L’art de la guerre ne permet pas de remporter les batailles

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Lire le traité de Sun Tzu ne suffit pas à gagner les guerres

Nous nous sommes interrogés dans le précédent billet sur le caractère obligatoire ou non de considérer L’art de la guerre comme un système complet et indissociable dont la cohérence globale reposerait sur la mise en œuvre de la totalité des règles, excluant tout picorement de préceptes.

En réalité, le débat ne se situe pas à ce niveau du pour ou contre l’indivisibilité du système. En effet, la pensée stratégique ne doit pas nécessairement produire des dogmes, ni rechercher des vérités immuables et transcendantes. Elle doit plutôt chercher à mettre l’esprit en mouvement. Les principes qu’elle dégage n’ont rien d’immuables. Pour éviter le piège de la confusion entre « principe » et « dogme », rappelons les propos du professeur et stratégiste Hervé Coutau-Bégarie : « En réalité, les principes à la guerre n’ont la valeur féconde d’un principe que pour ceux qui les ont dégagés, ou retrouvés eux-mêmes au cours de leur travail personnel. » Le stratégiste revient en effet à de très nombreuses reprises dans son Traité de stratégie sur les limites à fixer aux recettes fournies par tous les traités militaires. Dans son chapitre (de près de 100 pages) « La stratégie en tant que méthode », il indique que la notion de système complet, si elle peut effectivement avoir du sens, ne peut être réellement appliquée. Aucun stratège n’a en effet jamais strictement mis en œuvre un système qu’on lui aurait enseigné : il recrée toujours son propre système à partir de ses enseignements, ses lectures, ses expériences, son génie et de multiples autres facteurs sans rapport direct. En définitive l’essentiel n’est pas de trouver des principes mais bien de les chercher. Ainsi, nier la possibilité de disséquer Sun Tzu, c’est refuser aux générations actuelles et futures le droit de mettre l’esprit en mouvement afin justement de dégager de nouveaux principes ou d’en redécouvrir. Il n’est pas ici question de se soumettre à une école de pensée qui n’aurait pas de sens aujourd’hui car totalement anachronique, mais d’aller chercher chez Sun Tzu comme chez les autres matière à réflexion.

Dans sa thèse intitulée Les sept classiques militaires dans la pensée stratégique chinoise contemporaine[1], Laurent Long estime que la notion de « système » est une vision que les Occidentaux veulent à tout prix plaquer sur un texte qui n’a à l’origine pas cette ambition :

Dans ce contexte où les Classiques [sous-entendu : les « classiques militaires chinois », dont L’art de la guerre est un des piliers] sont cultivés pour leur aspect concret […], les analystes de la question pourraient être tentés de parler de « doctrine stratégique ». L’idée serait séduisante [car elle permettrait d’assimiler les Classiques] à des principes contraignants dont la connaissance permettrait de prévoir – pour ainsi dire à coup sûr – les réactions et les comportements des armées, des diplomates ou des commerçants des pays qui en font leurs références stratégiques. Les Occidentaux se sont habitués, depuis les Grecs et le christianisme, à rechercher un système d’explication complète du monde, et à envisager l’action à partir de principes conçus comme immuables et éternels, beaux et bons, pouvant inspirer les conduites de manière constante et absolue. Dans le domaine militaire, cette disposition, se voulant guidée par la raison, cherche à donner une réponse déterminée à une menace précise.

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La tentation du système monolithique

Sun Tzu et Moïse : même combat ?

Sun Tzu et Moïse : même combat ?

Peut-on considérer L’art de la guerre comme un simple catalogue de maximes, ou s’agit-il d’un système complet et indissociable dont la cohérence globale repose sur la mise en œuvre de la totalité des règles, excluant tout picorement de préceptes ?

Force est en premier lieu de constater que l’utilisation commune du traité de Sun Tzu consiste à y piocher la citation à même d’illustrer un propos. Le panel est en général d’ailleurs relativement réduit : « Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait », « Remporter cent victoires après cent batailles n’est pas le plus habile ; le plus habile consiste à vaincre l’ennemi sans combat », sans oublier au passage quelques citations apocryphes !

Sans nécessairement qu’il soit question de malhonnêteté intellectuelle, ne pas considérer le système suntzéen comme un tout peut conduire à une méprise sur le sens véritable d’une maxime. Par exemple :

« La prévision [du déroulement de la bataille] n’est pas tirée de l’analogie avec le passé […]. Elle provient uniquement des renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire. » (chapitre 13)

Cette citation pourrait être interprétée comme un rejet de l’histoire militaire, ou, tout au moins, de l’érudition pédante des historiens prompts à donner des conseils aux guerriers. Le contexte immédiat de la phrase, qui n’a guère de rapport, ne contredirait d’ailleurs pas cette interprétation :

« Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d’une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce à leur capacité de prévision. Or la prévision ne vient ni des esprits ni des dieux ; elle n’est pas tirée de l’analogie avec le passé pas plus qu’elle n’est le fruit des conjectures. Elle provient uniquement des renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire. Il existe cinq sortes d’agents. » (s’ensuit la description des différentes sortes d’agents secrets)

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Sun Tzu dans les académies militaires du monde

Un colloque chinois sur Sun Tzu, avec des militaires. Ce genre d'évènement est extrêmement rare de part le monde.

Un colloque chinois sur Sun Tzu, avec des militaires. Ce genre d’évènement est extrêmement rare de par le monde.

L’enseignement des préceptes de Sun Tzu à travers les académies militaires du monde entier est très variable. Mais globalement faible : le niveau d’étude varie de l’absence totale d’évocation à quelques heures d’instruction. Seule une poignée de pays dépasse le cadre de l’histoire militaire pour entrer réellement dans la mécanique de L’art de la guerre.

D’une étude menée par nos soins auprès des stagiaires internationaux des promotions 2010-2011 et 2011-2012 de l’Ecole de Guerre, couvrant près d’une centaine de pays, il ressort que le continent étudiant le plus le traité est l’Amérique du Sud et celui l’évoquant le moins l’Afrique (où il semble qu’aucun pays ne le fasse). Les autres régions du monde ont des traitements paraissant répartis aléatoirement. Ainsi les États-Unis ne l’étudient pas mais le Canada oui. La Tunisie non mais le Maroc oui. La Corée du Sud y consacre trois jours complets dans son Ecole de guerre mais les Japonais, pourtant les premiers à avoir sorti Sun Tzu de Chine, rien. L’Inde ne fait que citer épisodiquement Sun Tzu alors que l’Afghanistan, dans son école de guerre naissante, lui consacre une demi-journée complète. La Russie n’y voit qu’un réservoir à citations tandis que la Pologne l’étudie dans le cadre de l’histoire militaire. Enfin, l’Allemagne n’y consacre aucun cours là où la Grèce y passe 10 heures !…

Bien entendu, le niveau d’étude peut varier au cours du temps : l’enseignement de l’histoire militaire peut être négligé de nombreuses années et redevenir brusquement prioritaire à la faveur d’un chef sensible à cette discipline. Sun Tzu lui-même peut être plus ou moins apprécié des professeurs.

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A la recherche du 5e critère

Lecteurs, votre aide est requise !

Lecteurs, votre aide est requise !

Dans le billet Les raisons du succès de Sun Tzu, nous avions identifié quatre facteurs susceptibles d’expliquer pourquoi L’art de la guerre était aujourd’hui si populaire dans le monde civil : l’ancienneté, la brièveté, la superficialité et le thème de la conflictualité. Ainsi :

  • Le manuel de tactique de l’armée de Terre[1] est bref, militaire, et foisonne d’injonctions concrètes, mais peut difficilement se prévaloir de son ancienneté…
  • L’Arthashâstra de Kautilya est un texte ancien, traitant essentiellement de la conflictualité sous l’angle militaire, mais aussi politique, administrative et économique, composé de formules claires, mais extrêmement long : 500 pages réparties sur 15 livres.
  • Le Prince de Machiavel peut également être considéré comme bref, ancien et traitant de la guerre, mais ne se présente pas comme une succession d’injonctions claires et épurées.
  • Le Tao Tö King de Lao Tseu est concis, intelligible et ancien, mais n’a pas pour sujet central le conflit (bien qu’il en traite à plusieurs reprises).

Ces quatre facteurs nous paraissent donc raisonnablement concourir au succès de L’art de la guerre. Toutefois, force est de reconnaitre qu’ils ne sont pas encore suffisants : des traités comme ceux de Wou Tseu[2] ou de Sun Bin[3] répondent bien à tous les critères, mais demeurent relativement inconnus du grand public. Il reste donc au moins une caractéristique à identifier.

Se pourrait-il que ces traités soient trop accrochés à leur époque et pas suffisamment intemporels ? Possible. Cependant, L’art de la guerre regorge lui aussi de préceptes caducs, mais leur dépassement ne semble guère poser de problèmes. Le critère n’est donc pas valable.

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Sun Tzu a désormais sa journée mondiale

L’ONU ne se donne pas pour objectif d’éradiquer l’activité guerrière, qu’elle reconnait intrinsèque au genre humain, mais s’évertue à en humaniser la pratique. « La guerre est la grande affaire des nations ; elle est le lieu où se décident la vie et la mort […]. On ne saurait la traiter à la légère. » (L’art de la guerre, chapitre 1)

L’ONU ne se donne pas pour objectif d’éradiquer l’activité guerrière, qu’elle reconnait intrinsèque au genre humain, mais s’évertue à en humaniser la pratique. « La guerre est la grande affaire des nations ; elle est le lieu où se décident la vie et la mort […]. On ne saurait la traiter à la légère. » (L’art de la guerre, chapitre 1)

L’annonce est officielle : l’ONU a finalement accepté la création de la journée mondiale Sun Tzu. Celle-ci a été fixée au 20 octobre, jour de naissance du stratège chinois. La première édition aura lieu en 2017 et sera célébrée en grande pompe par la Chine, à l’origine de la demande. Nul doute que les ambassades chinoises relaieront l’évènement dans tous les pays.

Si Sun Tzu n’est pas le premier personnage historique à se voir consacrer une journée mondiale (on pourra citer la journée Nelson Mandela le 18 juillet ou celle Christophe Colomb le 10 octobre), il est en revanche le premier militaire. Et il restera probablement sans doute le seul, tellement sa pensée est atypique en exhortant à une forme de non-violence dans la guerre :

« Remporter cent victoires après cent batailles n’est pas le plus habile. Le plus habile consiste à vaincre l’ennemi sans combat. » (chapitre 3, traduction du groupe Denma)

Hasard du calendrier, la date coïncide d’ailleurs avec une autre journée mondiale : celle de la résolution des conflits.

Sun Tzu France se mobilisera bien évidemment pour cette journée, et nous réfléchissons déjà à l’organisation de symposiums dans toutes les grandes villes de France sur le sujet. N’hésitez pas à nous contacter si vous désirez participer à l’aventure.

Source de l’image : capture d’écran de l’auteur