Un style lapidaire

Un traité relativement concis !

Un traité relativement concis !

Dans un texte militaire « classique » comme celui de Guibert ou de Clausewitz, le traitement d’un concept s’étend sur plusieurs pages, voire plusieurs chapitres, avec force explications et exemples historiques illustrant le bien-fondé du propos. A contrario, L’art de la guerre livre ses injonctions de façon lapidaire.

« Le bon général ne s’attarde pas en terrain isolé, monte des plans là où il risque l’encerclement et livre combat sur les terres mortelles. » (chapitre 8)

Si Sun Tzu justifie la plupart du temps le pourquoi de ses préceptes, l’explication s’avère tout aussi succincte :

« On a suppléé à la voix par le tambour et les cloches ; à l’œil par les étendards et les guidons. Signaux sonores et visuels étant perçus par tous, ils permettent de souder les mouvements des troupes en un seul corps, si bien que les braves ne se ruent pas seuls à l’assaut sans en avoir reçu l’ordre et les pleutres ne battent pas en retraite de leur propre initiative. Tel est le moyen de faire manœuvrer de larges masses. C’est pourquoi, la nuit, on utilise de préférence les feux et les tambours, et, le jour, les bannières et les drapeaux ; cela afin de s’adapter au mieux aux facultés visuelles et auditives. » (chapitre 7)

Dans ce paragraphe, Sun Tzu énonce qu’il faut transmettre les ordres aux troupes au moyen de signaux sonores et visuels, en en donnant la raison.

Continuer la lecture

L’art de la bière

Selon certaines études américaines, l’homme n’aurait créé la guerre qu’afin de trouver un prétexte à consommer plus de bière.

Selon certaines études américaines, l’homme n’aurait créé la guerre que pour trouver un prétexte à consommer plus de bière.

Pour la plupart des « experts », L’art de la guerre serait une théorie de l’affrontement physique. Cette interprétation simpliste est à tel point répandue que rares sont les personnes à encore s’interroger sur le sens réel que pourrait avoir le texte de Sun Tzu. Il est pourtant aujourd’hui acquis que ses véritables intentions étaient de traiter d’un sujet tout autre, beaucoup moins avouable.

La bière.

Prenez le temps de relire L’art de la guerre en remplaçant le mot « guerre » par le mot « bière ». Tout deviendra alors limpide ; chaque précepte se décryptera en mettant à jour une extraordinaire profondeur. Par exemple, les premières phrases du traité « La guerre est la grande affaire des nations […]. On ne saurait la traiter à la légère » se révèlent une formidable et visionnaire injonction à une consommation modérée…

L’intégralité du traité se fait ainsi jour de façon évidente pour l’amateur de bière. L’étude des terrains surprend par son acuité : en consacrant trois chapitres complets (sur 13) à cette question, Sun Tzu montre toute l’importance qu’il est nécessaire d’accorder au terroir. L’érudition de l’étude est d’ailleurs telle qu’elle ne se cantonne pas à la stricte consommation – sujet déjà très vaste, mais s’étend aussi à la fabrication :

« La guerre est subordonnée à cinq facteurs […] Le second est le climat, le troisième la topographie […] » (chapitre 1)

Comment ne pas lire ici l’injonction de prendre en compte, outre le terroir, le facteur météo pour déterminer si une bière sera bonne ou pas (une mauvaise saison peut avoir des conséquences catastrophiques sur la qualité du houblon produit).

Continuer la lecture

The art of war visualized, un OVNI énigmatique

Une entreprise qui a le mérite de l'originalité

Une entreprise qui a le mérite de l’originalité

[Mise à jour du 10 mai 2015 : La version française de cet ouvrage est annoncée aux éditions Marabout par le site Amazon pour le 19 août 2015]

Il n’est pas dans le principe de ce blog de mentionner les parutions en langue anglaise en rapport avec Sun Tzu. Pourtant, nous allons faire ici une exception, tant le sujet s’avère inattendu.

The art of war visualized est une transcription en infographies concises de L’art de la guerre. Ce qui est impressionnant, c’est que ce ne sont pas quelques préceptes qui sont ainsi transposés, mais l’intégralité du traité ! Plus de 200 croquis aspirent ainsi à illustrer la traduction anglaise de Lionel Giles.

Nous ne faisons pas face ici à une quelconque version en bandes dessinées de L’art de la guerre. Ce que nous avons là, ce sont des schémas minimalistes se voulant très synthétiques, tracés d’une façon imitant la précipitation. Le résultat est visuellement réussi et se laisse agréablement regarder.

Jessica Hagy ne se contente toutefois pas d’une transposition graphique mécanique des préceptes de Sun Tzu. Elle semble livrer une véritable vision de sa lecture du traité, comme l’illustre l’exemple ci-dessous :

Continuer la lecture

Lawrence d’Arabie a-t-il lu Sun Tzu ?

T.E. Lawrence photographié en train de lire, vers 1916

T.E. Lawrence photographié en train de lire, vers 1916

Thomas Edward Lawrence, dit Laurence d’Arabie, ne connaissait pas Sun Tzu. Mais il aurait pu : lorsqu’il publie son article Guérilla dans le désert (The evolution of a revolt) en 1920[1], six ans avant Les sept piliers de la sagesse, son confrère américain Patton avait déjà lu et annoté L’art de la guerre à partir de la traduction du britannique Lionel Giles parue en 1910.

Manifestement, Lawrence n’avait jamais entendu parler de Sun Tzu. Dans sa correspondance avec Liddell Hart datée de 1933[2], il n’évoque à aucun moment le stratège chinois. Pourtant, sa culture militaire était grande. Citant un grand nombre d’écrivains militaires, pas forcément parmi les plus connus (des Français comme le Marquis de Feuquières ou Jean Colin, ou des Allemands comme Caemmerer, Goltz ou Willisen), il précise lui-même : « J’avais étudié tout ce que j’avais pu trouver concernant la métaphysique, la philosophie de la guerre, thèmes sur lesquels j’avais réfléchi durant quelques années »[3]. Mais de Sun Tzu, point. Pourtant, nul doute que la lecture de L’art de la guerre aurait constitué une révélation, tant nombre de ses idées iconoclastes auraient trouvé écho dans le traité chinois. Cette impression se ressent d’autant plus que Lawrence est manifestement frustré de ses lectures et n’y a pas trouvé ce qu’il cherchait :

« Les livres me désignaient sans la moindre hésitation le but de toute guerre : « La destruction des forces organisées de l’adversaire » par une « bataille décisive ». La victoire ne pouvait s’acquérir qu’au prix du sang. Ce principe nous était difficilement applicable car les Arabes ne disposaient pas de forces organisées (un Foch turc n’aurait eu aucun but) ; de plus, ils n’acceptaient pas de lourdes pertes (un Clausewitz arabe n’aurait pas eu de quoi acheter sa victoire). […] Cette guerre n’était pour moi qu’une variété de la guerre, tout simplement. Je pouvais en concevoir d’autres, telles celles que Clausewitz avait énumérées : guerres privées pour motifs dynastiques, guerres partisanes où il s’agit d’évincer un adversaire, guerres commerciales pour raisons d’affaires. (Guérilla dans le désert, p. 14)

Depuis Bugeaud, les troupes européennes pratiquaient la contre-insurrection dans les colonies. Lawrence est le premier Occidental à repenser et à pratiquer la guérilla sur le terrain de l’autre. Plus que la guerre frontale, telle qu’elle fut pratiquée pendant la première guerre mondiale, le Britannique privilégiait le mouvement et l’utilisation de l’espace ; la surprise et la rapidité de l’engagement permettaient de pallier l’infériorité numérique et le manque de cohésion des troupes arabes. Lawrence se référait bien sûr au maréchal de Saxe, qui affirmait que l’on pouvait gagner une guerre sans livrer bataille ; mais il aurait à coup sûr trouvé son véritable maître à penser chez Sun Tzu. Ainsi, lorsqu’il écrivait :

Continuer la lecture

L’art du grand n’importe quoi

Sun Tzu aurait-il vraiment cautionné cela ?

Sun Tzu aurait-il vraiment cautionné cela ?

Un article intitulé « Petit manuel de cyberguerre économique d’après Sun Tzu » est paru dans le numéro 24 des Grands dossiers de Diplomatie magazine. Ce texte est très intéressant, car il est la parfaite illustration que l’on peut écrire à peu près n’importe quoi en se recommandant de Sun Tzu. L’auteur s’est en effet ici essayé à rédiger un « Art de la guerre appliqué à la cyberguerre économique » ; et le résultat est plutôt édifiant pour qui connait un tant soit peu le traité de Sun Tzu. A titre d’exemple, voici comment l’auteur de l’article transpose à sa thématique le chapitre 12 de L’art de la guerre :

  1. De l’art d’attaquer par le feu

Il ne faut pas hésiter à « faire feu » en face d’attaques non conventionnelles et dénoncer sans scrupules les internautes qui ne respectent pas les conditions générales d’utilisation édictées par un média. Par exemple, nous recommandons la dénonciation des faux profils ou usurpations d’identité aux administrateurs d’un site (Facebook, Twitter, Wikipédia, etc.) De même, le recours à un arsenal juridique en cas de diffamation ou d’attaques illégales doit faire partie des solutions envisagées.

Nous invitons le lecteur à se replonger dans ce 12e chapitre (très bref : moins de 500 mots) pour réaliser à quel point la transposition citée ici n’a absolument aucun rapport avec les idées développées par Sun Tzu. L’auteur s’est simplement appuyé sur le titre du chapitre, « attaquer par le feu », et a laissé libre cours à son imagination. Et ne croyez pas qu’il s’agit là d’un contre-exemple : tout l’article est de la même trempe !

Continuer la lecture