Le pillage, un procédé toujours pertinent

Scène de pillage en Syrie

Incontestablement, Sun Tzu préconise le pillage :

« Pillez en terrain de diligence. » (chapitre 11)

Nous pourrions penser, ex abrupto, que ce procédé est barbare et caduc. Certains exégètes historiques n’ont d’ailleurs pas manqué de contester ce précepte de Sun Tzu[1]. Pour autant, une simple étude des conflits contemporains nous montre qu’il est toujours bien appliqué dans nombre d’endroits du monde, que cela soit le fait de guérillas, d’insurrections ou de conflits plus symétriques. Nous verrons même qu’au sein des armées occidentales modernes, le concept de pillage peut toujours s’avérer d’actualité.

L’Art de la guerre expose deux raisons rendant nécessaire le recours au pillage : assurer sa logistique, et motiver ses hommes par l’autorisation de dépouiller l’adversaire.

Étudions d’abord la première justification :

« Qui est habile à conduire les armées ne procède jamais à deux levées consécutives ni n’a besoin de trois réquisitions de grains. Ses ressources propres lui suffisent et il puise ses vivres chez l’ennemi. C’est ainsi qu’il assure la subsistance de ses troupes. » (chapitre 2)

« On pourvoit aux besoins en nourriture des troupes en pillant les campagnes fertiles. » (chapitre 11)

Sun Tzu affirme ainsi que le recours au pillage rend possible des expéditions lointaines qui, sans cela, nécessiteraient une logistique impossible à tenir :

« Ce qui appauvrit la nation, ce sont les approvisionnements sur de longues distances. Un peuple qui doit supporter des transports sur de longues distances est saigné à blanc. » (chapitre 2)

Si les armées occidentales excluent le pillage violent comme source d’approvisionnement, ce procédé est encore pratique courante dans bon nombre de conflits contemporains (particulièrement les affrontements ethniques). Dans le passé récent, l’accaparation par l’Allemagne nazie de la capacité de production des pays envahis, sans parler bien sûr de la spoliation des biens des juifs, était emblématique du pillage violent. Aujourd’hui, la plupart des guérillas contemporaines cherchent toujours à s’approvisionner sur les armureries, les zones de ravitaillement et autres entrepôts de l’adversaire.

Nous avons précisé que le pillage « violent » n’était de nos jours plus pratiqué par les armées occidentales modernes ; cependant, lorsque ces dernières demandent au pays « hôte » de leur fournir des équipements de première nécessité (nourriture, carburant, etc.), quand bien même elles les paient, cette acquisition aura toutes les chances d’être reprochée par les populations locales comme étant du pillage de ressources nationales. En cherchant ainsi à simplifier sa logistique, les armées les plus respectueuses du droit de la guerre actuel ne se livreraient-elles donc tout de même pas à une forme douce de pillage[2] ?

Si nous acceptons d’étendre ainsi le procédé à ses formes les moins brutales, nous pouvons affirmer que toutes les armées recourent aujourd’hui au pillage par souci d’abaisser le coût logistique de leurs expéditions militaires :

« Un général avisé s’emploie à vivre sur l’ennemi. Car une mesure prise sur lui en épargne vingt acheminées depuis l’arrière. Un boisseau de fourrage mangé chez lui en vaut vingt venus de l’arrière. » (chapitre 2)

Le risque, si le « boisseau » évoqué par Sun Tzu est pris à la population et non à l’armée ennemie, est bien sûr de susciter une rébellion de la population contre soi. Mais Sun Tzu ne le mentionne pas, sans doute parce qu’il table sur des campagnes-éclair aboutissant à une victoire totale avant que des mouvements populaires n’aient eu le temps de se structurer.

L’appui à la logistique n’est pas le seul intérêt que Sun Tzu voit dans le pillage. La motivation des troupes par la promesse de rétributions exceptionnelles est l’autre justification :

« En appâtant [ses hommes] par la promesse de récompenses, [le général] les incite à attaquer l’ennemi pour s’emparer du butin. » (chapitre 2)

« Quand on pille une région, on répartit le butin entre ses hommes ; lorsqu’on occupe un territoire, on en distribue les profits. » (chapitre 7)

Si certaines guérillas acceptent encore de voir dans le pillage de l’ennemi une forme de rétribution des troupes, force est de reconnaitre que les armées occidentales modernes n’envisagent plus de recourir à cet expédient. Mais pourquoi ?

Rappelons qu’à l’époque de Sun Tzu, les soldats étaient des conscrits, pas des volontaires : leur raison d’aller à la guerre, hors cas de défense de leurs terres, n’était donc que la contrainte. Pour éviter la désertion et leur insuffler la plus grande combativité possible, la récompense était le principal élément de motivation. Aujourd’hui, la majorité des pays occidentaux ont fait le choix d’armées professionnalisées. Motiver leurs troupes pour aller au combat et se battre avec ardeur n’est donc plus une nécessité aussi prégnante que ce qu’elle l’était à l’époque des Royaumes combattants : il n’est plus nécessaire de compenser par d’autres facteurs moraux la motivation au combat qu’offrait la perspective du pillage.

Notons qu’un dernier effet bénéfice du pillage n’a été qu’indirectement exposé par Sun Tzu : la soumission de l’ennemi sans combat, par la terreur. Si cet effet n’est pas recherché par les armées occidentales contemporaines, il l’a été couramment (et consciemment) par des combattants comme ceux de Gengis Khan, de Fidel Castro ou, plus récemment, de Daech : outre l’approvisionnement sur les terres conquises, les combattants cherchaient, par la violence de leur pillage si les adversaires faisaient montre de résistance au don « volontaire », à terroriser la population afin d’obtenir la soumission immédiate des cibles suivantes.

Le pillage : un procédé toujours d’actualité !


[1] À titre d’exemple, la maxime « L’expert en stratégie, cultivant le Principe et attentif aux lois, est le dispensateur de la victoire et de la défaite » du chapitre 4 amène le commentaire suivant de Li Quan, auteur militaire chinois du IXe siècle :

Selon les règles qui gouvernent la répression des troubles, il ne faut pas lancer une expédition punitive contre un pays qui n’a pas commis de faute. L’armée ne doit pas pratiquer le pillage, brûler les arbres, souiller les puits ou les foyers, détruire les campagnes traversées, les villes, les tombeaux et les temples des ancêtres. Il faut accepter de grimper les degrés qui mènent à la salle principale du palais et ne pas mépriser les affaires du pays vaincu. C’est ce que l’on désigne par [le principe] et les lois.

Le traducteur américain Samuel Griffith souligne même que certains commentateurs estiment que la maxime « Pillez en terrain de diligence » du chapitre 11 devrait au contraire être traduite par « Ne pillez pas » !…

[2] Si le sens premier donné par le Grand Robert au mot piller est « Prendre, emporter ouvertement, par la violence (le bien d’autrui) », le terme peut s’employer également par extension pour signifier « Dépouiller par des vols, des concussions, des détournements ».

Même lorsque les États-Unis emmènent toute leur logistique sur un théâtre d’opération, ils imposent par leur dissuasion un certain nombre de contraintes au pays hôte : maîtrise de l’espace aérien, capacité à s’approvisionner en carburant, etc.

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Une réflexion sur « Le pillage, un procédé toujours pertinent »

  1. La première note de bas de page me fait penser au droit de la guerre. Je crois qu’il y a longtemps, à peu près dans tous les coins du monde, il existait des règles coutumières pour limiter le pillage. Par exemple, on avait le droit de prendre les fruits d’un arbre sur le territoire ennemi, mais on désapprouvait le fait de le couper ou de le brûler.

    Article très intéressant en tout cas, c’est vrai qu’on pourrait penser que le pillage n’existe plus chez les armées professionnelles. Mais il semblerait que le pillage se soit transformé (si on admet votre définition extensive).

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