Nous avions établi dans notre billet Peut-on trouver tout et son contraire dans L’art de la guerre ? un recensement de couples de maximes de Sun Tzu en apparente contradiction. En les étudiant plus avant, nous constatons que la plupart de ces incohérences ne sont qu’artificielles, avec pour origine une sortie de leur contexte des propos de Sun Tzu. Par exemple, sur la question de savoir si l’on peut ou non recourir à la guerre à seule fin de s’enrichir, Sun Tzu semble à la fois confirmer sa position que « la guerre a le profit pour ressort » (chapitre 7) :
« Il n’est rien de plus funeste que de remporter des victoires et de conquérir des provinces dont on ne sait pas exploiter les fruits, c’est un gaspillage inutile de forces.» (chapitre 12)
… mais, quelques phrases plus loin, il livre une injonction a priori contradictoire :
« On ne combat pas lorsqu’on n’est pas menacé. » (chapitre 12)
Nous avions montré que c’était l’extraction de la seconde maxime de son contexte qui créait cette contradiction, en dévoyant la véritable finalité de cette maxime de Sun Tzu.
Certaines idées, toutefois, demeurent pour nous de véritables contradictions. Des positions tenues à un endroit du traité paraissent ainsi véritablement être contredites à d’autres, comme la nécessité de recourir aux alliances ou la mise volontaire de ses propres troupes dans une situation désespérée afin d’accroitre leur ardeur au combat. Certains principes majeurs paraissent également entrer en conflits entre eux :
- l’injonction de retourner la force de l’adversaire contre lui au regard de celle d’empêcher ce même adversaire de porter ses coups ;
- le commandement d’une posture attentiste tout en enjoignant à l’initiative ;
- la prescription de la marche à l’ennemi et celle du modelage de l’ennemi[1].
Une hypothèse pourrait être que Sun Tzu présenterait parfois volontairement plusieurs procédés afin de laisser au général le soin de choisir en conduite le plus approprié ; pas de principe unique, mais un recensement des possibilités offertes. Force est toutefois de reconnaître que Sun Tzu n’expose pas ainsi la situation, et que cette explication parait un peu tirée par les cheveux.
Peut-être, au fond, L’art de la guerre n’est-il réellement qu’un immense bazar de citations sans queue ni tête duquel nous nous évertuons à trouver une cohérence globale alors qu’il n’y en a à la base pas !… En effet, si Sun Tzu a défini un système complet et cohérent (thèse que nous défendons), comment ce système pourrait-il comporter des préceptes contradictoires ?
Néanmoins, L’art de la guerre présente au final peu d’incohérences franches. La raison en est simple : la forme du traité nous oblige à un très fort travail d’interprétation, de recollage de morceaux, et de comblement des vides manquants. De fait, notre travail de compréhension du système suntzéen est dans une recherche frénétique de cohérence lorsque confronté à deux maximes apparemment contradictoires.
[1] La marche à l’ennemi entend d’être relativement passif, d’avancer sans plan prédéfini vers l’adversaire, ne sachant ce que ce dernier va faire. Avec le modelage de l’ennemi au contraire, Sun Tzu préconise d’être extrêmement actif, d’imposer le rythme et de faire agir l’adversaire selon notre volonté.
Ne pourrait-on pas envisager que les propos ne sont pas contradictoires mais simplement à appliquer à des moments différents ?
De la manière similaire à traiter ses hommes avec compassion mais à les diriger lors de la guerre sans compassion ?
Cela pourrait aussi rejoindre l’idée que du yin et du yang qu’il y a retournement de situation et donc retournement de position et d’attitude et qu’il est nécessaire de s’adapter pour trouver l’attitude la plus adéquate à un moment donnée et qu’elle peut etre totalement différente de celle d’avant