Quel est aujourd’hui l’intérêt de lire Sun Tzu ?

Pourquoi consacrer du temps à étudier ce traité ?

Pourquoi consacrer du temps à étudier ce traité ?

L’art de la guerre ne se présente pas comme un manuel de doctrine moderne, aisé à aborder. Or, à la différence d’un traité comme celui de Clausewitz, il n’existe que peu (voire pas) d’exégèse militaire en français du traité chinois. Des ouvrages francophones – ou des traductions – paraitront peut-être avec le temps, mais pour l’heure, chaque lecteur désireux de véritablement comprendre le système exposé dans L’art de la guerre est tenu de refaire le long cheminement d’assimilation de la philosophie de Sun Tzu, ne pouvant guère se reposer sur des écrits prémâchant ce travail. Dès lors, pourquoi consacrer du temps à l’appropriation de ce traité vieux de près de 2500 ans ?

En tout premier lieu, L’art de la guerre présente une formidable valeur illustrative de par sa prétention à être le tout premier écrit stratégique de l’humanité. Si certaines assertions de Sun Tzu apparaissent aujourd’hui comme des évidences, il faut bien se rappeler que le stratège chinois fut le premier à les formuler par écrit[1] :

  • réduction au strict nécessaire des destructions chez l’adversaire ;
  • préférence pour l’approche indirecte (diplomatie, ruse, etc.) ;
  • recours au combat indirect ;
  • impératif du renseignement ;
  • primauté de la manœuvre ;
  • nécessité de créer l’incertitude chez l’ennemi ;
  • recherche de l’effet de surprise ;
  • obligation d’être réactif et de savoir exploiter les situations ;

Sur le plan purement historique, de nombreux aspects de la pensée de Sun Tzu sont d’ailleurs fascinants, comme sa laïcité (« La prévision ne vient ni des esprits ni des dieux […]. Elle provient uniquement des renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire. », chapitre 13), ou son souci de définition des concepts de la guerre[2].

Loin d’être dépassé, le système développé par Sun Tzu présente même des préceptes d’une étonnante modernité :

« Etre victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin. » (chapitre 3)

« On traitera humainement les prisonniers. » (chapitre 2)

D’ailleurs, certaines idées qui pourraient apparaître comme étant passées de mode, méritent pourtant que l’on s’y attarde, comme la marche à l’ennemi ou même le pillage !

Au final, comme tout traité de stratégie, l’étude de ce classique ne peut que contribuer à la construction du chef militaire, et ne doit certainement pas être considéré comme un manuel de référence que l’on devrait appliquer à la lettre.

Un autre intérêt à l’étude de L’art de la guerre, un peu connexe, est que ce traité présente un système complet. Il peut dès lors s’avérer intéressant de s’en servir comme grille de lecture, comme nous nous en étions rapidement essayé à l’exercice avant le début de l’engagement français contre le groupe Etat islamique (Daesh)[3].


[1] En réalité L’art de la guerre n’est pas le plus ancien traité militaire. Sun Tzu lui-même en cite d’ailleurs un antérieur, au chapitre 7 : le « Jun zheng » (note : Jean Lévi ne traduit pas directement le titre de ce traité, comme le fait par exemple Valérie Niquet, mais préfère employer l’expression « Les ordonnances militaires »). De plus, L’art de la guerre de Wu Zixu est probablement antérieur à celui de Sun Tzu. D’autres textes pourraient encore présenter de l’intérêt de nos jours, comme ceux de Wu-Tse ou de Sun Bin. Mais le traité de Sun Tzu est manifestement le plus brillant des écrits de cette période. Si la désignation de « plus ancien traité militaire », voire « plus ancien traité de stratégie » n’est donc peut-être pas rigoureusement exact, la qualité du texte transmis, en regard de son ancienneté, en fait réellement une pièce historique exceptionnelle.

[2] Même si l’entreprise n’est pas systématique, Sun Tzu veille à être exhaustif dans la présentation des différents types de terrain ou d’espions. Ses définitions posées, elles peuvent ensuite donner lieu à des recommandations (cf. notre billet L’étude du terrain, un propos vieilli). Il convient toutefois de noter que la totalité de ces définitions et énumérations apparaissent aujourd’hui caduques, là où celles d’un Jomini tel le « théâtre des opérations » ont survécu.

[3] Etant convenu que les combattants de Daesh n’avaient certainement pas lu le traité de Sun Tzu, et qu’il n’y avait aucune raison pour qu’un des chefs militaires en ait fait son livre de chevet, il a néanmoins semblé intéressant de regarder si le mode opératoire du groupe islamiste suivait globalement une mécanique suntzéenne. Etant apparu que oui, nous nous sommes alors aventurés à prédire les actions à venir, considérant qu’une logique globale était en action. L’Histoire jugera si la tentative de prévision s’est avérée juste. L’article, initialement paru sur le blog U235, et été repris et affiné pour la revue Regards croisés.

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