Une idée communément véhiculée est que Sun Tzu serait un chantre de l’absence de bataille, voire de la non-violence. Il est vrai que certaines de ses maximes semblent aller en ce sens :
« Le grand capitaine soumet les armées sans combat. » (chapitre 3)
ou :
« Remporter cent victoires après cent batailles n’est pas le plus habile. Le plus habile consiste à vaincre l’ennemi sans combat. » (chapitre 3, traduction du groupe Denma)
Mais Sun Tzu prône-t-il réellement de ne pas combattre ?
Il convient de ne pas se méprendre. En effet, Sun Tzu conçoit bien la guerre comme synonyme de violence. L’idée même de batailles est totalement présente chez lui :
« Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait. » (chapitre 3)
Quasiment tout le traité de Sun Tzu constitue d’ailleurs en des recommandations sur la façon de livrer une bataille et de vaincre physiquement l’adversaire.
C’est donc une idée supérieure que celle de forcer l’adversaire à se rendre, en lui faisant apparaître l’inévitabilité de sa défaite. Le général doit bien élaborer sa stratégie de manière à vaincre sans doute possible, et ne peut qu’espérer que l’adversaire aura la même perception que lui de l’issue du combat.
Mais cet adversaire peut très bien ne pas vouloir se rendre. Soit parce qu’il n’a pas la même perception de l’inéluctabilité de sa défaite (étant mal renseigné, ou au contraire pensant avoir des cartes en mains que nous ignorons) ; soit parce qu’il estime acceptable de « tenter sa chance », le hasard et les phénomènes imprévisibles étant une des constituantes de la guerre (changement brusque de météo, frictions de la guerre, etc.). Le général adversaire peut également avoir parfaitement conscience de l’inéluctabilité de sa défaite, mais néanmoins décider d’entrer dans le combat pour des raisons personnelles propres telles la folie ou l’honneur. Quelle qu’en soit la raison, la bataille est donc toujours possible, l’issue fut-elle déterminée par avance. La bataille obtenue sans combattre est alors un idéal à atteindre, et ne peut dépendre que du seul général.
Il convient donc de ne pas confondre l’idéal romantique de la guerre sans victime et la réalité factuelle. La bataille est bien l’horizon indépassable de la guerre.
En outre, bien que Sun Tzu ne se prononce pas explicitement sur ce point, il convient de se demander si l’absence de bataille signifie forcément absence de combats. Ainsi, si nous prenons l’exemple de la bataille d’Ulm de 1805, certes la victoire de Napoléon peut être considérée comme ayant été obtenue sans livrer bataille, mais il n’empêche que des dizaines de combats, allant de l’escarmouche à des engagements plus conséquents, qui n’ont pas atteint l’effet de seuil pour être qualifiés de bataille, ont eu lieu pour obtenir la décision du général autrichien Mack de se rendre.
Bonjour,
Je pense qu’il est également pertinent de remettre Sun Tzu dans son contexte historique de l’époque des Royaumes Combattants, qui était le théâtre de batailles excessivement meurtrières et coûteuses. Sun Tzu estime (lui aussi) que la guerre est la dernière extrémité : il s’agit donc de l’éviter par tous les moyens possibles (dont l’approche indirecte). Une préoccupation identique à celles du Maréchal de Saxe ou de Foch (économie des moyens) en somme…