Nous l’avons vu dans les billets précédents, Sun Tzu et Clausewitz abordent leur sujet de deux manières différentes. En découle que les thèmes traités ne se correspondent pas forcément. Bon nombre d’idées ne sont ainsi développées que par l’un ou l’autre : l’armée qui doit être comme l’eau pour Sun Tzu, le concept de friction pour Clausewitz, … Quand les thèmes concordent, les analyses des deux stratèges peuvent alors converger (même si les façons de les énoncer peuvent être très distinctes), différer, voire, plus rarement, être en franche opposition.
Un certain nombre d’idées sont donc similaires chez Sun Tzu et Clausewitz. Par exemple, pour les deux stratèges, le rapport de force se crée fondamentalement et de manière instable et délicate dans le rapport affectif du peuple et du souverain, ainsi que du peuple sous les armes et du commandement militaire, rapports qui dans un camp (plus que dans l’autre) permettent, le moment venu, de demander à la population un effort exceptionnel. Les formulations sont dans la forme très différentes, mais l’idée reste la même.
De même, Sun Tzu envisage la situation entre les forces en présence comme une sorte d’équilibre des interactions stratégiques issues du contexte de face-à-face conflictuel. L’essence de sa pensée est alors la recherche d’un déséquilibre, bien évidemment à la défaveur de l’adversaire. Il rejoint ici Clausewitz dans ses réflexions sur les opportunités et potentialités des divers positionnements. Le principe de déséquilibre est en effet l’axe fondamental du raisonnement du stratège prussien : il s’agit de s’assurer la victoire en modulant subtilement le complexe d’interactions stratégiques généré par le contexte.
Les deux stratèges peuvent également différer dans leur analyse de certains thèmes. Ainsi, si chacun d’eux conçoit bien l’autonomie de la guerre, ils le font de manière dissemblable. A l’origine, la guerre est en effet bien le résultat d’une intention politique. Mais si très rapidement le politique peut voir lui échapper la maîtrise de cette guerre, c’est pour Clausewitz parce que cette dernière impose sa loi, sa propre dynamique. Pour Sun Tzu par contre, c’est uniquement parce qu’il s’agit d’une nécessité : il doit selon lui y avoir une séparation radicale entre le général et le chef politique, ce dernier devant abandonner l’idée d’une quelconque maîtrise du cours de la guerre une fois celle-ci lancée (cf. notre billet Sun Tzu prône-t-il la décorrélation du politique et du militaire ?).
Si pour les deux stratèges la guerre est bien une affaire humaine, tant dans sa dimension politique que dans celle du moral des soldats, le hasard est beaucoup plus présent chez Clausewitz, notamment à travers sa notion novatrice de frictions, que chez Sun Tzu qui y voit un aspect presque mécanique (« Le général qui se fie à mes calculs sera nécessairement victorieux », chapitre 1). Pour Clausewitz, la guerre reste une affaire fondamentalement aléatoire et nul préparatif ne saurait déterminer l’issue dernière du combat. Chez Sun Tzu au contraire, un certain déterminisme semble implicitement supposé. Si incertitude il peut y avoir, c’est par défaut de renseignement. Cette différence entre les deux stratèges nécessite d’être bien mise en regard de la vision, qui pourrait paraître a priori contradictoire, que la guerre est plutôt un art pour Sun Tzu et une science pour Clausewitz.
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