Un livre majeur vient tout juste de paraître aux éditions Tallandier : Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles, de l’Américain Bevin Alexander.
Il s’agit d’une traduction (signée Jacques Bersani) de l’ouvrage Sun Tzu at Gettysburg. Son auteur, Bevin Alexander, est un historien américain spécialiste de stratégie militaire. Paru en 2011, Sun Tzu at Gettysburg est son douzième et dernier ouvrage, le seul à avoir été traduit en français.
L’objectif que se donnent ces 296 pages est « de montrer que les chefs militaires qui, durant les deux derniers siècles, lors d’affrontements majeurs, ont suivi sans le savoir les axiomes de Sun Tzu ont connu le succès, tandis que ceux qui ne les respectaient pas étaient voués à la défaite, et quelquefois à des désastres ou à des catastrophes conduisant à la perte pure et simple de la guerre ». Pour cela, l’auteur a étudié neuf batailles à travers le prisme des enseignements de Sun Tzu : Saratoga (1777), Waterloo (1815), les campagnes de la guerre de Sécession de 1862, Gettysburg (1863), la bataille de la Marne (1914), la bataille de France (1940), Stalingrad (1942), la libération de la France (1944) et l’invasion de la Corée du Nord (Incheon, 1950).
Le parti pris de cet ouvrage est légèrement différent de ce que l’on observe habituellement avec Sun Tzu : la plupart du temps, nous trouvons une exégèse pas-à-pas de L’art de la guerre avec à chaque fois une illustration historique du bien-fondé de ses maximes. Procédé que nous avons peu en estime car il sera toujours possible de trouver dans l’immense catalogue de l’Histoire militaire le parfait contre-exemple de ce qui est à illustrer. Mais l’angle adopté par Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles est légèrement différent : l’auteur traite des batailles, et identifie pour chacune d’elle les moments où les préceptes de Sun Tzu ont été appliqués de façon déterminante (sachant qu’aucun des chefs de guerre étudiés ne connaissait Sun Tzu) ou ont au contraire été « oubliés », conduisant à la défaite.
Même si nous ne remettons pas en cause les qualités d’historien militaire de Bevin Alexander, nous sommes tout de même très mitigés vis-à-vis de cette façon d’aborder Sun Tzu. Certes, elle permet de populariser l’enseignement du stratège chinois, mais nous trouvons que sur le principe, il est un peu facile de réécrire l’Histoire après-coup : « Si le général Lee n’avait pas privilégié l’attaque frontale, il n’aurait pas connu la défaite ». L’affirmation est certes vraie, mais l’état d’esprit qui a amené Lee à agir ainsi est précisément celui qui a fait de lui qu’il devienne un grand général ! Nous reprochons ainsi à ce type de raisonnement de condamner les fois où l’absence d’application d’un procédé a conduit à la défaite, alors qu’il est tout à fait possible de trouver dans l’Histoire militaire des « preuves historiques » exactement inverses. A titre d’exemple, lorsque Bevin Alexander traite de la bataille de la Marne, il reproche à Moltke d’avoir, le 28 août 1914, changé brusquement de stratégie suite au renforcement français du front occidental et de ne pas s’en être rigoureusement tenu au plan Schlieffen (page 142). Effectivement. Mais on pourra alors rétorquer que Moltke a parfaitement mis en œuvre le commandement de Sun Tzu de réactivité…
Quelques inexactitudes viennent en outre parfois faire du tort au propos de Bevin Alexander. Ainsi, lorsqu’il écrit qu’un axiome de base de Sun Tzu est « Les nations devraient mettre un soin extrême à préparer leurs plans de campagne et les appliquer ensuite avec une grande fidélité » (page 29), cela est inexact : certes, Sun Tzu insiste bien sur la nécessité de la planification, mais pour rebondir sur ce qui a été dit précédemment, il recommande en revanche ensuite de toujours être en mesure de bouleverser ses plans pour s’adapter à un changement de situation (« Il faut créer les conditions qui permettent le recours à des procédés qui sortent de la règle commune ; j’entends par-là profiter de la moindre opportunité pour emporter l’avantage. » chapitre 1 ; Cf. notre billet Du modelage de l’ennemi).
Enfin, lorsque l’auteur affirme que « D’autres responsables, en d’autre temps, découvrirent un certain nombre de principes de Sun Tzu, mais seul ce dernier sut exposer d’une manière concise et exhaustive les éléments essentiels qui permettent de l’emporter à la guerre. », il y a là une idéalisation à notre sens excessive : oui Sun Tzu a beaucoup apporté, et a surtout été le premier à l’écrire, mais dire qu’il a été exhaustif nous paraît incorrect. Son traité ne peut servir à lui seul de manuel de guerre.
Néanmoins, il ne fait nul doute que l’amateur d’Histoire militaire pourra lire avec plaisir cet ouvrage et peut-être y découvrir des facettes des batailles évoquées qu’il n’avait pas vues sous cet angle. En conclusion, un livre très intéressant en ce qu’il est un des très rares à traiter de L’art de la guerre (Cf. notre billet De l’absence d’études sur Sun Tzu), mais qui peut laisser sur sa fin l’amateur exigeant de Sun Tzu que nous sommes…