L’initiative est un des principes de la guerre[1]. Sun Tzu l’avait parfaitement compris, sans toutefois le formaliser clairement. Le mot « initiative » n’est en effet employé que deux fois dans le traité, et encore de façon presque périphérique :
« On a suppléé à la voix par le tambour et les cloches ; à l’œil par les étendards et les guidons. Signaux sonores et visuels étant perçus par tous, ils permettent de souder les mouvements des troupes en un seul corps, si bien que les braves ne se ruent pas seuls à l’assaut sans en avoir reçu l’ordre et les pleutres ne battent pas en retraite de leur propre initiative. » (chapitre 7)
« On appelle neutralisant un lieu où aucune des deux parties n’a intérêt à prendre l’initiative. » (chapitre 10)
Si le mot n’est pas explicitement employé, l’idée est cependant bien présente :
« [Il faut] profiter de la moindre opportunité pour emporter l’avantage. »[2] (chapitre 1)
« Attaquez là où [l’ennemi] ne vous attend pas ; surgissez toujours à l’improviste. » (chapitre 1)
« L’ennemi est-il dispos, je le fatigue ; est-il repu, je l’affame ; est-il à l’arrêt, je le contrains au mouvement. Je surgis là où il ne peut m’atteindre, je le frappe à l’improviste. » (chapitre 6)
« Qui excelle à la guerre dirige les mouvements de l’autre et ne se laisse pas dicter les siens. » (chapitre 6)
« A la guerre, tout est affaire de rapidité. On profite de ce que l’autre n’est pas prêt, on surgit à l’improviste, on attaque ce qui n’est pas défendu. » (chapitre 11)
« Combinez vos plans en fonction des mouvements de l’ennemi et décidez alors du lieu et du moment de la bataille décisive. » (chapitre 11)
Comme beaucoup d’autres idées fondamentales, cette notion n’est donc pas clairement traitée à un endroit bien précis de L’art de la guerre, mais disséminée – presque cachée – à travers tout le traité.
Plusieurs facteurs conditionnent l’initiative :
- La liberté d’action. Il s’agit d’une situation à conquérir et à préserver, sans quoi toute initiative ne pourra s’exprimer.
« [La guerre] exige que l’on sache se diviser et se regrouper pour produire toutes sortes d’effets de surprise. Une armée doit être preste comme le vent, majestueuse comme la forêt, dévorante comme la flamme, inébranlable comme la montagne ; insaisissable comme une ombre, elle frappe avec la soudaineté de la foudre. » (chapitre 7)
- Le « bon moment » : sa survenue pourrait dépendre de la chance, mais Sun Tzu considère plutôt que le général doit créer les conditions qui maximisent sa probabilité d’advenir. Il y a en effet deux façons de penser l’occasion : comme rencontre ou comme résultat. Savoir profiter de l’occasion, en Occident, c’est saisir la chance qui passe. Dans la pensée chinoise, l’occasion est le moment favorable pour intervenir dans un processus déjà engagé. L’occasion est le déclenchement du potentiel accumulé. D’où l’importance de l’eau dans les textes stratégiques chinois et particulièrement chez Sun Tzu.
« Le grand chef de guerre […] ne laisse jamais passer l’occasion de la victoire. » (chapitre 4)
- La réactivité : il s’agit d’une qualité que le général doit posséder. Nous avons consacré un billet complet à cette qualité.
Encore une fois, nous voyons que Sun Tzu évoque, de façon certes relativement désordonnée, un concept toujours moderne.
[1] Concernant la part ambiguë de l’initiative comme principe de la guerre, le lecteur pourra se rapporter aux réflexions parues sur le blog L’écho du champ de bataille à travers deux billets : Les principes de la guerre français, oui mais… lesquels ? et Le principe de liberté d’action.
[2] Trois traductions ont choisi de rendre cette maxime en employant explicitement le terme d’initiative :
« Par situation favorable, j’entends qu’on doit prendre et maintenir l’initiative des opérations militaires en profitant des conditions avantageuses. » (Xu Xiaojun et Jia Xiaoning, 1990)
« Par position favorable, nous entendons la prise de l’initiative grâce à une position avantageuse. » (Tang Jialong, 1994)
« Par position favorable, j’entends la possibilité de prendre l’initiative. » (Jean-François Phelizon, version de 1999)
A noter que cette traduction de Jean-François Phelizon a été revue en 2008 pour devenir :
« Quand les circonstances deviennent favorables, il faut savoir modifier ses plans. »
Le sens a légèrement changé, et le terme d’ « initiative » a disparu !