En 1988, la première traduction directement du chinois au français depuis le père Amiot (et même la toute première de l’Histoire, puisque le jésuite se basait en réalité sur un texte en mandchou…) vit le jour aux éditions Economica sous la plume de Valérie Niquet. Si cette dernière conserva bien le titre « L’art de la guerre », elle opta cependant pour la transcription pinyin[1] « Sun Zi ».
Probablement saluée par les militaires[2], cette traduction sembla en revanche avoir été vivement critiquée par les sinologues[3]. Il est vrai que le propos de Sun Tzu en devenait parfois relativement inintelligible. A la décharge de Valérie Niquet, il convient toutefois de rappeler que ce travail fut la seule traduction directe du chinois disponible pendant plus de dix ans ; les sinologues eurent donc largement le temps de s’épancher sur les imperfections de cette toute première traduction. En 1999, Valérie Niquet corrigea dans une nouvelle édition nombre des erreurs qui lui avaient été reprochées ; elle parfera son travail en 2012 à travers une troisième édition (Cf. la deuxième note de notre billet Combien de versions françaises différentes ?).
Les dix années suivantes furent alors marquées par les reproductions de traductions déjà existantes.
En 1990, Gérard Chaliand reproduira dans son Anthologie mondiale de la stratégie la version de Lucien Nachin. Le texte de Sun Tzu y était ainsi inclus dans un ouvrage beaucoup plus large.
En 1993, les Presses Pocket republièrent la version de Lucien Nachin sous le titre L’art de la guerre de Sun Tse. Cette version fut également reprise en 1996 par Le grand livre du mois.
En 1994, Valérie Niquet publia Deux commentaires de Sun Zi, qui comprenaient outre la traduction de 1988, deux commentaires d’exégètes historiques (Cao Cao et Li Quan).
En 1996, la maison d’édition Mille et une nuits proposa une édition à petit prix (10 francs) de « L’art de la guerre de Sun Tzu ». Bien que présentée comme étant la traduction du père Amiot, le texte était en réalité celui de l’Impensé radical. Si la « Vie de Sun Tzu » par Se-Ma Ts’ien présente dans l’ouvrage de l’Impensé radical fut reprise, les autres éléments (poème de Kouang-Cheng, repères chronologiques, carte des Royaumes combattants, etc.) ne le furent en revanche pas. Par contre fut ajoutée un texte de Gilles Tordjman, Une morale de l’inadvertance ; cet ouvrage s’avère donc au final être un véritable patchwork. Son petit prix en fait toujours aujourd’hui la version la plus vendue de L’art de la guerre[4].
Jusque dans les années 2000 (1999 pour être exact), quatre versions furent donc disponibles auprès du public français :
– La traduction de Samuel Griffith (l’ouvrage changea de couverture en 1978 puis en 1983).
– La traduction de Valérie Niquet (première version et sous la forme « Deux commentaires de Sun Zi »).
– La version de l’Impensé radical, sous ses deux formes : l’originale de 1971 et la version « petit prix » de 1996.
– La version de Lucien Nachin republiée par les Presses Pocket et Le grand livre du mois, et incluse dans l’Anthologie mondiale de la stratégie.
Il convient toutefois de noter l’existence de deux autres versions de L’art de la guerre en français durant cette période, mais qui ne furent publiées qu’en Chine et n’en sortirent jamais (hors peut-être librairie spécialisées) :
– En 1990, Xu Xiaojun et Jia Xiaoning firent paraître aux éditions des Sciences militaires l’Edition critique et commentée du Sun Zi. Cet ouvrage sera réédité en 2009 sous le titre L’art de la guerre de Sun Zi, toujours aux éditions des Sciences militaires, dans la collection « Bibliothèque des classiques chinois ».
– En 1994, Tang Jialong offrira également une traduction, intitulée L’art de la guerre de Sunzi – L’art de la guerre de Sun Bin. Cette traduction arrivera en France en 2004 aux éditions Rivages (pour l’anecdote : sans l’assentiment ni même la connaissance du traducteur…).
Enfin, des adaptations de L’art de la guerre en bandes dessinées furent également traduites en français durant cette période. Elles seront étudiées ultérieurement.
Dans le prochain billet, nous verrons que 1999 marqua la véritable explosion du nombre de versions publiées.
[1] Concernant ces différences d’orthographe du nom de Sun Tzu, voir notre billet Pourquoi pas « Sun Zi France » ?
[2] « Probablement », car nous n’avons pas trouvé trace de commentaires dans la presse spécialisée de l’époque.
[3] Ces derniers reprochaient notamment à la traduction de Valérie Niquet de comporter nombre de traductions approximatives. Citons à titre d’exemple Laurent Long : « Une telle entreprise […] aurait dû répondre aux attentes des sinologues et des officiers. Malheureusement, ce travail doit un peu trop à la version française de Griffith, néglige les commentaires qui n’avaient pas rebuté l’officier des Marines ; sa langue est lourde et n’évite pas de grossières erreurs. La présentation de L’art de la guerre n’ajoute rien à Griffith et ne tient pas compte, au-delà de quelques mentions de la découverte du manuscrit Han de Yinqueshan. » (Laurent Long, Les sept classiques militaires dans la pensée stratégique chinoise contemporaine, ANRT, 1998, p. 291).
[4] Source : classement des ventes d’Amazon.
Source de l’image : Photo de l’auteur