Du lien entre le général et ses troupes

La première grande réflexion française sur le sujet : le Du contrat social de Rousseau

La première grande réflexion française sur le sujet : le Du contrat social de Rousseau

Pour Sun Tzu, la qualité du lien existant entre le général et ses troupes est la meilleure garantie de l’invincibilité  :

« La guerre est subordonnée à cinq facteurs ; ils doivent être pris en compte dans les calculs afin de déterminer avec exactitude la balance des forces. Le premier est la vertu […]. La vertu est ce qui assure la cohésion entre supérieurs et inférieurs, et incite ces derniers à accompagner leur chef dans la mort comme dans la vie, sans crainte du danger. » (chapitre 1)

Cette cohésion se gagne par l’expression d’une qualité du général : la vertu (Jean Lévi précise pour son choix de traduction de « vertu » que le terme doit être entendu au sens qu’il a chez Montesquieu : la force morale donnée à une nation par ses mœurs et ses institutions).

Nous avons écrit « le lien existant entre le général et ses troupes », mais il s’agit là d’une compréhension de certains traducteurs (dont celui auquel nous nous référons : Jean Lévi), qui n’est pas unanimement partagée. Ainsi, d’autres traducteurs français considèrent que Sun Tzu entendait le sujet comme étant le peuple entier (Alexis Lavis, Tang Jialong, Samuel Griffith, Groupe Denma, père Amiot), le souverain (Valérie Niquet, manga de Wang Xuanming), ou le seul général (Jean Lévi, Jean-François Phelizon).

D’ailleurs, le niveau « peuple – souverain » paraitrait plus cohérent avec la déclinaison que donne par la suite Sun Tzu dans son énumération de facteurs de supériorité du chapitre 1 (nous y reviendrons dans un prochain billet) :

« La guerre est subordonnée à cinq facteurs ; […] Le premier est la vertu […] »

>>> « La vertu est ce qui assure la cohésion entre supérieurs et inférieurs, et incite ces derniers à accompagner leur chef dans la mort comme dans la vie, sans crainte du danger. […] »

>>> « Pris en compte dans les calculs, [ces facteurs] permettent une évaluation exacte du rapport de forces. Il suffit pour cela de se demander : Qui a les meilleures institutions ? […] »

D’autres passages semblent de même attribuer cette vertu au général : Continuer la lecture

De la mission du général

La devise de Saint-Cyr

La devise de Saint-Cyr

Quelle est la mission du général ?

Vaincre ! Tout simplement. Le terme (dans sa forme nominale ou adjective) revient d’ailleurs 51 fois dans ce texte de moins de 10 000 mots. Rien que dans le 1er chapitre :

« Ceux qui possèdent à fond [ces cinq facteurs] remportent la victoire. »

« La réponse à ces questions permet de déterminer à coup sûr le camp qui détient la victoire. »

« Le général qui se fie à mes calculs sera nécessairement victorieux : il faut se l’attacher. »

« Tels sont les stratagèmes qui apportent la victoire. »

« La victoire est certaine quand les supputations élaborées dans le temple ancestral avant l’ouverture des hostilités donnent un avantage dans la plupart des domaines […]. Ainsi, qui additionne de nombreux atouts sera victorieux, qui en a peu sera vaincu. »

Cependant, s’il ne demeure aucune ambiguïté sur l’objectif du général, il n’est pas certain que ce dernier puisse accomplir sa mission, fut-il le meilleur choix du souverain. En effet, en contradiction avec les promesses de victoire certaine martelées dans le premier chapitre, aucun calcul stratégique ne peut garantir la victoire. Tout au plus la non-défaite :

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Sun Tzu, le jeu

Le jeu Sun Tzu sorti en 2010 revient dans une édition « Deluxe »

Le jeu Sun Tzu sorti en 2010 revient dans une édition « Deluxe »

Alors que nous avions vu que Sun Tzu pouvait être considéré comme une icône de la culture populaire, peu de jeux ont cependant explicitement pris pour thème L’art de la guerre[1]. En 2010 paraissait toutefois aux éditions Matagot une petite boîte proposant à deux joueurs de s’affronter dans l’univers de Sun Tzu. Épuisé depuis peu, ce jeu nous revient aujourd’hui dans une version « Deluxe ». L’occasion d’en faire le tour.

Nous avons là est un jeu de plateau / jeu de cartes de type Risk. Si l’on remonte un peu l’histoire, il s’agit d’une transposition en français d’un jeu américain paru en 2005 sous le nom « Dynasties ». Le passage à la version française l’a beaucoup plus fortement raccroché au thème de Sun Tzu.

L’univers servant de cadre au jeu est donné pour être celui des Printemps et des Automnes (nous ne reviendrons pas sur la réalité historique de l’appartenance de Sun Tzu à cette période). Un joueur incarne Sun Tzu, du royaume de Wu, et l’autre le roi de Chu ; les pouvoirs spéciaux de chacun sont différents, mais le jeu est équilibré et l’attribution de ces rôles n’a en pratique aucune conséquence. Les illustrations des cartes du jeu sont l’œuvre de Rolland Barthélémy, dessinateur français emblématique des années 80-90. Si elles agrémentent et enjolivent indubitablement le jeu, il ne faut guère s’attacher à leur réalité historique : les personnages et costumes représentés ne sont qu’une vision fantasmée de la Chine antique, certaines scènes sont totalement anachroniques (ex : la cavalerie, qui n’existait pas à cette époque) et la carte de Chine avec ses cinq provinces n’est qu’ « inspirée » de la réalité du moment. Mais ce n’est pas là le plus important.

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Des forces régulières et extraordinaires

Un usage judicieux des forces est indispensable

La bataille se gagne grâce à l’emploi de forces extraordinaires

Les forces « régulières » (« zheng » en chinois, 正, prononcez « djung ») et les forces « extraordinaires » (« qi », 奇, prononcez « tchi ») sont un aspect essentiel du système suntzéen. Elles sont traitées dans le chapitre 5 :

« En règle générale, on use des moyens réguliers au moment de l’engagement ; on recourt aux moyens extraordinaires pour emporter la victoire. » (chapitre 5)

Si la compréhension la plus immédiate et naturelle assigne les forces régulières au combat « conventionnel » et les forces extraordinaires aux combats de guérilla (c’est par exemple la lecture qu’en avait le stratège chinois contemporain Liu Bocheng[1]), nous pouvons observer que Sun Tzu se refuse à définir et donc à figer les fonctions de ces deux types de forces. Peut-être parce que cela est évident pour lui, mais peut-être également parce qu’elles peuvent en réalité très bien se transformer l’une en l’autre : c’est par sa fonction et non par sa nature qu’une force serait alors considérée comme normale ou extraordinaire :

« Bien qu’il n’y ait que cinq notes, cinq couleurs et cinq saveurs fondamentales, ni l’ouïe, ni l’œil, ni le palais ne peuvent en épuiser les infinies combinaisons. De même, bien que le dispositif stratégique se résume aux deux forces, régulières et extraordinaires, elles engendrent des combinaisons si variées que l’esprit humain est incapable de les embrasser toutes. Elles se produisent l’une l’autre pour former un anneau qui n’a ni fin ni commencement. Qui donc pourrait en faire le tour ? » (chapitre 5)

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Du rapport de force

Peut-on affronter un adversaire plus fort que soi ?

Peut-on affronter un adversaire plus fort que soi ?

« Si l’ennemi est fort, évitez-le. » (chapitre 1)

« Il faut être capable de […] se dérober à un ennemi qui vous surclasse sur tous les plans. » (chapitre 3)

Sun Tzu commanderait-il de ne jamais s’attaquer à plus fort que soi ?

Prises au premier degré, ces maximes laisseraient en effet entendre qu’il ne faut se confronter à un ennemi plus fort que soit. Un corollaire, non clairement exprimé, serait qu’il faut toujours chercher à être plus fort que l’adversaire ; cela peut s’obtenir par le volume brut de soldats, mais peut également s’envisager grâce au jeu d’un terrain favorable voire d’un renseignement suffisant. Avec ou sans facteurs multiplicateurs, les maximes indiqueraient clairement qu’il ne faut pas s’attaquer à un adversaire tant que celui-ci serait en position de force.

Mais de quel niveau d’adversaire parle-t-on ? De l’ensemble de l’ennemi ou d’une portion que l’on aura sélectionnée ? Une règle militaire moderne est de ne pas attaquer à moins de trois contre un. C’est exactement ce que prescrit Sun Tzu, en détaillant les ratios :

« La règle de l’art militaire veut qu’on encercle l’adversaire quand on dispose d’une supériorité de dix contre un, qu’on l’assaille à cinq contre un, à deux contre un on le fractionne, à forces égales on doit savoir combattre. » (chapitre 3)

« Attaquant à dix contre un, je me retrouve en supériorité numérique. » (chapitre 6)

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