Que vaut un soldat ?

Un soldat est-il plus que de la chair à canon ?

Un soldat est-il plus que de la chair à canon ?

Il n’est pas immédiat de comprendre si Sun Tzu considère ou non que le soldat a de l’importance. En effet, d’un côté il annonce qu’il faut aimer ses hommes :

« Pour peu que leur chef les aime comme un nouveau-né et les chérisse comme un fils bien aimé, les soldats seront prêts à le suivre en enfer et à lui sacrifier leur vie. » (chapitre 10)

Et de l’autre il ne semble pas leur accorder plus de considération qu’à du bétail :

« Il incombe [au général] d’obstruer les yeux et les oreilles de ses hommes pour les tenir dans l’ignorance. […] Il occupe [la multitude de ses armées] avec des tâches et ne s’embarrasse pas de lui en expliquant le pourquoi ; il l’excite par la perspective de profits en se gardant bien de la prévenir des risques. » (chapitre 11)

Qu’en est-il donc réellement ?

Sun Tzu considère que « la position stratégique » est prépondérante sur les qualités guerrières de la troupe :

« L’habile homme de guerre s’appuie sur la position stratégique et non sur des qualités personnelles. C’est pourquoi il sait choisir les hommes et jouer des dispositions. […] Celui qui sait employer ses hommes au combat leur insuffle la puissance de pierres rondes dévalant les pentes abruptes d’une montagne haute de dix mille pieds. Telle est l’efficacité de la configuration stratégique. » (chapitre 5)

Continuer la lecture

Que faire si votre adversaire a aussi lu Sun Tzu ?

Rien n'empêche l'adversaire d'avoir les mêmes lectures que nous

Rien n’empêche l’adversaire d’avoir les mêmes lectures que nous

Sujet d’étude de ce blog, L’art de la guerre expose un certain nombre de préceptes devant nous permettre de gagner la guerre :

« Le général qui se fie à mes calculs sera nécessairement victorieux : il faut se l’attacher ; le général qui se refuse à les entendre sera régulièrement défait : il faut s’en séparer ! » (chapitre 1)

Sun Tzu a poussé sa réflexion jusqu’à envisager que l’adversaire puisse agir de même. Il en a alors déduit un certain nombre de parades qu’il distille au fil du traité. Ainsi, lorsque Sun Tzu enjoint d’élaborer une manœuvre visant à façonner l’ennemi, le stratège prévoit aussi que l’ennemi cherchera à faire de même et invite dès lors à établir une configuration qui, en plus de façonner l’adversaire, donnera à ce dernier l’impression qu’il a, lui, réussi à nous façonner :

« La tâche d’un bon militaire consiste à feindre de se conformer aux desseins de l’ennemi. Alors, groupant ses forces sur un seul point, il fond sur lui depuis mille lieues et tue ses généraux. Voilà ce qui s’appelle réaliser ses buts grâce à sa ruse et ses capacités. » (chapitre 11)

De même, en auto-réponse au grand thème de la duperie qu’il développe, Sun Tzu revient à plusieurs endroits sur le besoin de prévenir toute velléité de l’adversaire en ce sens :

« On ne poursuit pas une armée dont la retraite est simulée […] on ne gobe pas l’appât que l’adversaire vous tend » (chapitre 7)

Continuer la lecture

Du rejet de l’honneur

Le bon général ne doit pas rechercher les honneurs

Le bon général ne doit pas rechercher les honneurs

Le thème de l’honneur est un d’un abord relativement délicat dans L’art de la guerre. En effet, Sun Tzu y réserve un usage différent suivant que le terme est utilisé dans son acceptation de « gloire, considération des autres » ou dans celle de « réputation, fierté personnelle ». Tout en considérant qu’un grand général doit être honoré pour ses victoires, ce dernier ne doit cependant pas être mû par son honneur.

Bien sûr, les grands généraux méritent d’être « honorés » et d’être « couverts de gloire » :

« Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d’une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce à leur capacité de prévision. » (chapitre 13)

Ce qui fait qu’un général mérite d’être honoré, c’est qu’il est victorieux. Mais si la « victoire » est l’objectif du chef militaire (le mot est utilisé 39 fois à travers le traité), souvenons-nous toutefois que l’objectif suprême est d’être victorieux en ayant fait couler le moins de sang possible (cf. notre billet Sun Tzu est-il un théoricien de la non-guerre ?).

La recherche de cette victoire, en un minimum de violence, se fait dès lors par tous les moyens. Seule compte la victoire. A ce titre, L’art de la guerre dépasse toute considération moralisante, tout code d’honneur. Sun Tzu va jusqu’à exalter des techniques telles que la trahison ou la corruption (appelées « mensonge » ou « stratagème » dans L’art de la guerre). Il n’est pas de « droit des conflits armés » : tous les moyens sont bons pourvu qu’ils assurent la victoire. La fin justifie les moyens…

Continuer la lecture

La notion de forme chez Sun Tzu

Le sans-forme domine l'ayant-forme

Le sans-forme domine l’ayant-forme

La notion de « forme », relativement peu familière à nos conceptions occidentales, est très importante dans L’art de la guerre. Elle est essentiellement évoquée au chapitre 6, où Sun Tzu expose que l’art militaire trouve son point d’aboutissement dans l’art de faire disparaître les formes :

« Infiniment mystérieux, il occulte toute forme ; suprêmement divin, il ne laisse échapper aucun bruit : c’est ainsi que le parfait chef de guerre se rend maître du destin de l’adversaire. » (chapitre 6)

« Une formation militaire atteint au faîte ultime quand elle cesse d’avoir forme. Sitôt qu’une armée ne présente pas de forme visible, elle échappe à la surveillance des meilleurs espions et déjoue les calculs des généraux les plus sagaces. » (chapitre 6)

Cette notion de forme s’entend chez Sun Tzu comme la disposition des troupes, rigide (en ligne, en arc de cercle, en triangle pointe en avant, …), laissant déduire de sa simple observation le type de manœuvre choisie. En ce sens, elle pourrait être synonyme de « formation ». La quintessence de la manœuvre réside donc dans la totale fluidité, évoquée dans un billet précédent :

« La forme d’une armée est identique à l’eau. L’eau fuit le haut pour se précipiter vers le bas, une armée évite les points forts pour attaquer les points faibles ; l’eau forme son cours en épousant les accidents du terrain, une armée construit sa victoire en s’appuyant sur les mouvements de l’adversaire. Une armée n’a pas de dispositif rigide, pas plus que l’eau n’a de forme fixe. » (chapitre 6)

De façon ultime, cette absence de forme pourrait conduire au combat en essaim.

Continuer la lecture

Sun Tzu faisait-il de l’aïkido ?

Utiliser la force de l'adversaire

Utiliser la force de l’adversaire

La philosophie du yin et du yang, qui voit le monde comme une transformation perpétuelle, forme le soubassement de la culture stratégique de la Chine traditionnelle : l’intelligence du réel et des mutations en cours permet de gérer et d’agir à bon escient. Connaissant le sens des flux, c’est en les épousant que, paradoxalement, le stratège les dirige par synergie et coïncidence. A l’instar d’un art martial comme l’aïkido, c’est en accompagnant ces flux, en se faisant l’allié de plus fort que soi, qu’une telle apparente soumission peut déboucher sur une domination sans équivoque possible. L’art du stratège consiste ainsi à tirer le maximum d’effet par un travail de configuration des situations, comme l’eau qui tire sa puissance du fait de la gravité. Il faut tirer profit des potentiels inscrits dans les situations en les combinant avec des desseins à long terme. Il s’agit d’une culture stratégique d’inspiration indirecte qui privilégie l’action en fonction plutôt qu’a priori et en force. Une fois encore, nous voyons que Sun Tzu privilégie la conduite en cours d’action à une planification rigide (cf. notre billet Une qualité : la réactivité).

« Celui-là qui remporte la victoire en sachant profiter des manœuvres adverses possède un art réellement divin. » (chapitre 6)

A noter que cette injonction semble entrer en conflit avec celle de combattre l’ennemi dans ses plans : soit on l’empêche systématiquement de porter ses coups à pleine puissance, soit on le laisse faire pour retourner cette puissance contre lui.

Il n’y a donc pas qu’une seule application possible des enseignements de Sun Tzu, mais plusieurs, parmi lesquelles le général aura à choisir.

Source de l’image : Maître Morihei Ueshiba, fondateur de l’aïkido