Le traité de Wu Zixu (abrégé en « le Wu Zixu ») est découpé en 9 chapitres (13 pour celui de Sun Tzu, « le Sun Tzu »). Le transcripteur en chinois moderne a pris la liberté de les nommer. Voici la traduction (remaniée par nos soins[1]) que leur en a donnée le commandant Jian Zhu :
- Diriger le peuple en dépendant de la loi objective du ciel et de la terre (la nourriture est essentielle à l’homme)
- S’adapter au moment propice (rendre le pays prospère et développer une armée forte en profitant de la situation)
- Déployer les troupes et combattre (principe d’opération sur diverses sortes de terrains)
- Du combat meurtrier (choisir le moment propice pour attaquer l’ennemi en fonction des astres)
- Du soleil, de la lune et des étoiles (choisir le lieu et le moment du combat optimal)
- Du combat (plan général de mobilisation et de déploiement de l’armée pour attaquer l’ennemi)
- De l’offensive (dix tactiques pour vaincre l’ennemi)
- Préserver le peuple (épurer l’environnement politique)
- Préconiser la vertu (traiter les affaires étrangères par la vertu)
Sur ces neuf chapitres, seuls cinq concernent la stratégie militaire (les 3 à 7), les quatre autres (1, 2, 8 et 9) traitant plus spécifiquement de l’exercice du pouvoir. Sujet que n’aborde pas Sun Tzu, excepté furtivement lorsqu’il affirme que le souverain ne doit pas interférer dans ce qui relève des seules prérogatives du général (cf. notre billet Sun Tzu prône-t-il la décorrélation du politique et du militaire ?)[2]
Le traité de Wu Zixu contient 2 093 idéogrammes en chinois ancien (9129 en chinois moderne), contre 7462 pour le Sun Tzu (et 5913 pour le Sun Bin) : presque quatre fois moins. Et seule la moitié traite du même périmètre : la conduite de la guerre. Concernant ce dernier domaine, le Sun Tzu est donc environ huit fois plus fourni que le Wu Zixu. Toutefois, nous avions vu dans le billet Sun Tzu est-il moins profond que Clausewitz ? que la quantité de texte n’était pas nécessairement proportionnelle à la profondeur du système développé.
La présentation des deux traités diffère : alors que celui de Sun Tzu revêt une forme que nous qualifierions aujourd’hui de « classique », celui de Wu Zixu se présente comme un entretien entre le roi He Lü et Wu Zixu. Cette forme est caractéristique des œuvres de la dynastie pré-Qin, comme en témoigne les deux autres grands traités militaires de l’époque : celui de Wou-tseu et celui de Sun Bin.
On retrouve toutefois certaines formulations communes aux deux traités, comme le principe du questionnement :
« Il faut se demander : où se trouve le centre dans les espaces célestes ? Où se trouve l’origine des fleuves qui s’écoulent ? Qui peut arrêter par sa sagesse la catastrophe qui va arriver ? Qui peut empêcher le pouvoir d’Etat de changer de mains ? Qui sait à quelle heure le malheur caché va arriver ? Qui peut se réjouir ne sachant quand le bonheur va arriver ? En un mot, il faut prendre l’Est comme gauche, l’Ouest comme droite, le Sud comme surface externe et le Nord comme masse interne. Tout cela correspond au moment propice. » (Wu Zixu, chapitre 1)
« Il suffit [..] de se demander : Qui a les meilleures institutions ? Qui a le meilleur général ? Qui a les conditions climatiques et géographiques les plus favorables ? Qui a la meilleure discipline ? Qui a l’armée la plus puissante et les soldats les mieux aguerris ? Qui possède le système de récompenses et de châtiments le plus efficace ? La réponse à ces questions permet de déterminer à coup sûr le camp qui détient la victoire. » (Sun Tzu, chapitre 1)
De prime abord, le Wu Zixu apparait manifestement un cran en-dessous du Sun Tzu. Son antériorité par rapport à ce dernier (cf. notre billet Pourquoi Wu Zixu est-il méconnu ?) pourrait l’expliquer, le Wu Zixu étant en effet susceptible d’être un proto-Art de la guerre. S’il ne présente dès lors guère d’intérêt pour le militaire contemporain, il s’avère tout de même intéressant dans le cadre de l’étude de l’évolution de la pensée militaire dans l’histoire de la Chine, et particulièrement celle de Sun Tzu. Sous réserve, bien sûr, que l’on acquière un jour la certitude de son antériorité sur ce dernier.
En tout état de cause, on retrouve dans le Wu Zixu un certain nombre de préceptes communs aux deux stratèges. Sur d’autres points, comme l’astrologie, les deux hommes ont des avis très divergents. Enfin, quelques-uns sont inédits et présentent un réel intérêt. Ces comparaisons feront l’objet de notre prochain billet.
[1] Comme nous l’avons exposé dans le précédent billet, la série d’articles en cours repose sur une traduction effectuée par un stagiaire chinois à l’Ecole de Guerre française, le commandant Jian Zhu, dans le cadre d’un mastère de stratégie. Si son étude a pu être jugée très imparfaite, elle a au moins eu le mérite de porter à notre connaissance l’existence du traité de Wu Zixu. Le lecteur voudra donc bien pardonner les inévitables inexactitudes – voire erreur – qui pourront être écrites et se révèleront lorsqu’une véritable traduction française verra le jour.
[2] Outre cet aspect de décorrélation du politique et du militaire, la traduction de Valérie Niquet désigne directement le souverain dans un précepte :
« Grâce à la vertu (du souverain), le peuple est en accord avec ses dirigeants au point qu’il ne craigne ni de mourir ni de vivre pour eux. » (chapitre 1 de la traduction de Valérie Niquet)
Toutefois, la plupart des autres traducteurs, à commencer par Jean Lévi, ne partagent pas cette interprétation, cantonnant le précepte aux chefs militaires :
« La vertu est ce qui assure la cohésion entre supérieurs et inférieurs, et incite ces derniers à accompagner leur chef dans la mort comme dans la vie, sans crainte du danger. » (traduction de Jean Lévi)