À la suite immédiate de la biographie de Sun Tzu, le 65e chapitre des Mémoires historiques de Sima Qian expose celle de Sun Bin. Elle commence en ces termes :
Cent ans après que Sunzi eut expiré vint Sun Bin. Sun Bin naquit dans les environs d’Ajuan et était un descendant de Sun Wu.
(Rappel : Sunzi et Sun Wu sont deux appellations de Sun Tzu.)
Sun Bin serait donc un descendant de Sun Tzu[1]. Sun (孙) est le nom de famille et Bin (膑) signifie « rotule », faisant référence au châtiment qu’il subit après avoir été injustement accusé de crime – on lui ôta les rotules. « Bin » n’est donc pas son véritable prénom, mais celui-ci nous demeure inconnu.
La biographie de Sun Bin par Sima Qian est nettement plus fournie en détails historiques que celle de Sun Tzu. Nous apprenons ainsi les éléments suivants :
Cent ans après la mort de Sun Tzu, Sun Bin naquit dans les environs d’Ajuan. Durant sa jeunesse, Sun Bin étudia la stratégie avec l’un de ses condisciples, Pang Juan. Ce dernier parvint à s’attirer les faveurs du roi de l’État de Wei et fut nommé général. Il demanda alors à Sun Bin de le rejoindre pour le conseiller. Mais Pang Juan se rendit rapidement compte que les talents de Sun Bin, supérieurs aux siens, risquaient de lui porter ombrage. Il prépara un coup monté, faisant accuser Sun Bin d’un méfait dont il n’était pas coupable. Sun Bin fut condamné à avoir son visage tatoué (la punition traditionnelle des criminels) et les rotules enlevées.
Devenu paria, Sun Bin profita du passage dans la région d’un émissaire de l’État de Qi pour lui signifier qu’il pourrait mettre ses talents au service de son royaume. Le messager l’y conduisit clandestinement et le présenta à Tian Ji, général en chef du Qi. Ce dernier accueillit Sun Bin et les deux hommes devinrent amis.
Tian Ji était féru de paris de courses de chevaux ; Sun Bin lui conseilla une technique pour gagner à coup sûr à ces jeux. Alors assuré de l’intelligence du stratège, Tian Ji le recommanda auprès du roi de Qi. Ce dernier l’interrogea sur l’art de la guerre et, convaincu, l’engagea aussitôt comme conseiller.
Deux batailles sont ensuite racontées : celle de Guiling en 354 av. J.-C. et celle de Maling en 342 av. J.-C. Durant celles-ci, les stratagèmes de Sun Bin, agissant comme conseiller de Tian Ji, permirent de remporter la victoire finale. Au cours de la seconde bataille, la ruse de Sun Bin défit Pang Juan, resté fidèle à l’État de Wei.
Les dates présentées se réfèrent à la biographie des Mémoires historiques, que nous savons hautement fantaisiste dans le cas de Sun Tzu. En partant des dates réelles pour ce dernier (mort probable vers le milieu du IIIe siècle av. J.-C.) et en considérant que Sun Bin est bien un de ses descendants, nous arrivons à une composition du traité au plus tôt vers la fin du IIIe siècle av. J.-C., voire le IIe. D’ailleurs, Sun Bin évoque la cavalerie, qui n’a véritablement été adoptée dans cette région qu’à partir de 320 av. J.-C. (certains experts émettent toutefois l’hypothèse que ces passages relatifs à la cavalerie auraient pu être rajoutés a posteriori).
Bien que la biographie de Sun Bin présente dans les Mémoires historiques (Ier siècle av. J.-C.) s’achève sur cette phrase « La renommée de Sun Bin s’étendit à travers le monde entier et les générations futures continuent de propager son Art de la guerre. », toute copie du texte de Sun Bin semble avoir disparu dès la fin de la dynastie des Han orientaux (25 à 200 ap. J.-C.). Si le Livre des Han[2] (Ier siècle ap. J.-C.) mentionne encore son traité, ce n’est déjà plus le cas avec Cao Cao (155-220), alors que ce dernier témoignait d’un vif intérêt pour tous les ouvrages de stratégie.
Dans les Mémoires historiques, Sun Bin est, par endroits, appelé « Sun Tzu » (« maître Sun »), ce qui a amené plusieurs spécialistes du passé à avancer la théorie que les deux stratèges n’étaient, en réalité, qu’une seule et même personne. Mais en avril 1972, la découverte d’un exemplaire du traité de Sun Bin dans le tombeau du Yinqueshan invalida définitivement cette hypothèse.
[1] Valérie Niquet écrit que Sun Bin était le petit-fils de Sun Tzu, mais cette précision dans la filiation ne se trouve nulle part ailleurs.
[2] Le Livre des Han (汉书) est un classique d’histoire chinoise qui couvre la période des Han occidentaux (-206 à 9 ap. J.-C.). Cette impressionnante somme composée de cent volumes, fut achevée en 111 ap. J.-C.