T.E. Lawrence photographié en train de lire, vers 1916
Thomas Edward Lawrence, dit Laurence d’Arabie, ne connaissait pas Sun Tzu. Mais il aurait pu : lorsqu’il publie son article Guérilla dans le désert (The evolution of a revolt) en 1920[1], six ans avant Les sept piliers de la sagesse, son confrère américain Patton avait déjà lu et annoté L’art de la guerre à partir de la traduction du britannique Lionel Giles parue en 1910.
Manifestement, Lawrence n’avait jamais entendu parler de Sun Tzu. Dans sa correspondance avec Liddell Hart datée de 1933[2], il n’évoque à aucun moment le stratège chinois. Pourtant, sa culture militaire était grande. Citant un grand nombre d’écrivains militaires, pas forcément parmi les plus connus (des Français comme le Marquis de Feuquières ou Jean Colin, ou des Allemands comme Caemmerer, Goltz ou Willisen), il précise lui-même : « J’avais étudié tout ce que j’avais pu trouver concernant la métaphysique, la philosophie de la guerre, thèmes sur lesquels j’avais réfléchi durant quelques années »[3]. Mais de Sun Tzu, point. Pourtant, nul doute que la lecture de L’art de la guerre aurait constitué une révélation, tant nombre de ses idées iconoclastes auraient trouvé écho dans le traité chinois. Cette impression se ressent d’autant plus que Lawrence est manifestement frustré de ses lectures et n’y a pas trouvé ce qu’il cherchait :
« Les livres me désignaient sans la moindre hésitation le but de toute guerre : « La destruction des forces organisées de l’adversaire » par une « bataille décisive ». La victoire ne pouvait s’acquérir qu’au prix du sang. Ce principe nous était difficilement applicable car les Arabes ne disposaient pas de forces organisées (un Foch turc n’aurait eu aucun but) ; de plus, ils n’acceptaient pas de lourdes pertes (un Clausewitz arabe n’aurait pas eu de quoi acheter sa victoire). […] Cette guerre n’était pour moi qu’une variété de la guerre, tout simplement. Je pouvais en concevoir d’autres, telles celles que Clausewitz avait énumérées : guerres privées pour motifs dynastiques, guerres partisanes où il s’agit d’évincer un adversaire, guerres commerciales pour raisons d’affaires. (Guérilla dans le désert, p. 14)
Depuis Bugeaud, les troupes européennes pratiquaient la contre-insurrection dans les colonies. Lawrence est le premier Occidental à repenser et à pratiquer la guérilla sur le terrain de l’autre. Plus que la guerre frontale, telle qu’elle fut pratiquée pendant la première guerre mondiale, le Britannique privilégiait le mouvement et l’utilisation de l’espace ; la surprise et la rapidité de l’engagement permettaient de pallier l’infériorité numérique et le manque de cohésion des troupes arabes. Lawrence se référait bien sûr au maréchal de Saxe, qui affirmait que l’on pouvait gagner une guerre sans livrer bataille ; mais il aurait à coup sûr trouvé son véritable maître à penser chez Sun Tzu. Ainsi, lorsqu’il écrivait :
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