Samuel Griffith, l’homme qui fit découvrir Sun Tzu à l’Occident

Le général Griffith, traducteur de Sun Tzu en 1963

Le général Griffith, traducteur de Sun Tzu en 1963

N’en déplaise aux antiennes affirmant que, depuis sa traduction par le père Amiot en 1772 , Sun Tzu a été lu par les plus grands chefs militaires – à commencer par Napoléon – et qu’il a été enseigné dans les écoles militaires du monde entier, nous savons que la traduction de 1772 a, sitôt sortie, plongé dans un total oubli. En dépit de quelques soubresauts (la traduction britannique de Lionel Giles en 1910, la nouvelle version de Lucien Nachin opérée à partir de celle du père Amiot en 1948, …), le nom de Sun Tzu ne commença à être véritablement connu du grand public qu’à partir de 1963, date de  parution de la traduction anglaise de Samuel Griffith.

Samuel Blair Griffith II est né le 31 mai 1906 dans la ville de Lewiston (Pennsylvanie). Diplômé de l’U.S. Naval Academy en 1929, il en sort sous-lieutenant dans le corps des Marines et part en 1931 servir au Nicaragua dans le cadre des Banana Wars[1]. Suite au désengagement américain en 1933, Griffith est affecté en Chine, où des unités de Marines étaient postées pour assurer la protection des concessions internationales. De façon curieuse, il semble avoir été nommé traducteur-interprète à l’ambassade américaine de Nankin, alors qu’il ne connaissait pas encore la langue chinoise. Qu’à cela ne tienne : il se consacre aussitôt à son étude. Cette première affectation en Chine prend cependant fin en 1938.

Il sert ensuite à Cuba, en Angleterre et au Guadalcanal. Il est à cette occasion récompensé en 1942 de la Navy Cross et du Purple Heart pour son « héroïsme extrême et son courageux sens du devoir » lors d’un combat sur la rivière Matanikau au cours duquel il est blessé. Il sert ensuite en Nouvelle-Géorgie (la plus grande des îles Salomon, dans le Pacifique), où il est décoré de la Distinguished Service Cross.

A la fin de la guerre en 1945, il retourne en Chine commander le 3e régiment de Marine, puis toutes les unités de Marines de Qingdao (dans la province de Shandong, là où naquit Sun Tzu !). Regagnant les Etats-Unis en 1947, il y poursuit sa carrière dans les états-majors. Après avoir été chef d’Etat-major de la Fleet Marine Force de l’Atlantique, il prend sa retraite de général de brigade en 1956 à l’issue de 25 années de service.

Il se remet alors aussitôt aux études, s’inscrivant à un doctorat de philosophie à l’université d’Oxford. Sa thèse, soutenue en octobre 1960, est consacrée à… Sun Tzu ! Après l’avoir profondément retravaillée et enrichie, il la publie en 1963 sous le titre L’art de la guerre de Sun Tzu, avec toute la valeur ajoutée que nous lui connaissons : annotations, insertion d’une sélection de commentaires traditionnels, compléments historiques, … Tout contribua à faire de cette traduction un succès. Il put à cette occasion bénéficier d’un avant-propos de Liddell Hart – dont la crédibilité n’était plus à démontrer – qui ne passa pas inaperçu et contribua indubitablement à faire prendre conscience à l’Occident de l’importance de ce texte :

« Les essais de Sun Tzu sur L’art de la guerre constituent le plus ancien des traités connus sur ce sujet, mais ils n’ont jamais été surpassés quant à l’étendue et à la profondeur du jugement. Ils pourraient à juste titre être désignés comme la quintessence de la sagesse sur la conduite de la guerre. Parmi tous les théoriciens militaires du passé, Clausewitz est le seul qui lui soit comparable. Encore a-t-il vieilli davantage et est-il en partie périmé, bien qu’il ait écrit plus de 2000 ans après lui. Sun Tzu possède une vision plus claire, une pénétration plus grande et une fraîcheur éternelle. »[2]

Samuel Griffith publia par ailleurs de nombreux livres et articles ; il traduisit notamment le De la guerre de guérilla de Mao Zedong. Il s’éteignit à Rhodes Island en 1983 à l’âge de 76 ans.


[1] Les Banana Wars désignent l’ensemble des interventions que les Etats-Unis firent en Amérique latine durant la première moitié du XXe siècle. Dans le cas du Nicaragua où servit Griffith, les Marines américains combattirent entre 1927 et 1933 la guérilla du général Augusto Sandino, d’obédience libérale. Repoussés loin de toute agglomération, les rebelles furent réduits à la famine et à la désertion. En remplacement de l’armée et de la police locales, les troupes américaines mirent alors en place une Garde Nationale conçue pour préserver les intérêts des États-Unis.

[2] B.H. Liddell Hart, Avant-propos de Sun Tzu, L’art de la guerre, traduction de Samuel Griffith, éditions Flammarion, 1972, p. 5.
Liddell Hart avait découvert Sun Tzu en 1927 et avait déjà largement fait écho de ses idées d’approche indirecte dès 1929 dans son ouvrage The decisive wars of History. En 1954, il ouvrait son Strategy: The indirect approach (dont une version postérieure fut traduite en français sous le titre Stratégie) par une série de quatorze citations tirées de L’art de la guerre.

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