Nous venons de voir que les notions militaires apparues au fil de la conceptualisation de la stratégie militaire paraissaient systématiquement trouver un traitement dans L’art de la guerre. Le système suntzéen couvrirait ainsi l’intégralité des concepts militaires en vigueur aujourd’hui (et même ceux passés de mode, comme la marche à l’ennemi). Cela signifie-t-il pour autant que le stratège chinois a produit une théorie complète, autosuffisante pour guider à chaque instant la conduite d’une guerre ? Autrement dit : face à un scénario donné, l’application des préceptes de Sun Tzu nous livre-t-elle sans ambiguïté une seule solution possible ?
Nous pensons que oui. Au bémol près que L’art de la guerre indique plus une direction qu’une route à suivre : chaque époque, chaque culture, pourra avoir une interprétation différente des mêmes maximes. Mais il sera toujours selon nous possible d’en tirer une ligne de conduite.
Dans le cas qui nous intéresse, il est à noter qu’une application contemporaine et occidentale de L’art de la guerre s’avèrerait profondément différente de celles auxquelles aboutiraient nos MPO et autres COPD[1]. L’exemple le plus immédiat est la posture en réaction préconisée par Sun Tzu, totalement opposée à la culture actuelle faisant manœuvrer pour agir sur le centre de gravité adverse identifié.
Même si Sun Tzu semble donc bien avoir écrit un traité complet, gardons à l’esprit qu’il ne serait être question d’avoir une application intransigeante d’un unique traité, fut-il le manuel de doctrine officiel de l’armée. A l’instar de tous les classiques, L’art de la guerre ne doit en effet pas être considéré comme un manuel de référence que l’on pourrait appliquer à la lettre, mais bien comme un support à la construction intellectuelle du chef militaire.
Certaines transpositions du traité à d’autres disciplines que le conflit armé ont d’ailleurs souligné son caractère abouti et intégral : Chin-Ning Chu, dans son ouvrage L’art de la guerre pour les femmes consacré au développement personnel féminin, affirmait ainsi proposer une « approche holistique de la réussite »[2] à partir du seul traité de Sun Tzu. Comment alors expliquer qu’il ne puisse en être de même pour le thème explicite du traité : la guerre[3] ?
[1] Différentes méthodes de planification en usage dans les armées. MPO : Méthode de Planification Opérationnelle ; COPD : Comprehensive Operations Planning Directive. Sans évoquer, bien sûr les autres méthodes comme les MRG, MEDO, MARS, GOP, EBAO, …
[2] Chin-Ning Chu, L’art de la guerre pour les femmes, éditions Pocket, 2010, p. 12.
[3] A noter, concernant la thématique du traité de Sun Tzu, que pour Jean Lévi « la guerre, la façon de conduire et de mener les opérations militaires, n’est nullement le but fondamental [du traité de Sun Tzu]. Il en est le prétexte. […] Si les militaires occidentaux limitent leur objet à cette chose qu’est, pour les théoriciens chinois, le théâtre des opérations, un livre comme le Sun Tzu s’intéresse essentiellement à tout ce qui pour leurs collègues de l’autre extrémité du continent ne concerne pas la guerre. » (Sun Tzu, L’art de la guerre, traduit par Jean Lévi, Editions Hachette, Paris, 2000, pp. 35 à 37)