L’art de la guerre a désormais son parfum

Le parfum

Le parfum

Le parfumeur français Jovoy vient de sortir une fragrance pour homme dont l’univers se réfère – partiellement – au traité de Sun Tzu. Si la plaquette de présentation ne fait aucune allusion à une origine chinoise, voire asiatique, le texte joue sur la notion de guerre pour la transposer au monde de la séduction :

En amour comme à la guerre, il y a des armes que nous utilisons pour arriver à nos fins qui sont plus redoutables que d’autres… Dans l’art de séduire, le parfum bien sûr, est redoutable d’efficacité, surtout quand il vient éveiller en nous la mémoire.

L’univers créé pour ce parfum n’est pas le premier à associer L’art de la guerre au domaine de la séduction : l’ouvrage de Pierre Fayard, Sun Tzu – Stratégie et séduction, est intégralement consacré à cette question. D’autres écrits plus directement ciblés sur la séduction masculine existent, comme The Art of War for dating d’Eric Rogell.

Etant relativement ignares dans le domaine, nous nous garderons bien de nous prononcer sur le produit en lui-même : sa senteur. Le concept olfactif est présenté comme « boisé » et relevant de la fougère car, explique le dossier de presse, « un homme la porte par ce même exercice de mémoire, ici nostalgique, là en conquérant, viril, sûr de lui. »

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La conception de la guerre pour Sun Tzu

De la guerre

De la guerre

Le premier chapitre est indubitablement celui qui prend le plus de hauteur dans la réflexion sur la guerre. Y figurent en effet non seulement la majeure partie des recommandations adressées au souverain (et non au général ; cf. notre billet Du charisme du général), mais également une analyse du fait guerrier :

« La guerre est la grande affaire des nations ; elle est le lieu où se décident la vie et la mort ; elle est la voie de la survie ou de la disparition. On ne saurait la traiter à la légère. » (chapitre 1)

Pour Sun Tzu, si la guerre est certes une calamité qu’il vaut mieux ne pas avoir à affronter, elle n’en demeure pas moins intrinsèque de la nature humaine : rien ne sert de la nier, elle se manifestera de toute façon tôt ou tard. Autant, donc, faire preuve de lucidité en acceptant son inéluctabilité. La guerre est un phénomène incontournable de la vie des États, tout malheureux qu’il soit. Il convient donc d’en étudier la mécanique ; d’autant plus que cette étude pourrait permettre de s’en sortir le moins mal possible, voire bien.

Sun Tzu n’est pas le seul penseur de son époque à considérer le caractère incontournable de la guerre et donc préconiser son étude. Pour Confucius lui-même (cf. notre billet L’environnement philosophique au temps de Sun Tzu), civil et militaire sont liés et, en un sens, complémentaires ; l’idéal reste de gouverner le monde, c’est-à-dire d’assurer sa marche harmonieuse, par les vertus de bienveillance et de justice. Les lettrés confucianistes (qui contrôleront la pensée stratégique chinoise au cours des siècles suivants) affineront cette idée en se rapprochant encore plus de la position suntzéenne : « le meilleur souverain est celui qui gouverne en préparant la guerre sans y avoir recours ».

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L’environnement philosophique au temps de Sun Tzu

Un célèbre contemporain de Sun Tzu : Confucius

Un célèbre contemporain de Sun Tzu : Confucius

La période des Royaumes combattants a correspondu à un âge d’or de la réflexion militaire chinoise qui bouleversa les pratiques guerrières et aboutit à l’unification du monde chinois et à la naissance de l’Empire.

Si les combats incessants eurent à cette époque pour conséquence de détruire les anciens fiefs, ils mirent également à bas la morale traditionnelle : cette ère, qui fut l’une des plus troublées de l’histoire de Chine, s’avèrera être l’une des plus riches intellectuellement, en voyant l’émergence de grands courants philosophiques, les « Cent Écoles », qui dominèrent les modes de pensées du monde chinois ou sinisé. Pour la première fois, des écrits contribuèrent à alimenter cette réflexion : ouvrages administratifs, spéculations cosmiques, discours sur la morale et les rituels, projets sociaux utopiques, … Leurs doctrines variées allaient constituer les fondations de la pensée politique chinoise pour les deux mille ans à venir, concomitamment à nos philosophes antiques. Les plus célèbres courants originaires de cette époque étaient ceux des confucéens, des taoïstes et des légistes. Ces derniers furent d’ailleurs à l’origine de l’organisation sociale du royaume de Qin, premier unificateur de l’Empire en 221 av. J.-C.

Selon la conception chinoise classique, la pensée stratégique proprement militaire n’était qu’une branche de la stratégie politique, qui elle-même découlait d’une réflexion philosophique plus globale. C’est pourquoi de nombreux ouvrages comme le Tao Te King de Laozi ou les classiques confucéens traitaient de la question de la guerre. À l’inverse, les traités militaires comme celui de Sun Tzu, proche en cela du Prince de Machiavel, étaient lus autant comme des traités de gouvernement que comme des traités militaires (voir notre billet Du charisme du général).

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Sun Tzu est-il adapté aux conflits asymétriques ?

Sun Tzu plus adapté aux conflits asymétriques que symétriques ?

Nous venons de le voir, à l’instar de la plupart des conflits que l’Empire chinois connaîtra tout au long de son histoire, les guerres des Royaumes combattants étaient le plus souvent internes, entre voisins qu’il fallait absorber et en aucun cas détruire, l’adversaire d’aujourd’hui ayant « naturellement » vocation à devenir le sujet de demain. Les hommes des Royaumes combattants, en dépit de différences linguistiques et culturelles, appartenaient au même univers. Ils se sentaient proches par la civilisation et possédaient une écriture commune ; ils partageaient les mêmes valeurs, se réclamaient de la même tradition et, finalement, aspiraient tous à la restauration de l’unité perdue. Il y avait donc pas à proprement parler d’asservissement d’un peuple par une nation étrangère, mais une réalisation de l’idéal imaginé par les saints rois à l’origine de la civilisation. Toute la philosophie de L’art de la guerre s’inscrivait dans ce contexte de guerre symétrique entre deux adversaires qui ne recherchaient pas l’annihilation réciproque mais simplement la victoire.

Pourtant, à l’époque de Sun Tzu, d’autres formes de conflits existaient : les « barbares », ces étrangers au monde chinois qui pressaient aux frontières, devaient être régulièrement combattus. Mais dans ce cas-là, les oppositions entre les deux peuples étaient trop profondes, les modes de vie trop différents, et les manières de sentir et de penser trop éloignées pour qu’il puisse y avoir conciliation. Dans le même temps, l’immensité de la steppe rendait chimérique tout espoir d’une victoire militaire décisive sur ces barbares[1].

Or L’art de la guerre ne traite absolument pas de ce type de confrontation entre deux adversaires fondamentalement différents, ce que nous pourrions aujourd’hui rapprocher du « conflit asymétrique ». Le traité de Sun Tzu n’a été conçu que pour des oppositions entre adversaires appartenant au même monde. Ce qui a été le cas de la plupart de nos « grandes guerres » : avant même notre monde « globalisé », il n’y avait déjà plus d’étrangers dans les conflits symétriques. Et ce même s’il y avait diabolisation de l’ennemi : les Nazis de la seconde guerre mondiale ou les Communistes de la Guerre froide ne devaient pas être exterminés mais seulement battus, pour qu’il leur soit ensuite imposé le retour (ou l’entrée) dans le « droit chemin ».

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L’empreinte de la période des Royaumes combattants dans la composition de L’art de la guerre

Les Royaumes combattants ont-ils tant influencé Sun Tzu ?

Les Royaumes combattants ont-ils réellement influencé Sun Tzu ?

Si L’art de la guerre est aujourd’hui perçu comme atemporel, certains préceptes peuvent être suspectés de découler directement des spécificités de la période des Royaumes combattants dans laquelle a évolué Sun Tzu.

Nous l’avons vu dans le billet précédent, la progressive disparition du char avait bouleversé l’art de la guerre, en ne cantonnant plus ce dernier au simple choix du « bon moment » (pour attaquer, pour entrer en guerre, etc.), mais en exigeant une véritable maîtrise de l’art militaire.

Autre spécificité de la période des Royaumes combattants par rapport à celle qui l’avait précédée : nous sommes désormais dans le cadre d’un univers de conscription et non d’armées professionnelles. Le problème qui se pose maintenant au général est donc de transformer des paysans, n’y connaissant rien au maniement des armes, en militaires aptes à remporter des victoires. La solution que propose Sun Tzu n’est pas d’avoir une armée de métier, ni même d’instaurer un service militaire (comme le préconisait par exemple son contemporain Wu Zixu), mais bien de faire avec la ressource, aussi inapte à la guerre soit-elle. Stimuler le courage de troupes constituées non par des soldats professionnels, mais de paysans enrôlés plus ou moins de force dans les armées, a toujours constitué un des soucis majeurs du commandement dans ce type d’armée (L’art de la guerre de Sun Bin contient d’ailleurs un chapitre entièrement dévolu à cette question). Empruntant à la fois aux écoles philosophiques des stratèges et des légistes, Sun Tzu préconisa de placer ses soldats dans une position telle que, mis au pied du mur, ils soient contraints de déployer des trésors de bravoure (école des stratèges) ; et il préconisa également de se baser sur la loi et le système répressif en maniant les récompenses et punitions (école légiste).

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