L’enseignement des préceptes de Sun Tzu à travers les académies militaires du monde entier est très variable. Mais globalement faible : le niveau d’étude varie de l’absence totale d’évocation à quelques heures d’instruction. Seule une poignée de pays dépasse le cadre de l’histoire militaire pour entrer réellement dans la mécanique de L’art de la guerre.
D’une étude menée par nos soins auprès des stagiaires internationaux des promotions 2010-2011 et 2011-2012 de l’Ecole de Guerre, couvrant près d’une centaine de pays, il ressort que le continent étudiant le plus le traité est l’Amérique du Sud et celui l’évoquant le moins l’Afrique (où il semble qu’aucun pays ne le fasse). Les autres régions du monde ont des traitements paraissant répartis aléatoirement. Ainsi les États-Unis ne l’étudient pas mais le Canada oui. La Tunisie non mais le Maroc oui. La Corée du Sud y consacre trois jours complets dans son Ecole de guerre mais les Japonais, pourtant les premiers à avoir sorti Sun Tzu de Chine, rien. L’Inde ne fait que citer épisodiquement Sun Tzu alors que l’Afghanistan, dans son école de guerre naissante, lui consacre une demi-journée complète. La Russie n’y voit qu’un réservoir à citations tandis que la Pologne l’étudie dans le cadre de l’histoire militaire. Enfin, l’Allemagne n’y consacre aucun cours là où la Grèce y passe 10 heures !…
Bien entendu, le niveau d’étude peut varier au cours du temps : l’enseignement de l’histoire militaire peut être négligé de nombreuses années et redevenir brusquement prioritaire à la faveur d’un chef sensible à cette discipline. Sun Tzu lui-même peut être plus ou moins apprécié des professeurs.
Le cas de l’Amérique du Sud est particulier : durant les années 60 et 70, les services secrets chinois traduisirent en espagnol et en portugais les écrits de Sun Tzu, Mao et Giap et en assurèrent une très large diffusion dans les pays d’Amérique latine (le point d’entrée des textes espagnols étant le Mexique). Cette action, qui s’inscrivait en pleine Guerre Froide, visait à favoriser les révolutions dans les pays proches des États-Unis. L’entreprise fut un total succès, puisque les opérations de contre-insurrection menées contre les différentes guérillas[1] – documents découverts lors des prises de positions rebelles ou témoignages des défecteurs – mirent souvent à jour que les références doctrinales des rebelles étaient basées sur ces textes.
C’est ainsi que l’armée colombienne, essentiellement tournée vers la guerre contre-insurrectionnelle, considère en matière de doctrine de guérilla trois niveaux d’application :
- Niveau dit « philosophique » : Sun Tzu (L’art de la guerre)
- Niveau stratégique : Mao (De La Guerre Prolongée)
- Niveau opératif : Giap (Guerre de libération – Politique, stratégie, tactique et Guerre du peuple, armée du peuple), Ho Chi Min (pas d’écrits)
Consciente que Sun Tzu était utilisé de façon efficace par les révolutionnaires, l’armée colombienne s’est réellement intéressée à son traité pour comprendre et contrer la guérilla. Ainsi, toute la philosophie de la duperie ou du renseignement exposée dans L’art de la guerre est particulièrement étudiée par les militaires colombiens. L’appropriation de Sun Tzu est telle que la ruse constitue l’un des principes colombiens de la guerre. L’exemple le plus emblématique en est probablement l’opération Jaque de la libération d’Ingrid Betancourt en 2009 qui a reposé sur une succession de duperies et stratagèmes.
Notons pour terminer qu’en France, l’affirmation récurrente selon laquelle L’art de la guerre serait enseigné dans les écoles militaires est tout simplement fausse : rapidement évoqué à l’Ecole de Guerre au sein du cours d’histoire de la stratégie, il n’est le reste du temps, durant tout le cursus de formation des officiers, qu’au mieux cité à titre illustratif…
[1] Les textes de Sun Tzu, Mao et Giap étaient réellement utilisés comme manuels tactiques par le FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale, Nicaragua), l’URNG (Unité Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque, Guatemala), le Sentier Lumineux (Pérou), les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) et l’ELN (Ejército de Liberación Nacional, Armée de libération nationale, Colombie).