« Si l’ennemi est fort, évitez-le. » (chapitre 1)
« Il faut être capable de […] se dérober à un ennemi qui vous surclasse sur tous les plans. » (chapitre 3)
Sun Tzu commanderait-il de ne jamais s’attaquer à plus fort que soi ?
Prises au premier degré, ces maximes laisseraient en effet entendre qu’il ne faut se confronter à un ennemi plus fort que soit. Un corollaire, non clairement exprimé, serait qu’il faut toujours chercher à être plus fort que l’adversaire ; cela peut s’obtenir par le volume brut de soldats, mais peut également s’envisager grâce au jeu d’un terrain favorable voire d’un renseignement suffisant. Avec ou sans facteurs multiplicateurs, les maximes indiqueraient clairement qu’il ne faut pas s’attaquer à un adversaire tant que celui-ci serait en position de force.
Mais de quel niveau d’adversaire parle-t-on ? De l’ensemble de l’ennemi ou d’une portion que l’on aura sélectionnée ? Une règle militaire moderne est de ne pas attaquer à moins de trois contre un. C’est exactement ce que prescrit Sun Tzu, en détaillant les ratios :
« La règle de l’art militaire veut qu’on encercle l’adversaire quand on dispose d’une supériorité de dix contre un, qu’on l’assaille à cinq contre un, à deux contre un on le fractionne, à forces égales on doit savoir combattre. » (chapitre 3)
« Attaquant à dix contre un, je me retrouve en supériorité numérique. » (chapitre 6)
De même, dans un combat de type guérilla, on ne cherche qu’à combattre des éléments en situation de faiblesse par rapport à la concentration de feux qu’on pourra leur délivrer à un instant donné (quitte à ne jouer que sur le principe de sidération, considérant que si on laisse à l’ennemi le temps de reprendre ses esprits, le rapport de force s’inversera en notre défaveur) :
« Une armée évite les points forts pour attaquer les points faibles » (chapitre 6)
« A la guerre, le nombre n’est pas un facteur décisif et les hauts faits d’armes peuvent s’avérer néfastes. Pour le reste, il suffit de savoir concentrer ses forces, évaluer l’adversaire et se gagner le cœur des hommes. » (chapitre 9)
Que faire maintenant si l’ennemi qui vous attaque est trop fort ? L’éviter, comme l’enjoignent les maximes présentées en début de billet. Il faut savoir attendre le bon moment :
« Faute de forces suffisantes on se défend pour n’attaquer que lorsqu’elles sont en excédent. » (chapitre 4)
« Pour important que soient les effectifs alignés par l’ennemi, je puis toujours les mettre dans l’impossibilité de combattre. » (chapitre 6)
Mais Sun Tzu envisage une seconde possibilité : le dévier.
« Si on me demande : « Que doit-on faire au cas où l’ennemi fond sur vous avec des troupes nombreuses et en bon ordre ? » je répondrai « Il suffit d’attaquer ce à quoi il tient, pour qu’il vous mange dans la main. » (chapitre 11)
Sun Tzu suggère ici de d’obliger l’adversaire à reprioriser sa mission en effectuant un raid sur un de ses centres d’intérêt (ville importante, concubine royale, etc.). La détermination de ce « centre d’intérêt » est hautement délicate : doit-on considérer l’intérêt du général ou celui du souverain ? Bien sûr, le second pourrait paraître plus important. Mais le risque est grand qu’un général se désintéresse du sort réservé à la favorite du prince s’il est à deux doigts d’écraser l’armée adverse, et ce d’autant plus s’il applique la maxime de Sun Tzu :
« Si la théorie militaire vous donne pour victorieux, même si le souverain s’y oppose, vous devez passer outre et livrer combat. » (chapitre 10)
Quant à trouver un centre d’intérêt supérieur au général adverse (son village natal, ses terres, les navires qui ont amené son armée sur le champ de bataille, etc.), la tâche semble beaucoup plus ardue : existe-t-il réellement des centres d’intérêt suffisamment déterminant pour détourner le général adverse d’une victoire certaine (ou au moins la reporter) ? et de surcroît accessibles avant le choc des armées ?… Là encore, seul un excellent renseignement recherché en amont permettra de ne pas se tromper dans la cible de la diversion.