La planification est un pilier du système suntzéen. Elle peut permettre, à elle seule, d’éviter l’affrontement armé.
Cette planification est un garant, voire une condition sine qua non, de la victoire :
« Une armée est victorieuse si elle cherche à vaincre avant de combattre ; elle est vaincue si elle cherche à combattre avant de vaincre. » (chapitre 4)
Par sa croyance immodérée dans les vertus de la planification, le système suntzéen réfute l’idée clausewitzienne de friction. Peut-être le stratège chinois n’avait-il pas une claire conscience de cette notion, mais peut-être aussi était-il convaincu du pouvoir de la planification, à l’instar des espoirs que les Américains ont pu porter durant les années 90 dans leur concept de Révolution dans les Affaires Militaires.
Le processus de planification suntzéen est parfaitement rationnel et rejette tout aspect superstitieux :
« La victoire est certaine quand les supputations élaborées dans le temple ancestral avant l’ouverture des hostilités donnent un avantage dans la plupart des domaines ; […] C’est par ces considérations qu’il m’est possible de prévoir à coup sûr l’issue du combat. » (chapitre 1)
Note : la référence au temple ne sert pas ici pour évoquer la religion mais est le lieu du conseil de guerre.
L’évocation des « calculs » auxquels le général doit se livrer est récurrente pour déterminer si une bataille peut être engagée ou pas. Le général doit ainsi se poser une série de questions pour estimer précisément le rapport de forces et en déduire le type de combat à entreprendre :
« Le général qui se fie à mes calculs sera nécessairement victorieux : il faut se l’attacher ; le général qui se refuse à les entendre sera régulièrement défait : il faut s’en séparer ! » (chapitre 1)
« La tactique consiste d’abord à estimer, deuxièmement à mesurer, troisièmement à calculer, quatrièmement à apprécier ses chances et cinquièmement à vaincre. » (chapitre 4, traduction de Jean-François Phelizon[1])
Si la planification permet de sortir vainqueur du conflit, Sun Tzu croit en outre qu’elle rend possible une victoire sans effusion de sang :
« Etre victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin. » (chapitre 3)
Face à l’inéluctabilité de sa défaite, observée par le déploiement des troupes et la compréhension que la bataille ne peut que finir mal pour lui, le général adverse agissant rationnellement n’aurait en effet d’autre issue logique que de jeter l’éponge.
Sun Tzu n’envisage cependant pas que cette situation puisse être dissuasive par la seule communication des plans à l’adversaire qui, réaliste, en viendrait à la reddition spontanée. Une démonstration de force préalable sera forcément nécessaire : c’est seulement au vu de notre dispositif que l’on pourra espérer que l’ennemi réalise l’inéluctabilité de sa défaite. Cela signifie donc que les bonnes intentions ne suffisent pas : il faudra réellement disposer d’une armée en nombre suffisant, équipée et entraînée, déployée et prête à l’engagement, pour que l’ennemi soit convaincu qu’il ne s’agit pas d’un bluff (rappelons qu’il dispose lui aussi d’espions qui lui rapporteraient fatalement une éventuelle mise en scène).
Nous pourrions aujourd’hui reprocher l’idéalisme de cette « soumission de l’ennemi sans croiser le fer ». A l’instar de la totale indifférence que Saddam Hussein porta aux plans d’attaques que lui avaient transmis les Américains avant le déclenchement de la première guerre du Golfe[2], il nous apparaît très peu probable qu’un dirigeant décidé à recourir à la guerre, ayant préparé et galvanisé sa population à cette extrémité, puisse brusquement reconnaître son erreur et accepter l’humiliation d’une reddition. Sun Tzu semble ainsi sur ce point idéaliser la rationalité des conflits en considérant que chaque protagoniste agit de façon mécanique et est ainsi prêt à abandonner lorsqu’il acquiert la certitude de la défaite.
Bien que Sun Tzu porte aux nues les vertus de la planification, il évoque toutefois la réaction à tenir lorsqu’un évènement non-anticipé survient. En ce sens, sans le reconnaître explicitement, il admet que la planification totale peut relever du mythe. Ou alors de l’idéal à rechercher. Ou alors, plus pragmatique, que le général parfait n’existe pas et qu’il y aura forcément des oublis voire des erreurs dans la planification. C’est pourquoi L’art de la guerre traite également de la réactivité à avoir en cas d’imprévu.
Corollaire de ce pouvoir accordé à la planification : un des piliers du système suntzéen consiste à attaquer prioritairement la planification ennemie :
« Le mieux, à la guerre, consiste à attaquer les plans de l’ennemi ; ensuite ses alliances ; ensuite ses troupes ; en dernier ses villes. » (chapitre 3)
[1] Jean Lévi traduit, de façon probablement plus rigoureuse mais moins immédiatement compréhensible : « L’analyse stratégique comprend : les superficies, les quantités, les effectifs, la balance des forces, la supériorité. »
[2] En 1991, avant le début des hostilités de la première guerre du Golfe, les Américains avaient fait parvenir à Saddam Hussein une disquette où figuraient tous les scénarios d’engagement possibles et la façon dont les Américains allaient contrecarrer les manœuvres irakiennes. Ils espéraient ainsi obtenir une reddition immédiate du président irakien mis en face de l’inéluctabilité de sa défaite. Ce stratagème n’eut aucun effet.
Les frictions du champ de bataille que vous rejetez en première partie de l’article sont justement les imprévus auxquels il faut pouvoir réagir. Tout en étant d’accord sur les grandes lignes de votre article, je souhaite tout de même ajouter que la planification n’est en rien immuable. Elle a pour objectif de fixer un cadre dans lequel les forces amies vont évoluer et s’adapter en permanence. La guerre étant d’abord l’affrontement de volontés, la clé est de garder, ou gagner l’initiative. D’où la montée aux extrêmes chère à Clausewitz. Et si vous voulez que le plan prôné par Sun Tzu se déroule comme prévu, il est crucial qu’il inclue le processus conduisant à soumettre l’ennemi à notre volonté.
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