Un article intitulé « Petit manuel de cyberguerre économique d’après Sun Tzu » est paru dans le numéro 24 des Grands dossiers de Diplomatie magazine. Ce texte est très intéressant, car il est la parfaite illustration que l’on peut écrire à peu près n’importe quoi en se recommandant de Sun Tzu. L’auteur s’est en effet ici essayé à rédiger un « Art de la guerre appliqué à la cyberguerre économique » ; et le résultat est plutôt édifiant pour qui connait un tant soit peu le traité de Sun Tzu. A titre d’exemple, voici comment l’auteur de l’article transpose à sa thématique le chapitre 12 de L’art de la guerre :
- De l’art d’attaquer par le feu
Il ne faut pas hésiter à « faire feu » en face d’attaques non conventionnelles et dénoncer sans scrupules les internautes qui ne respectent pas les conditions générales d’utilisation édictées par un média. Par exemple, nous recommandons la dénonciation des faux profils ou usurpations d’identité aux administrateurs d’un site (Facebook, Twitter, Wikipédia, etc.) De même, le recours à un arsenal juridique en cas de diffamation ou d’attaques illégales doit faire partie des solutions envisagées.
Nous invitons le lecteur à se replonger dans ce 12e chapitre (très bref : moins de 500 mots) pour réaliser à quel point la transposition citée ici n’a absolument aucun rapport avec les idées développées par Sun Tzu. L’auteur s’est simplement appuyé sur le titre du chapitre, « attaquer par le feu », et a laissé libre cours à son imagination. Et ne croyez pas qu’il s’agit là d’un contre-exemple : tout l’article est de la même trempe !
Doit-on dédouaner l’auteur parce qu’il a précisé dans son introduction qu’il s’était « amusé à adapter les treize chapitres de L’art de la guerre de Sun Tzu aux problématiques numériques » ? Peu importe, au fond : tout comme prolifèrent les fausses citations, ce phénomène de transposition hasardeuse des préceptes de Sun Tzu est extrêmement répandu. Nous l’avions d’ailleurs déjà signalé dans notre billet De l’art d’interpréter Sun Tzu.
La chose est d’autant peu rassurante que son auteur semble sérieux : professeur associé à l’Ecole de guerre économique, officier de réserve, ayant publié plusieurs ouvrages et arguant d’un CV déjà bien léché, notre homme transpire le professionnalisme. Pourtant, il est capable de produire un tel papier, qui n’a rien de très sérieux.
Il est vraiment étrange de constater comment L’art de la guerre, texte si bref et apparemment si simple d’accès, peut conduire à de tels égarements. Nous en rechercherons la raison dans les prochains billets.