« La guerre est subordonnée à cinq facteurs. […] Le quatrième est le commandement. » (chapitre 1)
« Le général est le rempart de l’Etat ; si celui-ci est solide, le pays est puissant, sinon il est chancelant. » (chapitre 3)
« Une armée peut connaître la fuite, le relâchement, l’enlisement, l’écroulement, le désordre, la déroute. Ces six malheurs ne tombent pas du Ciel mais proviennent d’une erreur du commandement. » (chapitre 10)
Le chef est, pour Sun Tzu, le pilier de la victoire. De très nombreuses qualités que ce dernier doit posséder sont égrenées au fil du traité :
« Le commandement dépend de la perspicacité, de l’impartialité, de l’humanité, de la résolution et de la sévérité du général. » (chapitre 1)
« Parce qu’il a le contrôle du moral, un bon général évite l’ennemi quand il est d’humeur belliqueuse pour l’attaquer quand il est indolent ou nostalgique ; parce qu’il a la maîtrise de la résolution, il oppose l’ordre au désordre, le calme à l’affolement ; parce qu’il détient la maîtrise des forces, il oppose à des hommes qui viennent de loin des combattants placés à proximité du théâtre des opérations, à des soldats épuisés des troupes fraîches, à des ventres vides des ventres pleins ; parce qu’il a le parfait contrôle de la manœuvre, il n’affronte pas les bannières fièrement déployées ni des bataillons impeccablement ordonnés. » (chapitre 7)
« Un général se doit d’être impavide pour garder ses secrets, rigoureux pour faire observer l’ordre. » (chapitre 11)
Gardons à l’esprit le caractère très fragile des caractéristiques énumérées ici, eu égard aux difficultés de traduction (cf. notre billet Des qualités requises pour être général).
Une grande partie des qualités que Sun Tzu attend du général nécessitent également d’être déduites de ses préceptes :
« Un souverain digne de ce nom ne lève pas une armée sous le coup de la colère, le véritable chef de guerre n’engage pas la bataille sur un mouvement d’humeur. » (chapitre 12) : Le parfait général doit être maître de ses humeurs.
« Qui sait commander aussi bien à un petit nombre qu’à un grand nombre d’hommes sera victorieux. Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire. » (chapitre 3) : Le général doit être un chef charismatique.
Sun Tzu présente également parfois les qualités du chef par opposition :
« On dénombre cinq traits de caractère qui représentent un danger pour un général : s’il ne craint pas la mort, il risque d’être tué ; s’il chérit trop la vie, il risque d’être capturé ; coléreux, il réagira aux insultes ; homme d’honneur, il craindra l’opprobre ; compatissant, il sera aisé de le tourmenter. Ces cinq traits de caractère sont de graves défauts chez un capitaine et peuvent se révéler catastrophiques à la guerre. » (chapitre 8)
« Si, ne pouvant contenir son impatience, le commandant en chef lance prématurément l’assaut général en envoyant ses hommes escalader les remparts tels des fourmis, il perdra un tiers de ses effectifs sans avoir enlevé la place. Telle est la plaie des guerres de siège. » (chapitre 3)
Au final, l’énumération de toutes les qualités recommandées par Sun Tzu, qu’elles soient explicitement citées ou seulement sous-entendues, aboutirait à une liste particulièrement longue de plusieurs dizaines de qualités. De fait, celle-ci ne s’avèrerait guère exploitable, semblant couvrir toute la palette des qualités possibles. Pourtant, le chef idéal de Sun Tzu n’est pas le même que celui de Clausewitz ou de Napoléon. Dès lors, il paraît plus pertinent d’aborder cette question en déduisant les qualités primordiales d’une lecture synthétique du traité. C’est ce à quoi aspire ce blog par la méthode des petits pas…
Une approche particulièrement intéressante est celle que m’a livrée le sinologue Jean Lévi, traducteur de L’art de la guerre. L’angle d’attaque qu’il propose pour ce travail de synthèse réside dans la déclinaison du postulat primordial de L’art de la guerre que la guerre repose sur le mensonge. A partir de ce constat, il est en effet possible de tracer la ligne de conduite du grand général et en inférer les qualités qui lui sont nécessaires.
Ainsi, le général doit tout d’abord être capable d’évaluer le rapport des forces afin de ne pas se laisser abuser. En second lieu, la guerre étant faite de tromperie et d’illusions et étant soumise à toutes sortes d’aléas aussi bien climatiques que géographiques, les plus grandes qualités d’un général seront la faculté d’adaptation, la souplesse et le pragmatisme. Le stratège pourra prétendre à la maîtrise de tous les facteurs sitôt qu’il en comprendra la logique et saura s’y plier. Pour répondre au mieux à cette dialectique du visible et de l’invisible, où celui qui ne se laisse pas deviner a le dessus sur l’autre, il convient d’être impavide et de conserver la parfaite maîtrise de ses émotions : savoir être impénétrable (aussi bien à ses hommes qu’à l’ennemi) est l’un des impératifs essentiels à la guerre selon Sun Tzu. De la même façon que le Tao produit toutes les formes et les contrôle parce qu’il est soustrait au monde de l’être, le bon général est celui qui est hermétique et masque ses desseins alors que les visées de l’autre lui sont transparentes.
Présenté ainsi, un personnage historique (et postérieur à L’art de la guerre) incarnerait bien le stratège idéal aux yeux de Sun Tzu : Zhuge Liang, héros du roman populaire Les Trois Royaumes. Pour autant, cette homme ne pourrait être le général parfait, car il lui manquerait toutes les autres qualités que l’on attend « naturellement » d’un chef de guerre : vaillance au combat et surtout capacité à mener les hommes. Zhuge Liang n’était, lui, que stratège.
Tellement actuel !