« Une armée frappe avec la soudaineté de la foudre. » (chapitre 7)
La foudroyance est, au sein de l’armée française, un concept récent, de plus en plus fréquemment présenté comme principe fondamental, mais qui demeure cependant encore en gestation[1]. Sun Tzu évoquait pourtant déjà cette notion, sans toutefois la nommer clairement, comme l’illustre son image de « l’oiseau de proie » :
« L’oiseau de proie parvient à briser les reins de sa victime quand il frappe en raison de sa prestesse. Le grand général allie une formidable puissance à une extrême prestesse. Il possède la puissance de l’arbalète bandée et la prestesse de la gâchette. » (chapitre 5)
Bien au-delà de ce simple passage, toute la philosophie de Sun Tzu tend vers ce concept non-nommé de foudroyance. Nous allons le voir en en décortiquant les modes d’action.
La foudroyance repose sur l’effet de surprise :
« Attaquez là où il ne vous attend pas ; surgissez toujours à l’improviste. » (chapitre 1)
« Je surgis là où [l’ennemi] ne peut m’atteindre, je le frappe à l’improviste. Si des troupes peuvent parcourir mille lieues tout en restant fraîches et disposes, c’est qu’elles ne rencontrent pas d’ennemi sur leur chemin. Qui emporte toutes les places qu’il attaque investit des villes qui ne sont pas défendues. » (chapitre 6)
Mais la surprise n’est pas tout. Pour produire l’effet de foudroyance, elle doit en effet se combiner à la sidération, qui paralyse l’adversaire par la rapidité des changements et le déferlement de puissance, l’empêchant ainsi de reprendre ses esprits et de réagir à l’attaque :
« Celui qui affronte un ennemi qui n’est pas préparé remportera la victoire. » (chapitre 3)
« L’ennemi laisse béer l’ouverture : on s’y engouffre sans délai et on se rend maître de quelque point vital, sans lui laisser deviner la date choisie pour l’engagement. […] Vous vous présentez d’abord comme une vierge timide ; l’ennemi ouvre sa porte, alors, rapide comme le lièvre, vous ne lui laissez pas le temps de la refermer. » (chapitre 11)
Sun Tzu expose également les procédés nécessaires à l’obtention de la foudroyance.
Tout d’abord, il commande de chercher à être parfaitement renseigné sur l’adversaire :
« Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait ; qui ne connaît l’autre mais se connaît, sera vainqueur une fois sur deux ; qui ne connaît pas plus l’autre qu’il ne se connaît sera toujours défait. » (chapitre 3)
Pour être capable de saisir une opportunité, le meilleur atout est de l’avoir préalablement envisagée. Pour cela, il faut avoir anticipé un maximum de scénarios. Nous abordons alors là la notion de réactivité et de cas non-conformes, sur laquelle nous reviendrons plus en détail dans un prochain billet.
Il est également capital que l’action tactique, ou les différentes alternatives envisagées, restent totalement imprévisibles. Pour cela, il faut préparer son action dans le plus grand secret :
« Je l’oblige à dévoiler ses formations sans jamais trahir ma forme. » (chapitre 6)
« Infiniment mystérieux, il occulte toute forme ; suprêmement divin, il ne laisse échapper aucun bruit : c’est ainsi que le parfait chef de guerre se rend maître du destin de l’adversaire. » (chapitre 6)
Enfin, il conviendra d’être en mesure de faire preuve d’une extrême rapidité dans la manœuvre :
« Une armée doit être preste comme le vent. » (chapitre 7)
« A la guerre, tout est affaire de rapidité. » (chapitre 11)
Si le mot de foudroyance n’a pas été verbalisé par Sun Tzu, il est possible que ce soit parce que les traducteurs n’avaient pas connaissance de l’existence de ce récent néologisme militaire. Mais l’idée était bien présente dans L’art de la guerre, comme en témoigne l’image de l’oiseau de proie. En outre, tous les ingrédients étaient réunis ; certes de façon éparse, mais à l’instar du relatif chaos qui caractérise l’intégralité du traité.
Aussi, dans cette exploration du concept de foudroyance que semble actuellement réaliser l’armée française, n’y aurait-il pas là une redécouverte des principes fondamentaux de la guerre décrits il y a 2500 ans par Sun Tzu ?…
[1] Le TTA 106 (Glossaire de termes, sigles, signes et symboles conventionnels militaires) précise que la foudroyance est l’un des cinq principes de la guerre (avec l’économie des forces, l’incertitude, la concentration des efforts et la liberté d’action). Il en donne cette définition : « Le principe de foudroyance a pour but, non de tout détruire, mais de briser le rythme ou les rythmes de l’adversaire dans ses diverses activités, de façon à l’empêcher de se reprendre et à le tenir en retard permanent sur l’action. »
Concernant la position ambiguë de l’armée française sur le principe de foudroyance, voir l’article de Frédéric Jordan Les principes de la guerre français oui mais… lesquels ? sur le blog L’écho du champ de bataille.