Le père Amiot, encyclopédiste de la Chine

Le septième tome (sur 15) de l'encyclopédie du monde chinois du père Amiot, contenant Les treize articles

Le septième tome (sur 15) de l’encyclopédie du monde chinois du père Amiot, contenant Les treize articles

Nous avons rapidement brossé dans le précédent billet la vie du père Amiot, tout premier traducteur de L’art de la guerre hors du monde asiatique. Nous allons nous intéresser ici au colossal travail auquel se livra le jésuite pour faire connaître le monde chinois à la France.

Ce dernier était en effet un lettré et un scientifique, et possédait des connaissances importantes en histoire, littérature, mathématiques, physique et musique. Il a légué au monde un nombre important d’écrits et de correspondances sur des sujets très divers incluant par exemple, la médecine, la philosophie, les sciences astronomiques et les danses rituelles chinoises.

Mais il convient avant toute chose de comprendre que le père Amiot n’était pas un cas isolé : les hommes de science que la Compagnie de Jésus envoyait de France avaient en effet une double mission : prêcher l’Evangile, et concourir, par tous les moyens que pouvait fournir leur position spéciale, à enrichir les sciences et les arts de l’Europe. Nonobstant les incontestables facultés intellectuelles du père Amiot, ce dernier ne s’était donc livré à tous ces travaux, si étrangers à l’exercice strict de son ministère, que par souci de remplir son mandat.

Deux époques distinctes marquèrent le séjour en Chine du père Amiot. La première, qui s’étendit de 1750 à 1766, fut celle de son apostolat et de l’étude des langues chinoise et mandchoue (alors langue officielle imposée par la dynastie Qing au pouvoir). Il fut d’ailleurs l’auteur d’une grammaire mandchoue et d’un dictionnaire mandchou-français. Mais le jésuite se passionna immédiatement pour tout ce qui était chinois : coutumes, langues et dialectes, histoire et musique. Dès 1754, soit quatre ans après son arrivée, il envoyait d’ailleurs en France un mémoire non signé et demeuré inédit : De la Musique moderne des Chinois, apparemment complété par un autre envoi, aujourd’hui perdu : Musique que les Chinois cultivaient anciennement.

La seconde époque, de 1967 jusqu’à sa mort en 1793, fut celle où il conquit en France la réputation méritée de savant par sa correspondance scientifique et littéraire avec les personnages les plus érudits de son temps. Outre un travail continuel de publication des bulletins astronomiques, Amiot poussa la recherche dans le domaine du magnétisme et s’occupa de la formation d’hommes de science chinois. Durant cette période, il ne cessa d’alimenter la France en études sur la Chine, dont seule une partie fut publiée.

C’est ainsi qu’il envoya en France en 1766 un texte qu’il venait de traduire et intitulé Les treize articles de Sun-Tsé… Celui-ci parvint en France l’année suivante mais ne fut publié qu’en 1772, avec d’autres traités militaires anciens, au sein d’un ouvrage intitulé Art militaire des Chinois.

Il peut sembler surprenant qu’un homme d’Eglise s’intéresse à la chose militaire. Comme il le dira lui-même, « J’ai entrepris un travail si contraire à mon goût, et si éloigné de l’objet de ma profession, [principalement parce que j’y trouvais utilité] »[1]. Cette utilité, c’était l’apprentissage de la langue mandchoue : « On apprend à s’exprimer en latin, naturellement et avec délicatesse, en lisant les Commentaires de César : pourquoi n’apprendrait-on pas à bien parler tartare en étudiant dans des Commentaires faits pour former des Césars mandchous ? » En outre, il lui était remonté (probablement une commande du ministre d’État Henri Bertin avec lequel il était en correspondance), « qu’en France on était curieux d’avoir des connaissances sur la Milice Chinoise ». La traduction des textes militaires de référence commença alors.

Mais c’est de 1776 à 1789 que paraîtra une œuvre monumentale dont il fut le principal rédacteur : les quinze volumes des Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs et les usages des Chinois (par les missionnaires de Pé-kin). Ce travail colossal, en grande partie compilation des différents travaux de recherche effectués par les jésuites, représentait une véritable encyclopédie du monde chinois. Le septième tome, publié en 1782, était l’exacte réédition de l’Art militaire des Chinois paru dix ans plus tôt, seulement augmentée d’un avertissement et de « Remarques critiques » (des extraits de L’état actuel de l’art et de la science militaire à la Chine de Saint-Maurice de Saint-Leu paru en 1773).

Ce sera d’ailleurs la dernière fois que les Treize articles de Sun-Tsé seront imprimés : il faudra attendre 1948 pour revoir paraître ce texte en français, sous la signature de Lucien Nachin.

Source de l’image : photo de l’auteur


[1] (« Discours du traducteur » de L’art militaire des Chinois, pp. 6 à 9, 1772)

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