaire. Il préfère l’action immédiate, impulsive, à celle longuement réfléchie :

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Sun Tzu vs Clausewitz : Détruire ou soumettre ? Quand les dés sont-ils jetés ?

Carnage

Deux conceptions opposées de la guerre

Nous avons vu dans notre précédent billet que le raccourci traditionnel opposant Clausewitz à Sun Tzu sur le plan de la violence du conflit n’est pas fondamentalement erroné. Force est bien de constater que les points de vue des deux stratèges divergent sur la finalité du combat. Clausewitz est en effet largement préoccupé par l’application massive de la force, visant à détruire l’ennemi au combat en usant de la troupe contre la troupe :

« Il n’existe qu’un seul moyen [pour faire la guerre] : le combat. […] Aussi la destruction des forces armées de l’ennemi est toujours le moyen d’atteindre le but de l’engagement. » (De la guerre, Livre I, chapitre 2)

Or, cette vision va à l’encontre du concept suntzéen d’attaquer la stratégie de l’ennemi (cf. notre billet Combattre l’ennemi dans ses plans) :

« Le mieux, à la guerre, consiste à attaquer les plans de l’ennemi ; ensuite ses alliances ; ensuite ses troupes ; en dernier ses villes. » (L’art de la guerre, chapitre 3)

L’objectif de la guerre n’est donc à la base pas exactement le même pour Clausewitz et pour Sun Tzu : là où le premier cherche à détruire l’ennemi, le second recherche plutôt à le soumettre.

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Sun Tzu vs Clausewitz : Vaincre sans combattre

Les systèmes de Sun Tzu et Clausewitz ont-ils des points communs ?

Les systèmes de Sun Tzu et Clausewitz ont-ils des points communs ?

« La solution sanglante de la crise est […] le fils légitime de la guerre. » (De la guerre, Livre I, chapitre 2)

« Etre victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin. » (L’art de la guerre, chapitre 3)

On présente communément Sun Tzu comme le chantre de la victoire sans combat, tandis que Clausewitz incarnerait la guerre violente et jusqu’au-boutiste. La question est un peu plus complexe que cela, sans toutefois que la réponse en soit totalement différente.

Clausewitz envisage bien la possibilité d’une phase préliminaire au combat qui chercherait à faire jeter l’éponge à l’adversaire avant tout engagement physique. Mais il ne croit guère à la réalité d’une telle issue, la qualifiant même du terme dénigrant de « guerre abstraite » :

« Avant même d’être notablement affaiblies, les forces ennemies peuvent se retirer à l’autre extrémité du pays, ou même tout droit en territoire étranger. En ce cas, la majeure partie du pays voire le pays tout entier, sera conquise. Cependant, cet objectif de la guerre abstraite, cet ultime moyen d’atteindre l’objectif politique qui englobe tous les autres, à savoir le désarmement de l’ennemi, ne se produit pas toujours dans la pratique, et n’est pas une condition nécessaire de la paix. Il ne peut donc en aucune façon être érigé en loi dans la théorie. » (De la guerre, Livre I, chapitre 2)

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Sun Tzu vs Clausewitz : Des périmètres d’étude de la guerre différents

Sun Tzu couvre un champ bien plus étendu que Clausewitz

Sun Tzu couvre un champ bien plus étendu que Clausewitz

Les traités de Sun Tzu et de Clausewitz n’ont pas le même périmètre d’étude. Pour le stratège chinois, les aspects politiques, économiques, diplomatiques et logistiques font partie de sa réflexion sur la guerre. Le Prussien au contraire confine cette dernière à la seule conduite du combat sur le champ de bataille, présupposant que le soutien logistique et l’environnement économique seront entièrement dédiés à l’effort de guerre :

« La portée et l’effet des différentes armes est d’une extrême importance pour la tactique ; leur fabrication, bien que ces effets en découlent, n’en a aucune, car pour mener la guerre, ce n’est pas de charbon, de soufre et de salpêtre, de cuivre et de zinc destinés à faire de la poudre et des canons dont on a besoin, mais d’armes toutes prêtes, et de leurs effets. La stratégie se sert de cartes sans s’occuper de trigonométrie ; elle ne se préoccupe pas des institutions du pays ni de la façon dont le peuple doit être éduqué et gouverné pour que ses succès militaires soient assurées. » (Livre II, chapitre 2)

En effet, pour Clausewitz, si la logistique, la maintenance ou l’administration ont leur importance, elles ne relèvent pas du domaine du chef de guerre. De la guerre a bien un chapitre consacré à la logistique (livre V, chapitre 14), mais le sujet est rapidement expédié, étant considéré que dans une guerre correctement menée, le ravitaillement doit rester subordonné à la fin poursuivie :

« Il est très rare que le ravitaillement des troupes ait assez d’influence pour modifier le plan d’un engagement. » (Livre II, chapitre 1)

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