Le Point sur Sun Tzu

Sun Tzu en référence des thématiques « Manipuler » et « Vaincre »

Sun Tzu en référence des thématiques « Manipuler » et « Vaincre »

Le dernier hors-série Références du magazine Le Point titre, entre autres sur Sun Tzu : listé en compagnie de Machiavel, La Fontaine, Clausewitz, Trinquier et Mao, le stratège chinois est mis en avant pour illustrer la thématique « Séduire, manipuler, vaincre… ».

Ce hors-série est principalement constitué d’extraits d’œuvres (25 au total), chacune d’entre elles étant présentée par un court article. Dans le cas de Sun Tzu, celui-ci (signé Francis Simonis) reprend une bonne partie des thèmes présentés dans ce blog (ce dont ne peut que se féliciter). L’extrait de L’art de la guerre placé en vis-à-vis de l’article est le chapitre 1 dans son intégralité, dans sa traduction de Jean Lévi. C’est un excellent choix, la tendance étant de recourir à la traduction du père Amiot, beaucoup moins fidèle. Mais comme il ne s’agit là que d’un extrait, les coûts ont sans doute été réduits voir nuls pour le magazine.

A l’instar d’un ouvrage comme le Vade-mecum des situations conflictuelles  que nous avions récemment recensé [lien), le principe des recueils de textes liés par une même thématique nous parait intéressant, car permettant entre autre d’identifier les spécificités d’un auteur donné et de constater l’état de l’art à son époque (même si, dans le cas Sun Tzu, il est absurde de prétendre qu’il aurait par exemple pu se nourrir de L’Odyssée d’Homère pourtant écrit plusieurs siècles avant lui ; de même le traité de Sun Tzu n’a réellement été connu des Occidentaux qu’à la fin du XXe siècle, et était donc étranger à la quasi-totalité des 24 autres auteurs sélectionnés).

Cet aspect de référence de Sun Tzu se note d’ailleurs au moment où L’art de la guerre vient d’être listé par le magazine Time comme l’un des neuf ouvrages que tout manager devrait avoir lu. Une liste très américaine au demeurant :

1) The Effective Executive de Peter F. Drucker
2) The One Minute Manager de Kenneth H. Blanchard
3) Les fourberies de Dilbert de Scott Adams (Dilbert and the Way of the Weasel)
4) The Age of Unreason de Charles Handy
5) L’art de la guerre de Sun Tzu
6) Don’t Bring It to Work de Sylvia Lafair
7) Le Prince de Machiavel
8) Les 21 lois irréfutables du Leadership de John C. Maxwell (The 21 Irrefutable Laws of Leadership)
9) Comment se faire des amis et influencer les autres de Dale Carnegie (How to Win Friends & Influence People)

Source de l’image

L’art de la guerre est-il daté ?

Un traité daté ?

Un traité daté ?

A la différence d’un texte plus abstrait comme le Tao Tö King, L’art de la guerre est fortement ancré dans la réalité physique de son temps. Aussi, certains préceptes paraissent être devenus caducs. Plusieurs raisons à cela :

Soit parce qu’ils étaient trop directement liés à l’armement et aux techniques de combat :

« En présence de monticule ou de remblais on s’établira sur le versant ensoleillé, en y appuyant son flanc droit. » (chapitre 9) : Cette différenciation des flancs gauche et droit résultait probablement du fait que la plupart des soldats étant droitiers, et que le bouclier se tenant dès lors à gauche, il valait donc mieux que l’ennemi se trouvât de ce côté…

Soit parce que les données fournies citaient trop directement des paramètres de l’époque :

« En règle générale, toute opération militaire requiert mille quadriges rapides, mille fourgons à caisse de cuir, cent mille soldats cuirassés, et des vivres en suffisance pour nourrir une armée évoluant à mille lieues de sa base. A ceci s’ajoutent les dépenses pour supporter les efforts de l’arrière et du front, les frais occasionnés par le ballet diplomatique entre royaumes ; les besoins en glu, en laque et en fournitures nécessaires à la réparation ou au remplacement des chars et des armures ; ce qui représente un total de mille lingots par jour. Ce n’est que lorsqu’on dispose de tels fonds qu’on peut envisager de lever une armée de cent mille hommes. » (chapitre 2)

Continuer la lecture

La nécessaire lecture psychédélique de Sun Tzu

Une lecture « différente » est-elle nécessaire ?

Une lecture « différente » est-elle nécessaire ?

Dans sa forme, L’art de la guerre ne peut être perçu comme un manuel de doctrine moderne. Pour véritablement le comprendre, il est indispensable de faire l’effort d’entrer en lui, de se l’approprier, voire de s’y dissoudre. Il ne se présente pas comme un FT 02 « Tactique générale » ou un Tactique théorique de Michel Yakovleff. Il n’offre pas une structure organisée visant à exposer une doctrine de façon systématique. A l’instar des écrits de sa période, L’art de la guerre est un traité ésotérique ; il livre sa philosophie sous forme de flashes, dont le disciple est censé s’imprégner pour, petit à petit, accéder à la compréhension générale.

Cette façon de transmettre un savoir, très déroutante pour un Occidental moderne[1], est typique des textes chinois de l’époque de Sun Tzu : à l’exception de quelques textes qui furent d’ailleurs justement rejetés pour leur forme jugée « trop sèche »[2], l’imprégnation qui permettait la révélation était la forme normale d’enseignement. Nous avions déjà traité cette idée dans notre billet Des idées en désordre ?. Cette forme particulière conduit généralement à ne rien trouver de profond à une première lecture. Il n’y a qu’à faire l’expérience de lire le Tao Tö King de Lao Tseu pour ressentir cette angoisse d’être passé à côté de quelque chose ; sinon, comment tant de personnes et de philosophes parviendraient-ils à extirper une ligne de conduite claire de cette apparente bouillie poétique ?

Au final, le mode de fonctionnement de L’art de la guerre relève plus de la philosophie que de la doctrine : Sun Tzu doit se lire, se méditer, se relire, et se conserver dans un coin de sa mémoire. Certes, des préceptes clairs ponctuent son propos ; mais s’ils peuvent parfois être pris au pied de la lettre, ils ne sont qu’un constituant d’un système plus vaste. C’est notamment pourquoi la plupart de nos billets visant à traiter une facette du système suntzéen « picorent » bien souvent des préceptes à travers différents chapitres. Les thématiques que nous traitons ne sont jamais de simples paraphrases des propos de Sun Tzu, mais plutôt une compréhension de son système, déduite de notre travail d’immiscion dans le traité.

Continuer la lecture

Quel est aujourd’hui l’intérêt de lire Sun Tzu ?

Pourquoi consacrer du temps à étudier ce traité ?

Pourquoi consacrer du temps à étudier ce traité ?

L’art de la guerre ne se présente pas comme un manuel de doctrine moderne, aisé à aborder. Or, à la différence d’un traité comme celui de Clausewitz, il n’existe que peu (voire pas) d’exégèse militaire en français du traité chinois. Des ouvrages francophones – ou des traductions – paraitront peut-être avec le temps, mais pour l’heure, chaque lecteur désireux de véritablement comprendre le système exposé dans L’art de la guerre est tenu de refaire le long cheminement d’assimilation de la philosophie de Sun Tzu, ne pouvant guère se reposer sur des écrits prémâchant ce travail. Dès lors, pourquoi consacrer du temps à l’appropriation de ce traité vieux de près de 2500 ans ?

En tout premier lieu, L’art de la guerre présente une formidable valeur illustrative de par sa prétention à être le tout premier écrit stratégique de l’humanité. Si certaines assertions de Sun Tzu apparaissent aujourd’hui comme des évidences, il faut bien se rappeler que le stratège chinois fut le premier à les formuler par écrit[1] :

  • réduction au strict nécessaire des destructions chez l’adversaire ;
  • préférence pour l’approche indirecte (diplomatie, ruse, etc.) ;
  • recours au combat indirect ;
  • impératif du renseignement ;
  • primauté de la manœuvre ;
  • nécessité de créer l’incertitude chez l’ennemi ;
  • recherche de l’effet de surprise ;
  • obligation d’être réactif et de savoir exploiter les situations ;

Continuer la lecture

Sun Tzu donne-t-il des ordres ?

Injonction ? Recommandation ?

Injonction ? Recommandation ?

L’art de la guerre apparait comme une succession – presqu’une concaténation – de préceptes (« Si l’ennemi est dispos, le fatiguer », chapitre 6) et de considérations sur la guerre (« La guerre repose sur le mensonge », chapitre 1). Parfois, figurent quelques explications sur le comportement de l’ennemi (notamment au chapitre 9, qui en est empli : « L’ennemi demande la paix sans pourparlers préalables : il complote », chapitre 9)

Concernant la forme des préceptes, Sun Tzu livre généralement des injonctions :

« Qui dirige une armée en ignorant l’art des neuf retournements se montrera incapable d’user de ses hommes, même s’il connaît les cinq avantages tactiques. » (chapitre 8)

« Une armée doit préférer les terrains élevés aux terrains bas. » (chapitre 9)

Il arrive cependant parfois que Sun Tzu fasse preuve de modération et que ses préceptes revêtent plus l’aspect de recommandations, ou laissent entrevoir la possibilité que, dans certains cas, il pourrait en aller autrement :

« En règle générale, il est préférable de préserver un pays à le détruire, un corps d’armée à le détruire, un bataillon à le détruire, une escouade à la détruire, une brigade à la détruire. » (chapitre 3)

Continuer la lecture