Le dernier numéro de la Revue Défense Nationale (mars 2016) est consacré à la guerre hybride. Dans un article, intitulé La « guerre hybride » : escroquerie intellectuelle ou réinvention de la roue ?, l’historien Laurent Henninger y fait remarquer que ce concept présenté comme novateur existe en réalité depuis fort longtemps. Il cite ainsi un ouvrage américain[1] où sont présentés neuf exemples historiques allant de l’Antiquité à la guerre du Vietnam, illustrant à quel point le principe de combinaison de forces régulières et irrégulières a couramment été mis en œuvre par le passé.
Mais il est possible de remonter encore plus loin dans le passé. Sun Tzu lui-même commandait en effet explicitement cette pratique :
« En règle générale, on use des moyens réguliers au moment de l’engagement ; on recourt aux moyens extraordinaires pour emporter la victoire. » (chapitre 5)
Nous avions évoqué cette idée maitresse du système suntzéen dans notre billet Des forces régulières et extraordinaires. Nous n’allons donc pas y revenir.
Le concept de « guerre hybride » voit se mêler la guerre dite conventionnelle (avec des armées régulières équipées d’armes de haute technologie) et la guerre dite non-conventionnelle (guérillas menées par des groupes armés irréguliers possédant un armement léger et relevant d’un niveau technologique très limité, milices, unités d’élites, etc.). Exactement ce que préconisait Sun Tzu.
Si bien sûr il n’est pas littéralement écrit dans L’art de la guerre que les forces doivent surfer sur les nouvelles technologies, nul doute que ses recommandations de tenir compte et de s’adapter à l’environnement (qui, à son époque, se résumait à la configuration du terrain et à la météorologie) seraient aujourd’hui déclinées au milieu cyber et aux différentes applications technologiques : GPS, téléphonie satellitaire, drones civils, … Même la guerre de l’information, composante des guerres hybrides, était prévue par Sun Tzu : l’activisme sur les réseaux sociaux pourrait ainsi être directement décliné des injonctions de désinformation de L’art de la guerre.
En tout état de cause, Sun Tzu était convaincu du potentiel de cette notion de forces régulières et forces extraordinaires :
« Qui sait user des moyens extraordinaires est infini comme le Ciel et la Terre, inépuisable comme l’eau des grands fleuves. » (chapitre 5)
[1] Peter R. Mansoor & Williamson Murray (dir.), Hybrid Warfare – Fighting Complex Opponents from the Ancient World to the Present, Cambridge University Press, 2012.
Merci pour cet article. Néanmoins je pense que plus encore qu’une combinaison d’unités conventionnelles et irrégulières, il faut voir la guerre hybride comme l’utilisation d’armes de haute technologie voire de stratégies complexes, évolutives dans le temps et élaborées par des groupes paramilitaires ou terroristes mais aussi des armées plus structurées de pays non occidentaux. C’est en cela que l’hybridité est innovante que l’on pense au Hezbollah, aux stratégies anti accès ou à ses déclinaisons iranienne (mosaïque) ou coréenne. Une guérilla ou une force équipée de MANPADS, de missiles antichar high tech et d’un C2 performant
n est plus vraiment irrégulière ni conventionnelle. Sun Tzu avait-il saisi cette évolution ?