Wu Zixu est extrêmement populaire en Chine, presque à l’égal de Sun Tzu. Et ce même avant la découverte miraculeuse de son traité en 1983 (nous y reviendrons dans notre prochain billet). Mais hors de Chine, l’homme est totalement inconnu. Au mieux la version anglaise de Wikipédia lui consacre-t-elle une page, reprenant sa biographie « officielle », mais sans même mentionner son traité.
Il a bien été possible de suivre en français son histoire à travers un feuilleton en bandes dessinées : 10 manhuas (mangas chinois) parus en 2006 aux Editions du Temps. Intitulée Sun Tzu, L’art de la guerre, l’histoire racontée était en réalité plus centrée sur Wu Zixu que sur Sun Tzu. Aujourd’hui épuisés, ces 10 volumes sont néanmoins faciles à se procurer en ligne sur le marché de l’occasion.
Ni la découverte du traité en 1983, ni sa traduction en chinois moderne en 2003, n’ont été vécues comme une révolution en Chine. Et pour cause : dans l’Empire du milieu, on retient de Wu Zixu qu’il fut un homme politique, oubliant qu’il fut également stratège et théoricien militaire. Il faut dire que son traité a été classé par les premiers archivistes dans la catégorie « ouvrage politique » et non « ouvrage militaire », réduisant de fait considérablement la portée de son œuvre : celle-ci a ainsi toujours été considérée comme l’un des innombrables textes politiques de la période, et non comme un traité militaire précurseur de celui de Sun Tzu. Et lu seulement sous l’angle politique, il est vrai que le traité n’offre guère d’intérêt autre qu’historique ; en politique, ce ne sont pas tant les écrits de Wu Zixu qui sont importants, que ce qu’il a fait dans sa vie.
En outre, bien que célèbre, Wu Zixu a toujours été un personnage controversé : la morale chinoise lui a en effet vivement reproché sa fuite du pays de Chu, alors qu’il aurait dû choisir d’aller mourir avec son père, comme le fit son frère ainé.
Cela explique probablement pourquoi la publication de son traité en 2003 demeura relativement discrète, et continue même à être méconnue de nos jours en Chine (nous avons eu nous-même l’occasion de le faire découvrir à plusieurs de nos correspondants chinois, pourtant avertis).
L’antériorité du traité de Wu Zixu par rapport à celui de Sun Tzu, ou a minima sa simultanéité, n’est même pas contestée. Si l’on s’en tient à l’histoire raconté par Sima Qian :
1) Wu Zixu donne son traité au roi He Lü
2) A la lecture de ce traité, He Lü nomme Wu Zixu Premier ministre (en –512)
3) Une fois Premier ministre, Wu Zixu recommande Sun Tzu auprès de He Lü
4) Peut-être Sun Tzu offre-t-il une première ébauche de son traité à He Lü
5) A la lecture de son traité, He Lü nomme Sun Tzu général
6) Au soir de sa vie, devenu ermite, Sun Tzu aurait rédigé, fort de ses expériences militaires, la version définitive de L’art de la guerre.
Une histoire raconte que Wu Zixu et Sun Tzu auraient étudié ensemble l’art de la guerre alors qu’ils vivaient en ermites au bord du lac Taihu après leur rencontre dans le pays de Wu. Selon cette histoire, les deux traités auraient pu être conçus parallèlement. A noter que ce sujet de l’antériorité ou non du traité de Wu Zixu par rapport à celui de Sun Tzu ne semble pas faire l’objet de débat en Chine, les Chinois ne considérant pas les deux traités sur le même plan. De toute façon, il convient de garder à l’esprit que les dates données dans le texte de Sima Qian sont hautement fantaisistes, et même que l’ensemble des évènements rapportés est très fortement sujet à caution.
Les prochains billets seront consacrés à l’étude de son Art de la guerre et la comparaison avec celui de Sun Tzu qu’il a peut-être inspiré.