« Le mieux, à la guerre, consiste à attaquer les plans de l’ennemi ; ensuite ses alliances ; ensuite ses troupes ; en dernier ses villes. » (chapitre 3)
Nous avons vu toute l’importance que Sun Tzu accordait à la planification. Corollaire : le meilleur moyen de vaincre l’ennemi est justement de s’attaquer à sa planification.
Ce principe donne d’ailleurs son titre au chapitre 3 : « Combattre l’ennemi dans ses plans ». En réalité, seul le premier tiers du chapitre regroupe des préceptes relatifs à cette thématique. A l’instar de l’organisation explosée du traitée, les deux autres tiers sont sans rapport.
Ce précepte, qui est l’un des piliers de la pensée de Sun Tzu, est non seulement loin d’avoir perdu sa pertinence, mais pourrait en plus apparaître d’une modernité inexplorée. En effet, là où des concepts comme la recherche du renseignement peuvent aujourd’hui sembler triviaux car relevant de l’évidence, l’attaque de l’ennemi dans ses plans n’est pas forcément intuitive. Ce procédé exige même une très grande maîtrise de la part de celui qui voudrait le mettre en œuvre. Sun Tzu renvoie d’ailleurs aux temps légendaires l’époque où les généraux savaient le manier :
« Les grands capitaines des temps jadis savaient si bien désorganiser l’ennemi que l’avant-garde et l’arrière-garde ne pouvaient se porter secours, le gros de ses troupes et ses détachements s’épauler, soldats et officiers s’entraider, inférieurs et supérieurs communiquer. Dispersées, les forces ne pouvaient se rassembler ; ni rassemblées, se coordonner. » (chapitre 11)
Le premier réflexe d’un tacticien contemporain est en effet de chercher comment attaquer au mieux les forces ennemies pour créer le maximum de dommages avec le minimum de pertes dans ses rangs. Ou, plus subtil, de viser le centre de gravité identifié chez l’adversaire. Mais « attaquer l’ennemi dans ses plans » n’est pas forcément évident. Et si l’idée peut aisément être comprise, elle s’avère n’avoir que rarement été mise en pratique.
Ce précepte, qui s’adresse au niveau stratégique mais qui peut également se décliner au niveau tactique, part du principe qu’il faut chercher à contrecarrer l’ennemi, à l’empêcher d’engager la manœuvre qu’il avait prévu. Il faut pour cela lui couper sa liberté d’action afin d’asphyxier toute possibilité de réaction :
« Qui excelle à la guerre dirige les mouvements de l’autre et ne se laisse pas dicter les siens. » (chapitre 6)
Pour ce faire, il est impératif de constamment conserver l’initiative pour ne jamais laisser l’ennemi s’exprimer.
« [Le parfait chef de guerre] s’avance sans que l’autre puisse le contrer, car il s’insinue dans ses vides. » (Chapitre 6)
C’est par ce façonnage de l’ennemi que l’on sera à même de saisir l’opportunité d’une attaque fatale (cf. notre billet Du modelage de l’ennemi).
Bien entendu, la recherche de renseignement est la base de ce procédé.
« Examinez les plans de l’ennemi pour en connaître les mérites et démérites. » (Chapitre 6)
Lorsque cette réaction ne correspond pas à un évènement localisé mais en vient à relever de la manoeuvre ennemie toute entière, nous atteignons alors là des paradoxes de L’art de la guerre : l’injonction d’empêcher l’ennemi de s’exprimer semble entrer en contradiction avec la manœuvre en réaction que nous avions décrite dans le billet De la multiplicité d’objectifs, où Sun Tzu prône en effet d’agir en réaction à la manœuvre ennemie.
« Combinez vos plans en fonction des mouvements de l’ennemi et décidez alors du lieu et du moment de la bataille décisive. » (Chapitre 11)
Quoi qu’il en soit, cette tactique se heurte donc bien à notre façon occidentale de faire la guerre, qui considère que le but de notre action est d’atteindre l’objectif militaire que nous nous sommes fixés (le centre de gravité de l’ennemi). La vision de Sun Tzu, elle, se conçoit plutôt en réaction de la manœuvre ennemie. Par notre fulgurance, nous espérons avoir le temps et la puissance nécessaire à l’atteinte de notre objectif ; Sun Tzu, lui, préconise d’agir en réaction.
« Si l’adversaire est coléreux, provoquez-le ; méprisant, excitez sa morgue. Dispos, fatiguez-le ; uni, semez la discorde. » (chapitre 1)
La différence de concept est fondamentale.
Source de l’image : Photo de l’auteur
Vous allez lire un commentaire qui ne va pas vous satisfaire, M. Couderc.
Vous devez sûrement être quelqu’un de très bien, de très intelligent, et vous devez sûrement avoir beaucoup de qualités.
Pour autant votre présentation de Sun-Tzu en général, et celle-ci comme les précédentes, suscite dans mon esprit une très forte réprobation.
Je vous contredis entièrement : cette tactique correspond parfaitement à notre façon occidentale de faire la guerre.
Mais il conviendrait déjà de définir ce que vous appelez « occidental »… Ou s’arrête et ou commence « votre » Occident ? Pour ma part, j’évoquerais de préférence la notion d' »Europe » (les E.-U. d’Amérique ou le Japon ne font pas partie de la même civilisation que nous). L’Europe s’arrête à Gibraltar, aux Dardanelles, au Caucase et à l’Oural. Et dans ce cadre géographique-là, nous n’avons pas, nous, Européens, attendu Sun-Tzu pour « attaquer les plans de l’ennemi », en le désorganisant ou en le trompant préventivement.
En vous lisant, vous me faites penser que vous ignorez l’histoire militaire européenne et française en particulier.
Je vous invite donc à devenir un expert d’Homère (l’Iliade, L’Odyssée), un expert du trivial Jules César [(re)lisez la Guerre des Gaules], de quelques autres stratèges romains et en particulier des héritiers de Constantinople qui parvinrent à se défendre durant huit siècles contre les agressions musulmanes dans une position du faible-au-fort, en développant un savoir-faire exceptionnel en matière de renseignement et d’intoxication.
En France, la liste de la mise en œuvre d’une telle stratégie serait trop longue à dresser (il existe en particulier de remarquables exemples au XVIIe siècle). En Europe et récemment, les manœuvres les plus connues se réfèrent à la seconde guerre mondiale et en particulier aux débarquements en Italie et en France.
Sun-Tzu n’a eu aucune incidence sur tous ces Européens.
Je vous invite à vous ouvrir à notre culture européenne, à mieux la connaitre, à surtout à veiller à ne pas la dénigrer pour des raisons malsaines, et à la respecter.
Tentez de trouver en vous la force de caractère et l’honnêteté intellectuelle pour considérer Sun-Tzu comme un auteur inintéressant comparé à la richesse de l’histoire et de l’identité européennes.
Nan, nan, tout doux, si vous voulez débattre de l’intérêt de Sun Tzu faites le. Mais sortir un poète et la grande histoire relatant l’immense intelligence que nous européens, avons fait preuve lors de conflits massivement meurtriers, et sur le ton » passing-shot « est indigne d’un discours critique ou des m.a.c.. Chronologiquement : Homère, Sun Tzu, César, Bonaparte, de Gaulle, ont fait ce qu’ils ont pu ou plus, en s’inspirant des uns et des autres ou non, mais sont tous obsolètes sur beaucoup d’aspects militaires.
Bien qu’aujourd’hui encore la mobilisation des troupes reste la règle d’or en matière de guerre. Il ne s’agit plus actuellement de champs étendus de bataille comme au temps des cavaleries faisant front en pleine campagne. Les combats tactiques sont désormais à dimension urbaine. Les stratégies se sont ainsi adaptées, même à outrance ! si on observe les erreurs faites par les armées de coalitions en Afghanistan, où elles ont focalisé sur les capitales en délaissant à tord, du point de vue politique et d’une réelle victoire, les campagnes. Normal, il faut investir beaucoup plus d’hommes, d’années et de bombes, tout en étant extrêmement doué (qui ? ) aux guerres psychologiques. Là, et à ce niveau, oui pourquoi nos jeunes généraux ne s’inspireraient-ils pas des vieux livres jaunes qui de par leur lointaine provenance ne font que résonner de la validation vécue d’une expérience à longue échéance ? Une philosophie d’approche qui a vue sa conclusion. C’est pas un concoure « de ». Face à un nouveau paysage, on fait ce qu’il faut, On sort la boxe qui convient « judicieusement ». Elle est rarement d’une seule école ou extrêmement intelligente.
Cher Sangris, le grand intérêt de l’art de la guerre de sun tzu est son coté intemporel, car de tous les livres de stratégie qui ont passé les siècles, il est le seul a être encore d’actualité, car décrivant l’essence même des principes la stratégie.
a la différence des manuels tactiques plus modernes se perdant en descriptions techniques aujourd’hui inutilisable.
A la différence des autres traités, ce livre est utilisé de nos jours non seulement dans la guerre, mais aussi dans la finance, les rapports dans une entreprise, le combat a mains nus, l’ art de débattre… la liste est interminable.
je regrette de vous confirmer qu’ aucun livre de stratégie occidental n’a atteint une tel dimension (considérant le livre de Machiavel dans un autre registre).
Et l’on peut s’inspirer de Sun Tzu pour mieux organiser les rapports entre le Président de la République française et son Premier ministre: le Président assume les prérogatives du Général en Chef et le Premier ministre (contresignataire) celui du Prince.
cher Dagobert, la coalition en Afghanistan a essayé de ne pas réitérer les erreurs des nombreux conquérants du passé.
les villes ( 10% du pays ) sont en terrain plat , là ou est à l’aise une armé moderne, les campagnes ( 90% ) sont entouré de montagnes… de grottes, de tunnels, de forêts… ou l’ennemie a l’avantage.
Tous les conquérants de ce pays n’ont pu prendre que les villes, et ce sont brisés dans les montagnes, systématiquement convaincus a tors, que cette fois, leurs nouvelles technologies feront la différence.
réduire les effectifs, les cantonner en lieu sur, pour mener des opérations éclairs et ciblés dans les campagnes, exploitant au maximum les technologies de renseignements, voila la nuance que la coalition voulait apporter pour éviter un désastre.
Franchement, la coaliation s’est retranchée dans un réseau de bases qui facilitaient la surveillance des mouvements de troupes par les Talibans. Elle a tout misé sur des patrouilles inutiles et l’intimidation des autochtones qui, seuls, pouvaient tenir le terrain face aux Talibans.
En Afghanistan, les Occidentaux ont clairement répété les erreurs des Américains au Viêt-nam: essayer de conquérir des terrains par des procédés militaires quand l’enjeu était de rallier et militariser les autochtones.
Normal, quand on se souvient que le but de l’invasion de l’Afghanistan et de donner l’illusion que Georges Bush n’était pas impuissant face à la menace terroriste et que les Gouvernements européens souhaitent faire acte de présence auprès du « suzerain » en combattant le moins possible.
Consécutivement, au moment de mettre en place une « démocratie afghane », les autorités américaines se sont d’avantage souciées de propagande que des impératifs de contre-insurrection. Dans le même ordre d’idée, la création de forces autochtones crédibles est intervenue trop tard, pour permettre aux Occidentaux d’abandonner le pays à l’ennemi « dans l’honneur ».
Il est d’usage d’opposer Clausewitz à Sun Tzu comme il est d’usage d’opposer Galula à Trinquier. Est-ce vraiement pertinent?
Galula a émis une stratégie de contre-insurrection alors que les idées de Trinquier relèveraient plutôt de la tactique. Sur le plan opératique, il n’y a pas de réelle opposition et la tactique COIN de Trinquier est tout à fait pertinente pour appliquer la stratégie COIN de Galula.
Dans le même ordre d’idée, Clausewitz traite des aspects militaires de la guerre directe dans un conflit interétatique en tentant de fournir des clés pour s’adapter à la réalité du champ de bataille: brouillard(s) de guerre (bleu ou rouge), friction, élimination des combattants trop prévisibles ou imprévoyants. Sun Tzu traite des aspects civilo-militaires de la guerre indirect dans le cadre d’une guerre civile. De ce point de vue, ils semblent plus complémentaires qu’opposés.
J’ai l’intuition que Clausewitz fondait son art de la guerre sur l’occupation des meilleures positions défensives sur les points de passage obligé de l’adversaire, afin de l’affaiblir en combinant la défense statique la plus efficace avec des contre-attaque exploitant au mieux l’effet de surprise et la connaissance du terrain. Parallèlement, Sun Tzu fondait sur art de la guerre sur la dispersion de l’ennemi par des manoeuvres de déception et l’attaque de ses points vitaux par les axes non défendus. Est-il absurde, dès lors, de combiner la doctrine défensive de Clausewitz avec la doctrine offensive de Sun Tzu? Sans doute qu’une bonne théorie opératique pourrait servir de charnière mais ne je connais aucun auteur valable sur le sujet.
De toute manière, nous, Européens, devons nous garder de mépriser Sun Tzu ou d’autres auteurs orientaux. Leur étude est riche d’enseignement sur un aspect de la culture stratégique des orientaux. Eux, à ma connaissance, ne commettent pas l’erreur de considérer Clausewitz et Jomini comme des auteurs inintéressants.