Sun Tzu est le premier théoricien militaire de l’histoire à placer la problématique de la logistique au cœur des préoccupations du chef de guerre.
« La guerre est subordonnée à cinq facteurs […] Le cinquième l’organisation. […] Par organisation, il faut entendre la discipline, la hiérarchie et la logistique. » (chapitre 1)
« Au cœur du pays ennemi, […] je veille à la continuité de l’approvisionnement » (chapitre 11)
Il serait aisé de penser qu’étant le premier théoricien militaire tout court, quoiqu’il dise sera une première. Mais le sujet n’a rien d’évident. Exemple emblématique : Clausewitz ne s’intéressait pas à l’environnement diplomatique, ni même économique, dans lequel la guerre se déroulait (cf. notre billet Sun Tzu vs Clausewitz : Des périmètres d’étude de la guerre différents) ; pour ce dernier, en effet, « la logistique devait suivre »…
Sun Tzu, au contraire, pense la logistique :
« Ce qui appauvrit la nation, ce sont les approvisionnements sur de longues distances. Un peuple qui doit supporter des transports sur de longues distances est saigné à blanc. » (chapitre 2)
Mener une guerre loin de ses bases est coûteux. L’entretien des matériels ainsi que les munitions représentent le principal poste de dépense de l’armée en campagne :
« Quant à la maison royale, la dépense occasionnée par la destruction des chars, la fatigue des chevaux, le remplacement des casques, des flèches, des arbalètes, des lances, boucliers et palissades, des bêtes de trait et moyens de transport, amputent soixante pour cent du budget de l’Etat. » (chapitre 2)
La solution que préconise alors Sun Tzu est de se ravitailler grâce aux ressources trouvées en territoire ennemi :
« Qui est habile à conduire les armées ne procède jamais à deux levées consécutives ni n’a besoin de trois réquisitions de grains. Ses ressources propres lui suffisent et il puise ses vivres chez l’ennemi. C’est ainsi qu’il assure la subsistance de ses troupes. […] Un général avisé s’emploie à vivre sur l’ennemi. Car une mesure prise sur lui en épargne vingt acheminées depuis l’arrière. Un boisseau de fourrage mangé chez lui en vaut vingt venus de l’arrière. » (chapitre 2)
« On pourvoit aux besoins en nourriture des troupes en pillant les campagnes fertiles. » (chapitre 11)
Le risque, si le boisseau est pris à la population et non à l’armée ennemie, est bien sûr de susciter une guérilla contre soi. Mais Sun Tzu ne le mentionne pas, sans doute parce qu’il table sur des campagnes éclair tranchant le litige avant que des mouvements populaires aient eu le temps de se structurer.
« S’il y eut des campagnes qui ont péché par précipitation, que l’on m’en cite une seule qui, habilement conduite, s’éternisa. » (chapitre 2)
Bien évidemment, le stratège chinois se place dans le cadre d’opérations en territoire ennemi : il serait inconcevable de piller ses propres paysans si le conflit en était à une phase défensive sur son sol. Dans le « Pillez en terrain de diligence » du chapitre 11, il convient ainsi de se référer à la définition que donne un peu plus tôt Sun Tzu :
« Qui, s’étant profondément enfoncé en territoire ennemi, a derrière soi une multitude de villes fortes adverses, se trouve en terre de diligence. » (chapitre 11)
Outre les récoltes des paysans, le matériel ennemi doit être récupéré et non détruit :
« Lorsque, à l’issue d’un engagement, on réussit à capturer dix chars adverses, il convient de récompenser le premier qui a réalisé l’exploit. Puis on substitue ses propres bannières à celles de l’ennemi, et on disperse les attelages pris sur l’ennemi au milieu des siens. » (chapitre 2)
Il est vrai qu’à l’époque ne se posaient pas les problèmes d’interopérabilité…
Un grand merci à JGP, à qui j’ai éhontément repompé la structure de ce billet. Tout simplement parce que tout était dit et que je ne trouvais rien de plus à rajouter.