Si la tradition attribue la vie de Sun Tzu au VIe siècle av. J.-C., durant la période dite « des Printemps et des Automnes » (-722 à -476)[1], nous avons vu que les historiens datent en réalité la composition du traité à la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C., c’est-à-dire durant la période des « Royaumes combattants » (-476 à -221).
Cette période fut la dernière de l’ère pré-impériale chinoise. En effet, comme son nom l’indique, la Chine des Royaumes combattants est à ce moment-là tout sauf réunie. Ce ne sera qu’en 221 av. J.-C. que l’Etat de Qin écrasera tous ses rivaux et unifiera pour la première fois le pays qui portera son nom[2].
A l’époque de Sun Tzu, ne subsistaient de la pléthore de principautés du début de la dynastie Zhou (commencée en -1046) que sept grandes puissances. Véritables nations, centralisées et militarisées, elles étaient en rivalité permanente. L’objectif de la guerre ne consistait dès lors plus, comme aux périodes précédentes, à s’emparer de richesses humaines ou matérielles à la suite d’opérations ponctuelles, mais bien à conquérir un territoire et à le contrôler politiquement. L’univers de Sun Tzu était donc un monde clos, duquel les territoires pouvaient changer de main mais ne devaient pas être détruits.
Nous avions consacré un billet complet à la structure de l’armée dans L’art de la guerre. A l’époque de Sun Tzu, la cavalerie n’avait pas encore fait son apparition en Chine. Elle le fera progressivement à la fin de la période, sous l’influence des tribus barbares contre lesquelles elle commença à se trouver confrontée à partir du Ve siècle av. J.-C. L’infanterie, en revanche, prenait une importance nouvelle, reléguant à une position plus subalterne le char de guerre des nobles, naguère pièce maîtresse des engagements[3]. Les combattants étaient armés de lances et de javelots aux pointes de fer, mais aussi d’arbalètes (d’où la notion d’« appui sur la détente » du chapitre 11).
Les effectifs ne cessaient de croître. Les armées étaient composées d’immenses troupes de paysans conscrits. Des batailles incessantes condamnaient ainsi les gens du peuple à participer, loin de chez eux, à des actes de destruction sans précédent. Les vainqueurs bénéficiaient d’une ascension sociale époustouflante, tandis que le sort des vaincus était l’esclavage, la mort et la disparition de leur dynastie.
Note : l’étude historique ci-dessus reprend, entre autres, les rappels historiques donnés par Jean Lévi dans sa traduction de L’art de la guerre parue en 2000 aux éditions Hachette.
La Chine à l’époque des Royaumes combattants
(source : Wikimedia)
[1] Cette appellation tire son nom des Annales des Printemps et des Automnes (春秋), une chronique des événements survenus dans l’État de Lu entre 722 av. J.-C. et 476 av. J.-C. Œuvre de plusieurs générations de scribes, la tradition en attribue la compilation à Confucius, au début du Ve siècle av. J.-C. Cet ouvrage est considéré comme l’un des cinq Classiques chinois. Pour avoir une vision des dynasties chinoises, n’hésitez pas à vous référer à la page Wikipédia.
[2] « Qin », transcription pinyin du caractère [lien], se prononce « Tchin ». Pour la petite histoire, le mot « Chine » se dit en chinois « zhong guo » (中国 – le pays du milieu). Le nom « Chine » est apparu au début de notre ère, lors des premiers voyages en Inde de pèlerins bouddhistes chinois : lorsqu’on leur demandait d’où ils venaient, ils répondaient « Zhong Guo », mais n’étaient pas compris ; alors ils disaient qu’ils venaient du pays de l’empereur Qin…
[3] A l’époque des Printemps et des Automnes, la guerre se résumait bien souvent à un engagement au cours duquel deux lignes de chars se ruaient l’une sur l’autre, la ligne enfoncée et dispersée étant considérée – et surtout se considérait elle-même – comme vaincue. Le rôle du général était donc de mobiliser ses troupes et de mettre ses chars en position, puis de choisir le « bon moment » du combat, souvent par consultation des augures. Les conflits n’éxcédaient dès lors pas une ou deux journées.